Après avoir tiré au sort six jurés, dont deux ont été récusés par la défense, le tribunal a choisi d’en prendre trois de plus portant le total à neuf jurés qui vont, pendant quatre jours, entendre les deux parties. Le président du tribunal à la fois méthodique et méticuleux mais également pédagogue a demandé à la dizaine de victimes présentes si elles se sont constituées partie civile. « Cela vous permet une reconnaissance officielle du statut de victime et de pouvoir demander des dommages et intérêts », explique-t-il. Puis il commence à rappeler les faits et rien que les faits. « Il y a deux séquences dans ce dossier une le 8 juin 2016 et une autre le 16 juin 2016 ». Toutes les deux se sont passées près de Tsararano.
Deux affaires en une
Le 8 juin 2016, le PSIG (Peloton de sécurité et d’intervention de la gendarmerie) est appelé en pleine nuit vers 4 heures du matin. Quand il arrive sur les lieux entre Tsararano et Ongoujou, il constate un barrage avec deux véhicules en feu de part et d’autre dans les deux sens de la route. « Ça ressemblait à une embuscade », indique le directeur de l’enquête de l’époque, en visioconférence depuis la métropole. « Il y avait plusieurs voitures à l’arrêt. Les victimes sont venues à la rencontre des gendarmes en sortant de la forêt pour leur dire qu’elles avaient été agressées et dépouillées par une quinzaine d’individus cagoulés et armés et qu’une autre personne avait été enlevée. Elles ont été victimes de menaces et on leur a dérobé leur téléphone portable, de l’argent, ainsi que leur carte bancaire avec le code ».
Puis l’enquêteur parle de la nuit du 16 juin ou des faits similaires se sont produits entre Dembéni et Mamoudzou. « Nous avons été appelés aux alentours de 4 heures ou 5 heures du matin. Quand les gendarmes sont arrivés sur place ils ont constaté un barrage avec des véhicules en feu des deux côtés de la route. Nous avons pensé que c’était sans doute la même bande étant donné que c’était un mode opératoire identique et dans le même périmètre que huit jours auparavant. Le constat était le même, à savoir des véhicules en feu et une grosse branche d’arbre au milieu de la chaussée. Les victimes ont fait part d’agressions similaires en précisant qu’une dizaine d’individus cagoulés et armés avaient surgi des bananiers avec des bâtons, des couteaux, des pierres, une hache, un fusil et un pistolet. Sous la menace ils se sont faits dépouiller de leur téléphone et de leurs objets de valeur », raconte-t-il devant le tribunal.
Après avoir fait des relevés d’empreintes et des prélèvements sur les lieux puis des investigations, les enquêteurs ont par la suite pu identifier et interpeller les délinquants afin de mener des interrogatoires. Comme le souligne le président du tribunal, « En réunissant les deux séquences celle du 8 et celle du 16 le préjudice matériel total s’élève à 50.000 euros ».
Comme souvent les accusés contestent les faits reprochés
Lors de leur garde à vue plusieurs participants ont avoué et reconnu les faits et ont dit qu’il y avait deux chefs, ceux-là même qui comparaissent cette semaine. Il faut dire que les deux individus ne sont pas des primo délinquants puisqu’ils ont un casier judiciaire long comme le bras, notamment l’un d’eux comme le rappelle le président du tribunal en énumérant impassiblement les infractions : « Vous avez été condamné par le passé à six ans de prison pour vol en bande organisée, séquestration, extorsion avec armes, détérioration du bien d’autrui.
Puis il poursuit. Vous avez également été condamné à quatre ans de prison pour vol avec violence aggravée mais aussi par la cour d’assises l’année dernière à seize ans de réclusion criminelle ». Le deuxième accusé, qui a été condamné aussi plusieurs fois par le passé, à lui écopé de dix-huit ans de réclusion criminelle en 2022 devant cette même cour d’assises.
Ainsi, l’un des prévenus conteste sa culpabilité et la peine prononcée, le deuxième a fait appel car jugé en tant que majeur en 2022, alors qu’il était mineur au moment des faits. L’imbroglio, c’est que dans son dossier il y a plusieurs dates de naissance, une de 1996 et une autre de 2000… Il sera jugé comme un majeur pour ce procès, indique le président du tribunal.
Aussi au cours de l’audience, les interrogatoires des enquêteurs ont fait ressortir qu’il s’agissait d’une vengeance, de représailles d’anjouanais envers des mahorais suite à un décasage par la population, effectué plusieurs jours auparavant, en mai 2016, dans lequel avaient participé des mahorais et que la femme d’un des mis en cause, alors enceinte de 8 mois, avait été expulsée. Le chef de bande avait contesté son implication lors de son interrogatoire, arguant que les accusations à son encontre étaient fausses, que ses anciens camarades mentaient et voulaient se venger.
Après enquête il s’est trouvé qu’il possédait, en septembre 2018, quatre comptes bancaires pour un montant total de 57.432 euros. Après lecture de son dossier, cette somme proviendrait d’une indemnité financière qu’il aurait touché étant plus jeune, correspondant à un préjudice corporel où il aurait perdu son acuité visuelle.
Les témoignages et l’ordonnance d’accusation sont sans appel !
Bien qu’ils démentent avoir participé aux deux barrages, les interrogatoires menés par les enquêteurs à l’époque plaident contre eux puisqu’ils ont été mis en cause par plusieurs participants notamment en tant que commanditaire et donneur d’ordre. Le chef de bande voulant ainsi se venger du décasage aurait même payé ses comparses pour organiser ces barrages de route et arrêter les personnes d’origine mahoraise.
C’est ce que dit l’ordonnance d’accusation du juge d’instruction que lit à voix haute le président du tribunal. « L’appartenance des victimes à une ethnie ou une nation est clairement établi. Il y avait une bande organisée avec une hiérarchie où chacun avait un rôle bien défini ». Il rappelle par ailleurs les chefs d’inculpation concernant les deux accusés pour les deux séquences. Il leur est reproché : séquestration en bande organisée, vol en bande organisé, destruction en bande organisée conduisant à des incendies, dégradation en réunion, le tout envers des personnes pour leur appartenance à une ethnie.
Après avoir attentivement écouté une partie des victimes, le tribunal, en ce deuxième jour d’audience, va donner la parole aux différents experts afin d’établir le profil des deux accusés.
B.J.