Les embouteillages monstres de Passamainty qui avait incité le président de la Communauté d’Agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), Rachadi Saindou, à agir. En un week-end, il avait trouvé une dizaine de bus nécessaires en piochant dans le stock du service Halo de transport scolaire. Depuis, des navettes estampillées « CADEMA » circulent de Hajangua à Mamoudzou, et ont de plus en plus de succès, puis qu’empruntée par de plus en plus d’automobilistes qui laissent leurs voitures au parking d’Hajangua. « Nous nous levons moins tôt, et nous pouvons dormir dans le bus », nous indique l’un d’eux qui rejoint ensuite son bureau à pieds. Un succès donc pour ces navettes, avec deux biais : elles sont gratuites et ne desservent qu’une partie de la CADEMA.
Ce qui incite Mohamed Hamissi expert en mobilité qui exerce comme Directeur Environnement, PCAET, Transport et Mobilité à l’intercommunalité de Petite Terre, à alerter et à appeler à structurer l’offre. Pour commencer il évoque les dessertes : « Je salue l’initiative de la mise à disposition des navettes gratuites, mais une bonne partie des habitants de la CADEMA n’y a pas accès, notamment à Vahibé, à Kawéni ou aux Hauts-Vallons qui sont obligés de prendre le taxi. Même si l’action est positive, ce n’est pas un service public qui bénéficie à tous. »
Cela va changer, annonce Rachadi Saindou : « Nous lançons de nouveaux lots pour des navettes gratuites desservant Vahibe et les Hauts Vallons ». Un coût supplémentaire qui n’était pas prévu lors du lancement du projet Caribus, « l’Etat nous suit et nous a accompagné pour le premier circuit vers Hajangua à hauteur de 8 millions d’euros ».
Le conseil départemental à l’arrêt
Pour Mohamed Hamissi, à l’origine du projet Caribus, il faut arrêter les frais de navette gratuites et commencer à basculer maintenant vers une préfiguration du service : « Avant que je quitte la CADEMA, nous avions engagé un assistant à maitrise d’ouvrage pour accompagner la communauté d’agglomération dans une montée en puissance de Caribus. Or, cette première phase n’est pas mise en place. Il faut profiter de deux facteurs : des détériorations de conditions de circulation, tout d’abord, qui induisent un changement de comportement d’une partie des automobilistes ensuite, qui laissent leur voiture pour le bus. Même si l’idée des navettes gratuites était bonne, il faut arrêter le bricolage et lancer le projet, en l’accompagnant d’une enquête de satisfaction des premiers usagers sur les bus neufs mis en place. Par exemple sur la propreté, la climatisation, etc. Cela permettra d’être prêt lors du lancement du service public dans 4 ans. »
Il réitère sur la compétence partagée entre la CADEMA et son transport collectif urbain Caribus sur le périmètre Dembéni-Mamoudzou, et le conseil départemental sur les transports interurbains sur le reste de l’île. « Les deux acteurs CADEMA et conseil départemental doivent mettre en place leur service public de manière progressive sur le territoire, or là, la CADEMA supporte seule le poids de l’ensemble des passagers. »
Justement, ça bloque, nous informe le président de la CADEMA : « Le plan de financement du projet intègre 35 millions d’euros de la part du conseil départemental. Or, sur les 5 millions qu’ils devaient nous verser pour la première tranche, nous n’avons reçu qu’un million d’euros. Ils évoquent des problèmes techniques en interne, mais en attendant, pour disposer de ces 35 millions d’euros, nous sommes contraints de contracter un emprunt. Et dire qu’ils veulent que nous reprenions la compétence du transport scolaire ! Cela ne pourra pas se faire sans leur accompagnement. En tout cas, pour Caribus, heureusement que l’Etat et l’Europe nous aident car le conseil départemental ne répond plus ! » Il déplore aussi de ne pouvoir utiliser les arrêts de bus construits par le conseil départemental à Hajangua, Iloni, Tsararano, Tsoundzou, etc., « cela rendrait bien service à nos navettes, mais le conseil départemental refuse ».
Des pontons pas du tout «bling-bling » !
Pour le 3ème vice-président du Département Ali Omar, ce n’est qu’une question de timing, qui considère que le million d’euros n’était qu’un acompte, « en attendant que l’on vote le budget définitif le 12 avril prochain », tout en annonçant que par ces temps de difficultés budgétaires au Département, tout serait compté. Même réponse à notre question sur un début de mise en place de transport en commun interurbain qui doit compléter le Caribus hors zone CADEMA, « nous attendons le vote du budget 2023. »
Pour l’expert en mobilité Mohamed Hamissi, c’est là que les taxis auraient eu toute leur place : « Une feuille de route a été rédigée avec la Chambre des Métiers et les taxis Vanille pour l’intégration des taxis au transport interurbain, mais jamais mise en place. Cela les aurait forcé à se professionnaliser. » Ce n’est pas trop tard pour tout activer.
Il prône aussi l’alternative dans les modes de transport, « les habitants ne peuvent pas être contraint à prendre le bus, cela doit venir d’eux, donc ils doivent pouvoir avoir le choix entre le Caribus, la voiture, les transport interurbain, les navettes maritimes, le vélo, la moto… ». Là aussi c’est en cours, et c’est du court terme, nous assure Rachadi Saindou : « Nous lançons le marché des liaisons maritimes d’ici le 15 avril, en visant des embarcations de 50 places qui iront à 8 nœuds ». Donc peu rapides, mais un service qui devrait être opérationnel mi-2024, indique-t-il, « et c’est indispensable car lorsqu’on va attaquer la colline après l’amphidrome en direction de Kawéni, ce sera compliqué de circuler. »
Pour y arriver, on manque toujours des pontons inlassablement annoncés depuis 2015, mais toujours pas sortis de l’eau, « tant pis, nous faisons actuellement des études de faisabilité à Iloni et nous allons voir comment récupérer le ponton d’Ironi Be. On va sûrement dire que ce n’est pas à nous de le faire, et ce ne sera pas ‘bling-bling’ dans un premier temps, mais ça permettre de lancer le service de desserte maritime. »
Sur un projet ambitieux de transports urbain et interurbain, la CADEMA se retrouve un peu seule à porter le flambeau, et on lui en demande même plus, en commençant à décliner l’activité pour un service au top en 2024.
Anne Perzo-Lafond