Nous avons coutume de dire qu’on ne peut faire d’omelette sans casser des oeufs; c’est un fait ! Il est évident que les aspirations de modernité et d’amélioration de la qualité de vie de notre île, notamment au moyen de gros chantiers, ne peuvent se concrétiser sans aucune complexité collatérale. Il serait totalement utopique de penser le contraire. Mais entre blocage quasi total du trafic et solution miracle en un claquement de doigts, n’y aurait-il pas un possible et juste équilibre ? Entretien avec Fabien Trifol, directeur général de l’aménagement au sein de la Cadema.
JDM : C’est la tête encore embuée par les difficultés routières attenantes à la zone sud Mamoudzou (Passamainty/M’Tsapéré) qu’on découvre, impuissant et il y a peu, le nouveau bazar lié à Kawéni. Et tout le monde semble désarmé voire pas vraiment avisé; un peu difficile à digérer non ?
Fabien Trifol : Alors sincèrement oui, c’est vrai, nous le reconnaissons. Le manque de communication à un moment donné n’a pas aidé les gens à comprendre l’intérêt global de ces travaux supplémentaires qui s’inscrivent au final dans une continuité du projet Caribus. Maintenant, il faut être lucide, tout chantier entraine forcément une part de mécontentement et de perturbation; c’est un fait. Notre rôle est de trouver un juste équilibre entre avancer les chantiers, pour palier aux attentes de la population, des financiers ainsi que des chefs d’entreprises et trouver justement un équilibre pour ne pas étouffer une zone telle que Kawéni qui est un peu le poumon économique de l’île en termes de commerces et de logistique de transport.
JDM : Mais pourquoi un tel blocage alors ? Manque d’anticipation ?
Fabien Trifol : Non justement ! Ce qu’il faut comprendre c’est que les travaux étaient initialement prévus de nuit pour légitimement impacter le moins possible la population mais il s’avère qu’avec l’actualité liée notamment à cette opération Wuambushu, les ouvriers de la société Colas qui avaient leur dépôt matériel et logistique sur Koungou ont été régulièrement bloqués et certains ont même été attaqués. Pour leur sécurité, nous avons été tenus de basculer sur des créneaux journaliers. Ce qu’il faut comprendre sur Kawéni c’est que nous sommes sur un chantier lourd où nous devons terrasser, sur une profondeur allant jusqu’à 1 mètre, l’avenue Martin Luther King (MLK) pour restructurer la chaussée dans sa globalité. Nous sommes sur du renouvèlement de réseau sous-terrain; nous changeons complètement le matériau.
Mais nous avons été rapidement lucides pour savoir que cela bouchait complètement la zone et entendre le mécontentement des acteurs économiques concernés. À cela s’ajoutait aussi le problème de rendement de la société Colas qui marche par système de roulement avec Koungou; donc oui, nous avons eu cette réunion matinale en fin de 2ème semaine en partenariat avec la CCI et tous les acteurs économiques. Tout le monde a ainsi pu exposer son point de vue pour lequel nous avons été extrêmement à l’écoute. Les options de circulation à sens unique et travaux de nuit nous ont de nouveau été exposées. Et dès l’après-midi, j’ai réuni nos instances techniques Cadema et Colas afin d’apporter quasiment tout de suite des solutions.
JDM : Quelles sont ces solutions ?
Fabien Trifol : Nous avons décidé de remblayer le terrassement qui avait été réalisé au niveau du magasin HD et qui finalement été l’unique chantier sur MLK, bloquant toute la circulation. Cette manœuvre a eu lieu de nuit dès le lundi suivant, sachant la situation sécuritaire apaisée et jeudi 18 mai dernier, nous avons procédé à un terrassement provisoire ce qui fait qu’aujourd’hui, les travaux sur la zone se concentrent uniquement sur l’avenue de l’Europe et cela est peu pénalisant pour la vie économique. Les autres travaux au niveau de la montée Sogea et de la zone Nel s’effectuent de nuit. Notre objectif était donc de retrouver très rapidement une situation relativement viable et stable.
JDM : Et comment les choses vont-elles avancer justement au regard aussi de l’aspect colossal du chantier et d’un calendrier à respecter je suppose ?
Fabien Trifol : Depuis vendredi dernier nous sommes en mure et efficace réflexion sur une solution alternative qui impliquerait uniquement une phase de gros travaux du vendredi soir au lundi matin, pour diminuer l’impact au niveau de la circulation. Nous travaillons bien-entendu en conjointe réflexion avec la société Colas pour qui il est question d’un redéploiement total de ses équipes avec un travail non-stop escompté. Nous sommes toujours dans cette recherche d’équilibre entre un chantier qui doit voir le jour avec des plannings légitimement à respecter mais de l’autre côté, de ne pas étouffer cette zone justement. Et cette alerte qui nous a été adressée, nous l’avons bien comprise. Ce projet Caribus est vraiment un beau projet porteur, fait pour la population mais il ne peut se permettre d’essuyer une mauvaise publicité avant même sa mise en route officielle. Nous partions initialement sur 1 an de travaux, avec une fin de chantier prévue pour mai 2024. On ne peut se permettre de trop déborder et cela n’est pas notre volonté.
JDM : Concernant l’aspect sécuritaire de nuit ?
Fabien Trifol : Partant toujours dans cet optique de roulement exclusivement week-ends et nuits incluses, nous avons adressé à la préfecture une demande de renfort de rotations et protection justement. Nous sommes en attente de ce retour mais de manière très concrète, dès ce mardi (23 mai) l’entreprise Colas nous présente son nouveau phasage de travaux; aussi bien technique qu’économique. Il y a forcément un impact économique pour nous Cadema mais notre volonté première se veut portée sur la quiétude maximale pour les habitants et acteurs concernés. Sans mauvais jeu de mot, je dirais que c’est le prix à payer; nous n’avons pas 36 solutions. Kawéni est déjà une zone sous tension du point de vue circulatoire du lundi au vendredi. Mettre en place un chantier ne fait qu’accroître cette tension et ça n’est vraiment pas le but de la Cadema.
JDM : Pourquoi est-ce si long de faire des bouts de route ?
Fabien Trifol : D’un point de vue technique dégrossi, il est question de 3 phases. Terrasser, remblayer et enrober. Ce sont des phases extrêmement longues d’où notre système de chantiers mobiles jusqu’à présent. Si une équipe travaille uniquement la nuit par exemple, elle a juste le temps de terrasser mais ne peut attaquer la phase suivante, ce qui fait qu’on ne peut, techniquement parlant, remettre en circulation le matin même. C’est la raison pour laquelle nous partons sur une solution diamétralement opposée de non-stop, ciblée exclusivement week-ends.
JDM : Et l’impact de fin de semaine alors ?
Fabien Trifol : Nous sommes déjà en train d’anticiper cela en partenariat justement avec la CCI qui doit nous adresser une liste de commerces qui seront touchés par ces travaux de week-ends pour qu’on puisse trouver, avec l’entreprise Colas, une solution plus personnalisée pour limiter l’impact par rapport à ces commerces. C’est une complexité supplémentaire mais tout est réalisable et nous souhaitons être force de solution. Il y a 2 facteurs extrêmement importants qu’il faut qu’on préserve, le premier étant l’alimentation même des commerces via leurs conteneurs en provenance de Longoni et le second, c’est la circulation des potentiels clients dans cette zone là. Si ces travaux se décalent comme nous l’envisageons, il y a aura une nette diminution de l’impact néfaste et pour les samedis et dimanches matins, là encore, nous allons trouver des solutions. Nous devons nous réunir en ce sens, dès cette fin de semaine, pour une validation globale et puis en route quoi !
JDM : Et vos navettes dans tout ça ?
Fabien Trifol : Alors oui, à côté de tout ça effectivement, nous savons très bien que ça n’est pas la solution miraculeuse qui va désengorger la zone mais il est effectivement mis en place des navettes gratuites qui sont un plus. Et même si les travaux sont actés pour les fins de semaines, il est important de rappeler que ces navettes sont maintenues la semaine alors qu’il n’y aura, à proprement parler, pas d’impact.
Les départs se font aujourd’hui des Hauts Vallons à 5h30, 6h et 7h. Nous avons créé un arrêt provisoire au niveau du M’Biwi et les retours sont à 15h, 15h30 et 16h. L’objectif étant, comme dans le sud en fait où cela marche très bien, de progressivement amener les gens à prendre ce nouveau transport pour aussi préparer la mise en place finale du Caribus. Mais en parallèle de tout cela, nous sommes également en train de solliciter les entreprises de taxi pour envisager de travailler avec eux, notamment les taxis de type 9 places afin de proposer une offre, au départ aussi des Hauts Vallons pour leur offrir également l’opportunité d’être acteur dans ce projet global. Notre but n’est pas non plus de les impacter, loin de là. Nous allons justement lancer un marché en ce sens et les taxis sont déjà en train de procéder à des systèmes de regroupements pour pouvoir répondre à ce marché.
JDM : Mais d’ores et déjà, est-ce qu’il ne faudrait pas songer à élargir cette vision hors territoire exclusivement Cadema ?
Fabien Trifol : Je vous rassure, nous sommes déjà en discussion avec les intercommunalités limitrophes mais pas que, donc Grand-Nord, Centre-Ouest et même CCSud pour justement pousser nos navettes gratuites en ces zones. L’idée se voudrait de proposer plusieurs arrêts au lieu de tout cibler en un seul point, afin de prendre les gens bien plus tôt, se rapprochant de leur domicile et limitant ainsi, à la source, les problèmes de circulation. Nous avons déjà des réunions techniques au programme, notamment dès cette semaine avec le Grand-Nord car nous souhaitons vraiment travailler avec eux et pas se limiter exclusivement à notre territoire.
JDM : Bon, et l’approche maritime, c’est plus qu’indispensable à mettre en place, vous ne croyez pas ?
Fabien Trifol : La semaine dernière ont été lancées 2 consultations. Une première pour la construction de 2 pontons : un à Iloni/Dembéni et un autre au niveau de la plage de Hamaha. Et la seconde se veut portée sur un marché concernant la conception et fabrication de 5 navettes maritimes, d’une capacité de 50 places chacune. L’idée pour nous, c’est bien de créer une ligne maritime qui partirait d’Iloni jusqu’à Mamoudzou et de Hamaha jusqu’à Mamoudzou. L’objectif de la mise en place de tout cela, se veut 1er trimestre 2024. Nous souhaitons dans l’ordre des choses, acter d’abord cette construction de pontons afin de permettre, en attendant la livraison des embarcations, de travailler avec des prestataires de service, afin d’offrir rapidement une autre alternative à la population.
JDM : On peut dire que vous ne chômez pas ?
Fabien Trifol : C’est notre mission de trouver des solutions en termes de moyens de mobilité du territoire Cadema voire même plus large et nous travaillons en ce sens. Comment sur une île ne pas penser à une mobilité plus étoffée en termes d’approche maritime; cela coule de source ! Nous souhaitons être le plus réactif possible et ne pas nous perdre dans des projets pharaoniques qui s’étalent. Certes, nos plannings actuels sont tendus mais nous mettons tout en œuvre pour tenir notre engagement dans un délai imparti. Et tout ceci, aussi dans une approche de mutualisation des moyens avec les autres collectivités, Petite-Terre incluse pour cette approche maritime. Le but étant de ne pas travailler tous seuls dans notre coin mais bel et bien de trouver des liaisons. Il est important que la réflexion soit collective prenant une considération les besoins de chacun.
JDM : Et le STM dans tout ça ?
Fabien Trifol : Nous ne sommes pas dans une dynamique de concurrence mais bien de solutions supplémentaires devenues indispensables. Même si cela ne concerne pas la Cadema, pourquoi ne pas envisager la création d’un quai amphidrome ou autre, en zone sud, avec une liaison en Petite-Terre. Les possibilités sont nombreuses et de notre côté, le projet se veut évolutif. Nous partons dans l’immédiat sur 5 navettes mais cela pourra peut-être s’étendre. L’idée du quai Hamaha et de Petite-Terre par exemple, serait de permettre aux gens, souhaitant aller faire leurs courses sur cette zone, de ne pas être obligés de traverser tout Kawéni du point de vue terrestre. Nous sommes là pour répondre à la demande et notre intérêt, encore une fois, est d’aller vite. Faire des études pour faire des études, nous disons non. Nous sommes là pour mettre en place rapidement des projets très concrets et structurants, répondant aux problématiques et besoins de la population. Et il est tout à fait normal que les gens puissent se projeter en termes de délais.
JDM : Dernière question peut-être un peu plus farfelue mais les idées de téléphérique ont-elles été également énumérées ?
Fabien Trifol : Alors oui mais très honnêtement, niveau coût, délais, impact environnemental et aussi dégradation visuelle du paysage, cela pour le coup, mérite des études bien plus poussées et longues pour lesquelles on ne veut s’éparpiller avec le risque que cela ne voit pas le jour. Notre objectif premier, je le rappelle, c’est justement d’offrir des projets mobilité concrets à court-moyen terme pour les besoins urgents de la population. Nos 3 axes immédiats se ciblent donc sur le projet Caribus, les navettes maritimes mais aussi un réseau sécurisé piste cyclable.
Propos recueillis par MLG