Lorsque nous avons reçu l’article de Médiapart , intitulé « Le gouvernement cache un rapport explosif sur la situation tragique de Mayotte Mediapart« , nous nous attendions à découvrir des informations inédites, avec une vision stratégique quelque peu différente de l’île que celle qui est affichée à Paris. Car ce rapport aurait été rédigé en janvier 2022 par une mission spéciale, composée des inspections générales de six ministères (intérieur, justice, affaires sociales, finances, éducation et affaires étrangères), « qui a auditionné plus de 300 personnes dans tous les corps de l’administration et de la société pendant plusieurs semaines », nous apprend l’article.
Or, force est de constater, que s’il y a révélations, elles sont éparses, et portent notamment sur un mea culpa sur l’échec de la lutte contre l’immigration clandestine, un fait avéré, mais jamais assumé par le gouvernement, et l’état de la justice et des traitements des affaires. Sinon, il reprend de manière quasi générale les données de l’INSEE sur un territoire « pauvre parmi les riches, et riche parmi les pauvres », pour reprendre une terminologie d’un ancien directeur de la structure à Mayotte.
Une partie des éléments du rapport « caché » tels qu’ils sont révélés par Médiapart, ne sont sensationnels que pour ceux en métropole qui découvrent le territoire, et cela semble être le cas des auteurs : « Mamoudzou, surnommé ‘le plus grand bidonville de France’. En 2017, l’Insee estimait que l’île comptait 40 % de logements informels », « 8 personnes sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté », « ‘la lutte contre l’immigration irrégulière ne parvient pas à empêcher l’entrée et l’installation de très nombreux clandestins à Mayotte’, peut-on lire dans le rapport, qui suggère de renforcer les moyens nécessaires à la PAF pour réduire le nombre d’arrivées sur l’île », « Selon le scénario le plus alarmiste de l’Insee, l’immigration comorienne pourrait conduire à comptabiliser 760 000 habitants à l’horizon 2050 (…) la situation deviendrait explosive », « Les enfants comoriens ont beaucoup de mal à être scolarisés à Mayotte, car les collectivités font blocage en prenant prétexte du manque d’infrastructures et de places », « l’offre de soins […] reste encore très insuffisante », « précarité alimentaire des jeunes » jugée comme « massive », « difficulté de mise en œuvre des dispositifs de distribution des repas dans les écoles, collèges et lycées », « 9.200 enfants en âge d’aller à l’école primaire n’y avaient pas accès en 2020 », un chiffre donné par le précédent recteur lui-même.
« Défaut de formation » des juges
Il ne fallait pas s’attendre à un satisfecit du journal à l’annonce de l’opération Wuambushu du ministre de l’Intérieur, qui pointe l’effet néfaste des destructions des bidonvilles et d’interpellation des « têtes de réseaux de délinquance ». Les éléments nouveaux que renfermerait le rapport, portent sur les reconduites aux Comores, les mineurs non accompagnés « ne seraient pas les bienvenus », rapporte Mediapart, sans que cette mention ne soit étayée.
Autre passage partiellement nouveau, la critique par un rapport qui émanerait du gouvernement, sur le système judiciaire. « Il y a un défaut d’attractivité qui empêche une certaine stabilité et entraîne un turnover important, mais aussi un défaut de formation ou de hiérarchie intermédiaire dans les recrutements, avec des magistrats sortis d’école se retrouvant aux côtés d’un président d’audience très expérimenté. On rencontre des difficultés liées à la langue, aussi, car les interprètes ne sont pas assez nombreux. » La situation était malgré tout en partie connue puisque dénoncée à chaque audience solennelle, des difficultés actées donc et une première réponse apportée avec l’envoi d’une brigade de 6 nouveaux magistrats. En attendant l’arrivée promise de greffiers.
Un article qui laisse donc son lecteur habitant Mayotte sur sa faim, toutes les données citées comme « explosives » ayant déjà explosées. Le déficit de politiques publiques a de maintes fois été dénoncé. Reste à s’interroger sur les raisons qui ont poussé le gouvernement à ne pas le rendre public, si ce n’est que le mea culpa reflète les échecs d’une départementalisation mal préparée. La Cour des Comptes n’a pas fini d’avoir eu raison.
Anne Perzo-Lafond