En 2016, année de pénurie qui nous semblait déjà vertigineuse, ça maugréait sous les ombrelles : alors qu’il ne pleuvait que trop rarement, les autorités ne faisaient rien pour inciter à la récupération d’eaux de pluie, même pire, feraient de l’obstruction. Puisque le mauvais sort semble revenir avec des retenues collinaires à peine remplies en cette presque fin de saison humide, nous voici avec un double handicap : pas d’eau de ruissèlement faute de pluies, et une perspective de mois de juin à novembre à sec faute d’eau dans les retenues collinaires qui devraient prendre le relais.
Il ne faut donc cracher sur rien, et garder notre salive pour expliquer à tous que la récupération des eaux de pluies va au moins permettre d’abreuver nos WC et jardins… un minimum. Sans se lancer dans les grand discours, l’Humanité comprendra un jour qu’utiliser de l’eau potable pour construire une maison ou tirer la chasse n’est que pure folie. Comme nous l’avons rapporté, un WC absorbe 36 litres quotidiens par personne… familles nombreuses s’abstenir !
Alors que la loi relative à l’utilisation des eaux de pluie est appliquée depuis 2008, on ne savait pas trop sur quel pied danser à Mayotte. Nous avons donc contacté l’ARS, qui est depuis 2016, spécifique à Mayotte et non plus océan Indien, pour connaître son orientation. Officiellement, elle a toujours été favorable, quoique, nuance Anil Akbaraly : « A Mayotte, on a toujours cru que l’ARS était opposée à la récupération des eaux de pluies. Ça date du temps où par crainte que le paludisme se dissémine, la DASS, ancêtre des ARS, avait alerté sur ces dispositifs qui pouvaient se transformer en gîtes potentiels. Nous suivons évidemment la réglementation qui autorise les équipements de récupération des eaux de pluie pour certains usages, comme le lavage des sols de la maison, des voitures, du linge sous condition, mais l’interdit pour tous les usages alimentaires, l’hygiène corporelle comme les douches, ou la vaisselle ».
Interdit dans les établissements sanitaires
Ils sont autorisés pour les établissements publics, à l’intérieur comme à l’extérieur, « sauf dans les établissements dits sensibles, indique Said Nassur, Ingénieur d’études sanitaires à l’ARS Mayotte, comme les établissements de santé, médico-sociaux, les hôpitaux, les cabinets dentaires, et également les écoles élémentaires et les crèches, mais dans les collèges et lycées, c’est autorisé. »
Autorisé, mais sous condition d’une installation aux normes, « dans les autres établissements et chez les particuliers, il faut un double réseau sans aucune interconnexion entre les deux au risque de polluer le réseau public. Il faut également apposer une plaque de signalisation ‘eau non potable’ ».
Et cela se fait sous la responsabilité de chacun, nous explique Christophe Riegel, Responsable de la cellule Eaux d’alimentation de l’ARS Mayotte : « Nous intervenons en cas de défaillance, s’il y a un risque en cas de mauvaise connexion et un risque de pollution du réseau public. Mais sinon, c’est l’exploitant ou le privé installateur de son dispositif qui doit respecter la réglementation. »
A savoir que la Direction de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt (DAAF) juge comme étant une non-conformité mineure l’utilisation d’eau non-potable pour les cultures maraichères.
Avoir une installation couverte pour éviter les piscines à moustique, et s’orienter vers des dispositifs aux normes permet d’être à l’abri de toute mésaventure, et peut-être de bénéficier d’aides si les acteurs se décident.
De la douche aux WC
Car comment inciter à ce geste somme toute citoyen, alors que les prix peuvent s’envoler d’un distributeur à l’autre. De 150 à 350 euros dans une surface de bricolage locale pour respectivement 300 ou 650 litres, la cuve de récupération de l’or bleu tombé du ciel peut aller jusqu’à 5.000 euros pour seulement 3 fois plus de capacité chez un installateur de la place.
Les accompagnements viennent généralement des collectivités qui ont la compétence de l’eau, mais le problème étant national, il faut voir si l’Etat envisage de prendre des mesures équivalentes à celle de la défiscalisation sur les panneaux photovoltaïques. En Martinique, la Collectivité territoriale finance la pose de système de récupération à hauteur de 75% pour les entreprises agricoles, et de 90% en fonction des revenus pour les particuliers. Et l’Office De l’Eau Martinique accorde des subventions pouvant aller jusqu’à 30%, pour les autres secteurs (activités industrielles et artisanales, activités agricoles, activités associatives et collectivités publiques).
Des mécanismes d’incitation sont localisés, notamment grâce au décret du 8 juillet 2011 qui autorise les communes ou les intercommunalités à prélever auprès des propriétaires, privés ou publics, une taxe visant à financer la gestion des eaux pluviales. Pour les propriétaires équipés de dispositifs limitant les rejets d’eaux pluviales hors de leurs terrains, des abattements allant jusqu’à 90% sont prévus.
Il est possible que le déficit en pluviométrie en métropole incite à l’inventivité sur ce chapitre. Notamment, du côté des stations de lavage de voitures, fermées pendant plusieurs semaines faute d’eau en 2022.
Et certaines initiatives personnelles sont inspirantes, comme ce plombier de Seine-et-Marne qui, agacé d’imaginer que l’équivalent d’un pack de 6 litres d’eau partait dans ses toilettes, a inventé un système de récupération d’eau de douche, vers la chasse d’eau des toilettes après avoir été filtrée, comme le rapporte le Parisien. La foire aux bonnes idées est ouverte !
Anne Perzo-Lafond