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Mamoudzou

Tribunal correctionnel : Petits arrangements entre amis à la mairie de Tsingoni

Le maire de Tsingoni, Bacar Mohamed, ainsi que deux entrepreneurs comparaissaient ce mardi devant le tribunal correctionnel de Mamoudzou pour trois affaires « d’atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics ». L’édile de Tsingoni était aussi à la barre pour prise illégale d’intérêt. La poursuite de son mandat est en jeu.

Ce n’est pas tous les jours qu’un maire en exercice se voit convoqué devant la justice. Les faits qui sont reprochés au maire de Tsingoni se sont déroulés entre 2017 et 2021. Que reproche-t-on exactement au premier magistrat de cette commune ? Ce dernier aurait manqué de rigueur et de clarté, voire même aurait pratiqué du « saucissonnage » concernant l’attribution de certains marchés publics par la commune. En effet, le code des marchés publics est très clair, au-delà d’une certaine somme il y a des règles qui doivent s’appliquer comme la mise en concurrence et/ou la déclaration (publicité) publique de certains marchés.

Or, Mohamed Bacar aurait omis à plusieurs reprises de pratiquer certaines règles, et parfois même aurait découpé un marché en plusieurs tranches afin de ne pas dépasser un certain seuil. Le code des marchés publics stipule que quand un chantier dépasse les 25.000 euros il doit y avoir une mise en concurrence de plusieurs entreprises, en général trois. De plus, quand un marché dépasse les 90.000 euros il y a non seulement l’obligation de mise en concurrence mais également d’en faire la publicité dans des magazines spécialisés, en mairie, ou sur le site internet de la commune afin d’avertir les sociétés potentiellement intéressées. Apparemment, monsieur le maire serait passé outre ou se serait arrangé pour ne pas dépasser certains seuils, c’est ce pourquoi il est mis en cause.

« Nul n’est censé ignorer la loi »

C’est en 2019 que la chambre régionale des comptes est saisie pour examiner les opérations et les marchés publics de la Ville. La chambre constate de nombreuses infractions notamment le défaut de mise en concurrence et de publicité. Les enquêteurs ont ainsi constaté l’absence d’appel d’offre pour les marchés publics et de mise en concurrence alors que les prestations ont bien été réglées.

Mayotte
« Les règles de droit n’ont pas été respectées », se voit reprocher Mohamed Bacar

Même si le maire de Tsingoni plaide la bonne foi et la volonté d’améliorer la vie des habitants de sa commune, il aurait passé des commandes publiques au détriment du droit français en pratiquant à plusieurs reprises du « saucissonnage » des marchés. Comme par exemple pour repeindre le groupe scolaire de la Ville, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur pour un total de plus de 125.000 euros. Sauf que pour monsieur le maire ce n’est pas du tout le même chantier, mais deux marchés bien distincts. L’un étant chiffré à 58.000 euros et l’autre à près de 67.000 euros. Ils sont donc bien inférieurs à 90.000 euros, ne nécessitant donc pas de publicité.

Par ailleurs, les perquisitions menées à la mairie de Tsingoni n’ont rien donné, aucune trace de devis. « J’avoue qu’il y avait un défaut dans la méthode de rangement et d’archivage », je justifie l’édile. La présidente du tribunal, étonnée, l’interroge. « Comment expliquez-vous que deux lettres de commande aient été faites le même jour pour refaire les peintures de l’école pour des montants inférieurs à 90.000 euros et sans mise en concurrence ? C’est mon adjoint en charge des affaires scolaires qui s’en est occupé, répond-t-il. J’étais à Paris à ce moment-là pour une mission au sein du ministère des Outre-mer. A mon retour les travaux étaient réalisés. Mon adjoint et le directeur des services techniques n’ont pas attendu que le marché soit publié car il y avait urgence, l’école était en mauvais état, ils ont donc engagé les travaux. Mais pour moi, le chantier extérieur et celui de l’intérieur de l’école sont deux marchés différents ».

La présidente du tribunal poursuit, « En tant que maire vous êtes responsable de l’engagement des dépenses de votre commune… – Les volets administratifs et techniques ce n’est pas de mon ressort, c’est aux agents de le faire, c’est pas mon problème. Les devis ont bien été déposés mais comme je vous l’ai dit, nous n’avions pas de service d’archivage. Ce n’est pas au maire d’archiver les documents, indique-t-il – Vous devez quand même vous assurer que les choses ont été faites correctement, lui dit la présidente – J’étais absent. A mon retour les travaux étaient réalisés mais les entreprises n’ont pas été payées durant un an, c’est pour ça que j’ai signé la lettre de commande ». On apprend ainsi que Mohamed Bacar s’est absenté près d’un an de Mayotte pour une mission au sein du ministère des Outre-mer, à la suite de laquelle il aurait pris un congé. Lors de son retour, les travaux étant réalisés, il fallait payer les entreprises.

C’est au tour de la procureure de questionner le maire de Tsingoni. « Vous êtes élu depuis 2014, vous devez donc connaître le code des marchés publics. Nul n’est censé ignorer la loi, a fortiori quand on est maire, assène-t-elle – Les travaux ont été réalisés avant, j’ai signé les devis après. On a régularisé a posteriori. Il y a bien eu un appel d’offre mais on n’a pas retrouvé les dossiers. N’étant pas là j’ai délégué au maire adjoint », raconte-t-il. Le ministère public, plus que dubitatif, a demandé les preuves de cette mission au ministère. Rien. En ce qui concerne le second marché public d’un montant de 39.000 euros, aucune trace des devis. « Tous les dossiers ont été pris par la chambre régionale des comptes », se justifie-t-il.

Conciliateur de justice, Mayotte
Le tribunal judiciaire

Or cette dernière, dans un audit de la mairie, a révélé que dans deux tiers des cas il n’y avait pas de documents, ni de justificatifs concernant la mise en concurrence. La présidente évoque ensuite la troisième affaire concernant cinq marchés, pour un montant total de plus de 210.000 euros, divisés en plusieurs tranches de travaux dont les plus chers s’élèvent à 84.000 euros. La directrice financière de la mairie aurait été surprise de voir arriver sur son bureau, un beau jour, cinq devis de la même entreprise estampillés « bon pour accord » et datés de trois mois auparavant. Ces devis concernaient l’aménagement des équipements sportifs de la commune alors que ce n’était pas prévu. Sentant une potentielle fraude, elle aurait adressé une lettre au maire l’avertissant de cette irrégularité dans la mesure où il dérogeait aux règles des marchés publics, d’autant plus que le budget de la commune ne le permettait pas.

La vente de parcelles communales à des proches pour trois euros le mètre carré

Le maire de Tsingoni est également accusé de prise illégale d’intérêt. Il aurait proposé au conseil municipal une délibération concernant la vente d’un terrain de 860m2 appartenant à la commune pour la modique somme de 2580 euros à quatre personnes, dont trois auraient des liens de parenté avec lui. Le directeur général des services (DGS) aurait rédigé cette délibération sur ordre du maire mais sans indiquer le prix, ni les liens de parenté des acquéreurs avec Mohamed Bacar. Une conseillère municipale siégeant dans l’opposition a alors averti le procureur de la République de cette prise illégale d’intérêt.

D’un point de vue financier c’était un sérieux manque pour la commune car selon les estimations ce terrain était évalué entre 69.000 euros (fourchette basse) et plus de 127.000 euros, soit une perte au minimum de près de 66.000 euros. Sachant que cette parcelle ne rentrait pas dans le cadre des cessions de terrains voulues par la commune pour accompagner les habitants dans l’accès à la propriété. « En mettant le mètre carré à ce prix, je voulais inciter la population à devenir propriétaire, se défend le maire. Par ailleurs, parmi les autres acquéreurs, il y avait seulement une de mes filles avec laquelle j’ai un lien de parenté, les autres je ne les connaissais pas », complète-t-il. Face au refus du maire adjoint en charge de l’aménagement et du développement du territoire de procéder à une telle cession, Bacar Mohamed lui aurait retiré sa délégation en juin dernier. « Il ne faisait pas bloc avec l’équipe municipale. Il était arrogant et irrespectueux. Il fallait le retirer de l’équipe », explique-t-il.

La décision sera rendue le 9 mai prochain.

Sans surprise, la procureure a pointé du doigt la négligence de l’édile et son peu de connaissances des règles en matière de marchés publics, ainsi que ses déclarations souvent discordantes. « Il n’y a aucun justificatif, aucun document, aucun appel d’offre. Vous avez fait l’objet d’un signalement de la part de la chambre régionale des comptes. Les règles de droit n’ont pas été respectées, entrainant un préjudice pour la commune de Tsingoni. De plus, il y a eu prise illégale d’intérêt dans la cession de parcelles communales », déplore-t-elle.

Aussi, dans son réquisitoire elle a demandé que le maire de Tsingoni soit condamné à 24 mois de prison avec sursis, 7.000 euros d’amende et dix ans d’inéligibilité. La décision du tribunal sera rendue le 9 mai prochain.

B.J.

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