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Les coupeurs de route ne sont pas au bout de leur peine

A l’occasion du dernier jour du procès en assises des coupeurs de route, on croyait être au bout de nos surprises…Que nenni ! Le présumé chef en avait encore sous le pied et n’a pas manqué d’aplomb afin de faire valoir son innocence.

Au début de l’audience, le président du tribunal, Cyril Ozoux, a tout d’abord demandé à l’accusé atteint de cécité de venir à la barre afin qu’il s’explique sur les traits de personnalité qui ont été décris hier par les experts psychologues et psychiatres, mais surtout qu’il raconte ce qu’il a fait de l’argent, 210.000 euros, qu’il a perçu après avoir reçu du plomb dans la figure lors d’un cambriolage. Et c’est là que les choses deviennent intrigantes

Un train de vie insolant au regard des conditions de vie de la population mahoraise

Le président rappelle brièvement les faits. « Vous avez perçu au total près de 210.000 euros en deux fois, 90.000 euros en 2015 et 119.000 euros en 2018. Lorsque les enquêteurs vérifient vos comptes bancaires en septembre 2018, il ne reste plus qu’environ 57.000 euros. Question simple : qu’avez-vous fait des 150.000 euros restants ? Ma copine de l’époque dépensait aussi l’argent, elle avait également ma carte, répond-t-il. Le président poursuit. Vous n’avez pas envoyé d’argent à votre famille à Anjouan, notamment pour la construction d’une maison ? Ah si j’ai envoyé de l’argent. Combien ? Demande Cyril Ozoux. Je ne sais plus bien.  Je vais vous le dire, rétorque le président du tribunal. D’après les enquêteurs 27.000 euros dans un premier temps. Vous vouliez retourner vivre à Anjouan ? Vous avez pourtant obtenu la nationalité française quand vous aviez 17 ans. Pourquoi vouloir retourner à Anjouan ?

dans ce procès les dossiers étaient volumineux

On apprend ainsi grâce aux écoutes téléphoniques menées de juin 2018 à octobre 2018 que l’accusé envoyait régulièrement de l’argent  à ses proches et qu’il avait des projets dont notamment l’achat de terrains, de maisons, mais aussi de monter un business de magasins.

« En tant que Français vous ne vouliez pas investir à Mayotte ? interroge le président. Si répond, le prévenu je voulais investir ici. Pourtant ce n’est pas ce qu’indiquent les retranscriptions des écoutes téléphoniques. Puisque vous lui dites, lors d’un appel au mois de juillet 2018, qu’à Mayotte tout est contrôlé et que de toute façon une fois votre passeport obtenu vous partiriez pour Anjouan. C’est mon père qui m’a manipulé, je lui ai envoyé de l’argent mais je n’ai jamais eu envie de maison là-bas ».

Cyril Ozoux, toujours incisif, continue de le questionner, notamment lors de son interpellation le 6 juin 2018 où il était en possession de 1.000 euros en liquide. « C’est une grosse somme, qui plus est ici à Mayotte. C’était une collecte en commun ce n’était pas pour moi ».

Au fur et à mesure le président du tribunal tire le fil de pelote de laine…La banque de l’intéressé ayant remis aux enquêteurs ses relevés de compte, on découvre ainsi qu’il avait un train de vie impressionnant et qu’en 2016, il dépensait en moyenne par mois 5.000 euros et qu’en 2018 c’était entre 6.000 et 7.000 euros en moyenne par mois. « Que faisiez-vous de cet argent ? Ce sont des sommes énormes ! Je donnais de l’argent à ma mère. Mais comment justifiez-vous le retrait de plusieurs centaines d’euros par jour, ce n’était pas pour votre mère ? Ma copine avait aussi ma carte je ne voyais pas vraiment…».

Le code de procédure pénal

L’accusé a également dû quitter sa banque car suspecté de fraude financière par le réseau tracfin. Mais ce n’est pas tout ! Lors de son arrestation, en juin 2018, il a été mis en examen et devait se soustraire à un contrôle judiciaire et payer une caution de 30.000 euros demandée par le juge des libertés et de la détention. Somme qui n’a jamais été versée alors qu’il avait encore sur ses comptes bancaires au mois de septembre 2018 plus de 57000 euros. Or, en novembre 2018, les comptes avaient été vidés entièrement.

« Je n’ai jamais eu envie de vider mes comptes monsieur le président. Pourtant les écoutes indiquent que vous demandez à votre père de bien garder votre maison et de bien garder les économies que vous allez lui envoyer. Vous souhaitiez mettre en place un petit business avec cet argent ? Non monsieur le président, j’ai fait des bêtises…De quel genre ? interroge Cyril Ozoux. Avec les femmes…J’ai commis pas mal d’adultère. C’est pour cela que vous m’avez envoyé une lettre en août 2022 m’indiquant que trois personnes pourraient vous disculper et vous servir d’alibi au moment des faits ».

Après vérification par les gendarmes, aucune de ses personnes n’a confirmé qu’elles étaient avec l’intéressé.

Une personnalité ambiguë

L’enquête de personnalité menée par les experts montre que l’accusé à une tendance à la dissimulation et à la manipulation. Qu’il a besoin de prendre l’ascendant et de dominer les autres et qu’il n’est pas timide, contrairement à ses dires. « Je ne vais pas vers les femmes ce sont elles qui viennent vers moi », explique-t-il à la cour. Concernant l’obtention de la nationalité française il l’aurait obtenu à l’âge de 17 ans quand il était encore en famille d’accueil. « On m’a dit que j’avais le droit de faire une demande avant mes 18 ans ».

Comme il est allé à l’école et a fait l’effort d’apprendre le français, son dossier a été accepté. « Vous avez donc la double nationalité, française et comorienne ? lui demande le président. Vous étiez content d’avoir obtenu la nationalité française ? Cela m’a permis de suivre des formations et d’apprendre les savoirs de base ».

Puis ce fut à l’avocat général de procéder à son réquisitoire. Dans un ton théâtral, il commence. « Ce procès me fait penser à une peinture de Goya , l’attaque de la diligence avec les bandits de grand chemin, narre-t-il. Vous, les coupeurs de route vous êtes les tristes héritiers de ces bandits. C’est d’un autre temps et c’est intolérable dans une société de liberté où l’on a le droit de circuler, d’aller et venir comme bon nous semble, s’exclame-t-il. Vous avez la chance de vivre dans un pays démocratique. Vous échappez à la roue de la torture ».

L’avocat général a requis les mêmes peines qu’en première instance

Puis il commence à rappeler le traumatisme subi par les victimes lors de ces attaques. « Il faut s’imaginer à la place de ces gens à cinq heures du matin dans leur véhicule les vitres brisées face à des gens cagoulés et armés. Leur tort ? Le fait d’aller travailler. C’était une opération de représailles ni plus ni moins. Les témoins le disent : Vous expulsez les anjouanais, on va tous vous tuer ! Vous étiez donc venu pour ça. Votre participation à ses actes barbares ne fait aucun doute. Les témoins ont maintenu les accusations à votre encontre. Vous êtes un chef de bande, vous manipulez les gens. Les écoutes téléphoniques ont beau montré la culpabilité de l’accusé ce n’est jamais lui, c’est toujours quelqu’un d’autre à chaque fois. Vous essayez d’avoir réponse à tout. Pour moi vous êtes coupable ça ne fait aucun doute ! ».

Quant au second accusé, qui lui a reconnu sa participation aux faits commis le 8 juin 2016. « Si mes calculs sont bons, vous êtes déjà condamné avec des faits précédents à 32 années de prison, plus les 16 ans que vous avez pris l’année dernière cela fait 48 années de prison cumulées ». Silence dans la salle d’audience.

L’avocat général à la fois lassé et énervé a donc requis contre les deux prévenus les mêmes peines qu’en première instance, à savoir 18 ans de réclusion criminelle pour « le chef » et 16 ans pour son lieutenant.

L’avocat de la défense, maître Konde, n’a bien évidement pas suivi la position du ministère public et s’est évertué, d’une part à démontrer que le chef en question ne pouvait pas être l’organisateur présent sur les lieux. Que d’autre part, il n’était pas le chef et qu’enfin n’étant pas le chef il ne pouvait pas être mêlé de près ou de loin à cette affaire, car « l’accusation était simplement basée sur les déclarations d’un groupe », argumente-t-il.

Après avoir délibérés, les jurés n’ont pas retenu les circonstances aggravantes relatives à l’appartenance ethnique et ont condamné l’accusé Maendjibou SAINDOU (le chef) à la peine de 16 années de réclusion criminelle et prononcent à son encontre une interdiction de détenir et de porter une arme pendant 5 ans. L’accusé Abdoulanziz AHAMAD SAID ALI (le lieutenant) est condamné à la peine de 15 ans de réclusion criminelle, ainsi qu’une interdiction de détenir et de porter une arme pendant 5 ans.

Benoît Jaëglé

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