L’étude « Non-scolarisation et déscolarisation à Mayotte : dénombrer et comprendre » menée par Gilles Séraphin et Tanguy Mathon-Cécillon (Université Paris-Nanterre), a été commandée par les association et fédérations Apprentis d’Auteuil Mayotte, Mlezi Maore et la CNAPE (Convention Nationale des Associations de Protection de l’Enfant). Basé sur deux méthodes de calcul, par addition et par soustraction, elle aboutit au constat qu’aujourd’hui, 5 % à 8,8 % des enfants en âge d’être scolarisés de 3 à 15 ans révolus à Mayotte ne le sont pas, soit 5.300 à 9.500 enfants touchés.
Des chiffres qui corroborent ceux qu’avait avancé le précédent recteur Gilles Halbout de 8.000 jeunes non scolarisés. Et au regard de la croissance démographique, on peut même dire qu’en réactualisant son chiffre à aujourd’hui, il ciblait le haut de la fourchette. Pas de grosse surprise donc. Car depuis, peu de constructions de salles de classe ont vu le jour, mais la convention signée dans ce sens entre les maires et l’AFD « commence à porter ses fruits », nous avait-il rapporté avant de partir pour le rectorat d’Orléans-Tour.
Sans doute cas unique en France, la scolarisation des enfants est un fait très politique à Mayotte. Alors que le système scolaire est encore très jeune, « la structuration du système éducatif a réellement été entamée dans les années 199 », indique l’étude, la croissance démographique alimentée par les arrivées massives de migrants, congestionne les structures scolaires, qui ne peuvent tous les accueillir.
50% de rotation, une vitesse à ne pas dépasser
A ce sujet, l’étude brosse un tableau pessimiste de la situation aux Comores : « De nombreux habitants étant pour diverses raisons ‘prêts à tout risquer pour fuir leur pays’. Parmi les problèmes structurels que connaît le pays, les insuffisances du système éducatif incitent de nombreuses personnes à tenter la traversée dans l’objectif de scolariser leurs enfants à Mayotte. (…) Le pays connait également une fuite des cerveaux chronique (brain drain), c’est-à-dire le départ des individus les plus qualifiés. Au contraire de ce qui est observé dans les pays aux économies émergentes (skilled returnees), les émigrés ne sont pas encouragés à rentrer aux Comores par peur d’un brain waste, à savoir un gaspillage des compétences alimenté notamment par l’importance de la corruption. L’enchaînement de ces phénomènes provoque un cercle vicieux qui entrave largement le développement du pays. »
En face, Mayotte, un territoire également en grand besoin éducatif, « Plus d’un habitant sur trois est en âge d’obligation scolaire, c’est-à-dire entre 3 et 15 ans révolus. L’éducation représente ainsi un des premiers défis de l’île ».
Or, la natalité est en forte croissance (10.730 naissances en 2022, un record), qui est le fait « à 70% d’une mère de nationalité comorienne », et si l’étude pointe que « seulement » 46,5% des naissances sont issues des deux parents étrangers, c’est énorme, ce taux ne pourrait être transposé dans aucun autre territoire de la République. Moyennant quoi, 112.196 élèves ont été accueillis à la rentrée 2022 dans les établissements scolaires mahorais, un record là aussi, dont 60.775 dans l’enseignement primaire (54,2 %) et 51.421 dans le secondaire (45,8 %), aboutissant sur un déplorable taux de 41 % des établissements en rotation à la rentrée 2021.
A Mamoudzou, cela concerne 50 % des établissements, « seuil considéré comme maximum par la municipalité », quand « d’autres communes décident de ne faire fonctionner aucune école en rotation, du fait de la volonté populaire et municipale. Elles considèrent que les enfants scolarisés doivent suivre leurs enseignements selon un rythme ‘normal’, le système de rotation n’étant pas adapté au rythme des enfants et aux conditions climatiques à Mayotte (fortes chaleurs en saison des pluies, surtout pour les enseignements de l’après-midi qui terminent tard). » A la rentrée 2021 le dispositif des classes itinérantes est mis en place par le recteur, qui, rapporte l’étude voulait « répondre aux besoins de scolarisation des élèves de petite section ».
Forte déscolarisation des 3-6 ans
Il faut se souvenir que cette décision a été prise à la suite de l’intervention de la justice dans ce sujet. S’engouffrant dans la brèche ouverte par certaines mairies qui faisaient de la discrimination à l’inscription en demandant une attestation de lieu de résidence, plusieurs associations dont la Cimade, déposaient des recours à l’issue desquels le tribunal administratif ordonnait la scolarisation des enfants concernés, faisant réagir fortement le recteur. Car la décision s’opposait au calendrier dérogatoire accordé par le ministre Blanquer lors de la mise en place de sa réforme l’école de la confiance.
En effet avec cette réforme, le territoire, déjà sinistré par une forte déscolarisation à partir de 6 ans, était soumis comme l’ensemble du territoire national, à la scolarité obligatoire dès 3 ans. Ce qui a fabriqué d’un coup, une tranche d’âge de déscolarisés chez les 3-6 ans, faute de classes pour les accueillir. Phénomène d’ailleurs visible sur le graphique ci-dessus présenté par l’étude. Pour atténuer le choc, le ministre Jean-Michel Blanquer avait autorisé un « calendrier d’adaptations » à Mayotte, pour scolariser en premier lieu les 5 ans, puis les 4 ans pour finir trois ans après par les 3 ans. La décision de justice venait donc jouer les éléphants dans un magasin de porcelaine, mais après tout, la mairie concernée avait joué avec le feu.
La construction de salles de classe doit donc s’intensifier, le rectorat lui même est concerné avec un « rattrapage en cours » pour le secondaire, alors qu’en primaire on sait que le rythme reste « très insuffisant » alors qu’il faudrait « des constructions dans des progressions massives » pour suivre la progression démographique. Bien que cela ne soit pas l’objet de l’étude, le niveau scolaire y est pointé du doigt, « Les résultats de l’académie de Mayotte sont en effet loin derrière les autres académies ».
Le Défenseur des Droits recommande la mise en place d’un observatoire de la non-scolarisation pour recenser les enfants non-scolarisés, et « établir un diagnostic précis des besoins de l’île en matière d’éducation ». On peut s’appuyer pour cela sur le rectorat qui possède ces données.
Anne Perzo-Lafond