C’est sous couvert d’anonymat qu’un professionnel de santé travaillant au Centre hospitalier de Mamoudzou a accepté de nous dire comment se passe les choses dans les différents établissements de santé de l’île. Car pour l’instant c’est le silence total du côté de la direction du CHM qui refuse de communiquer à ce sujet.
A entendre le témoignage de ce professionnel de santé les choses commencent sérieusement à se compliquer. Bloquées depuis le 3 mai dernier par un collectif de femmes mahoraises qui contestent la politique menée par les Comores suite à l’opération Wuambushu, elles affirment haut et fort que « Tant qu’Azali bloquera, on bloquera ! ». Sauf que pendant qu’une trentaine de femmes, tout au plus, bloque l’ensemble des établissements hospitaliers de l’île, des gens risquent de mourir qu’ils soient comoriens ou non. « Depuis jeudi dernier le dispensaire de Jacaranda, situé en face du CHM, est fermé à cause du blocage. C’est dans ce bâtiment que se trouve la pharmacie du CHM et tous les médicaments nécessaires pour les consultations ainsi que pour ceux qui n’ont pas de sécurité sociale », explique le professionnel de santé.
Une dizaine de femmes bloque l’entrée de l’hôpital. « Dès qu’une personne ou un patient tente de rentrer elle se fait agresser, voire même pour certaines violenter quand elles arrivent au bureau des admissions du CHM. Ces femmes considèrent que toutes les personnes qui viennent au CHM ou dans les dispensaires pour se faire soigner sont comoriennes, ce qui est absolument faux ! Une dizaine de femmes qui bloque l’accès aux soins pour des personnes à la santé fragile c’est ahurissant, s’insurge le soignant. Personne n’est venu les déloger pour l’instant. Même la police a ordre de ne rien faire a priori. Une trentaine de femmes qui bloque tout un système de santé dans l’île, je n’ai jamais vu ça, c’est inédit. Ce serait une chose totalement impossible en métropole », constate effaré le praticien.
Une situation qui devient de plus en plus dangereuse
La police a mis des barrières pour éviter les débordements et encadrer le bureau des admissions là où se trouvent les femmes contestataires. « Si vous voulez avoir une chance de vous faire soigner, il faut arriver tôt le matin avant elles car sinon elles ne vous laissent pas rentrer ». Cette situation est d’autant plus dangereuse que jeudi et vendredi derniers, l’hôpital a dû annuler toutes les consultations. Les professionnels de santé commencent à tirer la sonnette d’alarme. « On le vit très mal… On ne peut pas soigner les patients. On ne peut même pas faire de bilans sanguins pour les enfants et faire un suivi de leur traitement. En cardiologie, nous ne pouvons plus donner de médicaments pour les traitements. Idem pour ceux atteints du VIH ou de tuberculose. Il y a, à mon sens, une mise en danger des patients et un risque sanitaire qui ne cesse de croitre de jour en jour. Il y a urgence car le système de soins pour les personnes malades ne fonctionne plus, elles risquent de mourir chez elles ».
La situation est critique. Et ce qui n’a rien arrangé, à la suite des violences perpétrées par des bandes armées au Centre médical de référence de Dzoumogné, l’hôpital a déclenché le plan blanc vendredi dernier, ce qui veut dire que les personnels de santé sont dans l’urgence en permanence. « Il y a moins de passages aux urgences, les services sont quasi vides et tournent au ralenti, l’activité des soins est en sérieuse diminution. Ce que nous redoutons le plus, et c’est ce qui risque d’advenir si la situation perdure, c’est d’avoir des malades qui arrivent à l’hôpital dans un état décompensé, sur le point de mourir sans que nous n’ayons pu les soigner. Si cela dure, d’ici deux à trois semaines nous devrons faire face à une véritable catastrophe. Je le répète, c’est de la non-assistance à personne en danger, beaucoup de patients vont décéder », insiste le professionnel de santé. Tous les services ainsi que l’ensemble des dispensaires de l’île sont impactés par ce blocage qui ne justifie en rien de ne pas s’occuper des malades.
Tous les personnels de santé sont très inquiets pour les patients. « C’est assez dur de garder le moral dans ces conditions. Il y a comme une forme d’abandon. On parle de vie humaine quand même mais on a l’impression qu’on l’oublie. Ce n’est pas évident d’accepter cet état de fait, cette injustice et de subir », se désole le soignant.
B.J.