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Acoua, un long chemin à parcourir pour entrer dans les clous, selon la Chambre des Comptes

Troisième épisode de la saga initiée par la Chambre régionale des Comptes de contrôle des compétences scolaires des communes de Mayotte à travers leur gestion financière. Cette fois, c’est la petite commune du Nord-Ouest, Acoua, qui est interrogée au tableau, et elle n’a pas la moyenne. Même ses écoles sont sous l’eau !

Si les deux premières communes à avoir essuyé les plâtres, Dzaoudzi Labattoir et Bandraboua recevaient les encouragements, et quasiment les félicitations des magistrats de la CRC – toutes choses complexes égales par ailleurs à Mayotte – ce n’est pas le cas d’Acoua.

Nous commencerons par la situation financière « fragile » de la commune, car elle conditionne le reste. La période étudiée de 2017 à octobre 2022, porte sur la fin de mandat d’Ahmed Darouechi (juillet 2014-juillet 2020), et le début de Marib Hanaffi. Le contrôle a donné lieu à douze recommandations.

La commune d’Acoua, composée des deux villages, Acoua et Mtsangadoua, est la moins peuplée de Mayotte mais avec une croissance démographique de 10 % entre 2012 et 2017. Le contrôle a porté sur la situation financière, budgétaire et comptable de la commune et l’exercice de la compétence scolaire.

La lecture du rapport nous ramène en arrière, lorsque nous écrivions que la CRC « épinglait les communes » dépourvues d’outils de gestion. La plupart se sont grandement améliorées depuis. Pas la mairie d’Acoua qui ne tient pas de comptabilité d’engagement. Pourtant obligatoire, elle permet de réserver des crédits nécessaires aux paiements et d’assurer leur disponibilité au moment des dépenses. « Elle n’assure aucun pilotage de ses achats ni de sa masse salariale, qui commence à s’infléchir seulement en 2021, en raison d’une diminution des effectifs et des participations de l’État au titre des contrats aidés. » Soulignons en aparté que la politique de l’Etat dans ce domaine n’aide pas les communes, en incitant et en « désincitant » le recrutement des ces emplois au gré des courbes du chômage.

Grâce à la bascule de l’octroi de mer du conseil départemental vers les communes, les recettes fiscales sont dynamiques et ont progressé de 19 %, passant de 1,99 M€ en 2017 à 2,4 M€ en 2021.

Mis en cause par la CRC sur ses indemnités et celles de ses élus, le maire Marib Hanaffi, a depuis rectifié le tir

Indemnités hors normes pour les élus

Deux indicateurs interrogent sur la gestion depuis 2020. L’excédent brut de fonctionnement (EBF), qui traduit la capacité de la commune à dégager un excédent de fonctionnement pour ensuite créer de l’épargne), qui « évolue positivement depuis 2017 jusqu’en 2020 » ce qui « démontre des efforts de la commune sur la maîtrise de ses dépenses », mais diminue ensuite en 2021.

Même tendance pour la capacité d’autofinancement (CAF) qui représente l’excédent de ressources de fonctionnement utilisable par la collectivité pour assurer le remboursement de ses dettes et pour financer partiellement de nouvelles dépenses d’équipement. Elle s’améliore considérablement entre 2017 et 2021, passant de 38.428 euros en 2017 à 238.461 euros, mais elle devient négative en 2021 (-80 504 €) : « la commune n’est plus en mesure d’autofinancer de nouveaux investissements et elle ne peut plus faire face au remboursement de son emprunt. »

Plus inquiétant, le maire Marib Hanaffi, qui avait crié à la « situation financière catastrophique », lors de son arrivée aux manettes, en évoquant des emprunts non remboursés et des factures impayées, s’est voté une indemnité sur le haut du tableau en 2020. « La délibération de 2020 n’est pas conforme à la règlementation. En effet, la commune accorde au maire et à ses adjoints les montants maximaux accordés par les textes », et idem pour les conseillers municipaux. « En conséquence, depuis août 2020, les sommes versées aux élus excèdent le plafond de l’enveloppe autorisée, dénonce la Chambre, C’est un total de près de 63 000 euros que la commune a trop versé entre le 1er septembre 2020 et décembre 2021 ». Suite au contrôle de la chambre, la commune est entrée dans les clous.

10% de population scolaire en plus

La mairie d’Acoua

De fait, la compétence scolaire est à l’image de la gestion, financière, elle n’est « pas assumée par la collectivité », juge la CRC.

La commune d’Acoua compte six écoles : trois élémentaires et une maternelle dans le village d’Acoua, une école élémentaire et une maternelle dans le village de Mtsangadoua.

Nous avons comparé l’évolution de la population scolarisée (et non scolaire car tous les enfants ne sont pas inscrits sur les listes), des trois communes étudiées. Rappelons brièvement que les élèves ont considérablement afflué entre 2017 et 2021 sur l’ensemble de l’île, sous le double effet d’une règlementation allégée sur les inscriptions (simple attestation sur l’honneur de domiciliation), et de la scolarisation dès 3 ans de la loi pour une Ecole de la confiance.

A Acoua, les effectifs ont augmenté de près de 10 %, passant de 1.044 à 1.158 élèves en 2021. « La progression devrait se poursuivre au cours des prochaines rentrées scolaires ». Bandraboua a dû encaisser une augmentation de 13% de ses effectifs, deux communes beaucoup plus touchées que Dzaoudzi Labattoir donc, qui n’a connu qu’une hausse de 2 % de ses scolaires, qui cache malgré tout un + 12 % en maternelle. Dans ces trois communes, tous les enfants ne sont pas scolarisés, puisque le ministère avait autorisé un échelonnement en commençant par les 5 ans. « Ni la commune ni le rectorat ne disposent de données relatives au taux de scolarisation des enfants de 3 à 5 ans à Acoua ».

Si l’Etat a imposé la scolarisation des 3 ans et plus, il prévoit des compensations financières. Pour les percevoir, il faut prouver une augmentation des charges de fonctionnement pour les écoles maternelles entre les rentrées scolaires 2018-2019 et 2019-2020. Mais faute d’une comptabilité fonctionnelle, la commune ne peut le prouver, et se passe donc de recettes importantes.

Chambre régionale des Comptes, Acoua, Mayotte
Une classe envahie par la boue lors du cyclone Hellen en 2014. Depuis, la situation n’a guère évolué

Des élèves les pieds dans l’eau… à Acoua

« Malgré la surpopulation scolaire, l’investissement dans les écoles n’est pas au cœur des préoccupations de la commune qui n’y a consacré que 19 % de son budget investissement entre 2017 et 2021, soit environ 1,4 M€ sur un total de 7,4 M€ », souligne la Chambre.

Si les deux écoles de Mtsangadoua ont fait l’objet de réhabilitations importantes entre 2019 et 2021, les quatre écoles d’Acoua sont notées « en mauvais état ». Il faut dire que trois d’entre elles sont situées en zone inondable, et c’est la particularité de cette commune, avec une situation quasiment identique en saison des pluies qu’en crise Covid pour ce qui est de l’accès des enfants : Acoua 1 est classifiée en « aléa fort inondation par submersion marine », Acoua 2 et Acoua maternelle sont en « aléa fort inondation par ruissellement urbain », l’école d’Acoua 2 est en effet construite sur une ancienne zone marécageuse : « en saison des pluies, l’eau remonte de la nappe phréatique peu profonde et inonde les salles de classe du rez-de-chaussée, de sorte qu’elles ne sont plus utilisables ». L’école maternelle d’Acoua subit des inondations « même lorsque les pluies sont d’intensité moyenne ». « La continuité pédagogique n’est alors plus assurée pour les élèves de maternelle, qui doivent attendre que les salles de classe soient de nouveau disponibles, tandis que d’anciennes salles ont été aménagées pour accueillir les élèves d’Acoua 2. » Peut-être faut-il rebaptiser la commune dont le nom veut dire « eau » (aqua) en espagnol !

Les investissements nécessaires pour répondre aux enjeux des constructions scolaires à Acoua ne font pas encore l’objet d’une programmation pluriannuelle. A la demande de la DEAL qui assure une mission de conseil, la commune a conclu en octobre 2021 un marché public pour l’élaboration de son schéma directeur de développement des écoles et de la restauration scolaire, financé à plus de 70 % par la DSCEES (Etat). Son objet est de réaliser un état des lieux des écoles existantes et de définir un programme d’investissements (restauration, services…), en réalisant également une étude du foncier pouvant accueillir de nouvelles écoles. Les opérations doivent être chiffrées, un planning prévisionnel fourni et les modes de financement étudiés. Une priorisation des travaux les plus urgents devrait être établie.
La décision de réalisation de nouveaux travaux neufs ou d’amélioration de l’existant est aujourd’hui suspendue aux résultats du schéma directeur, dont les premières conclusions étaient attendues avant la fin de l’année scolaire 2021-2022.

Sept des douze recommandations concernent des obligations budgétaires, financières et comptables.

Anne Perzo-Lafond

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