Le 10 février, soit la veille de ce qui devait être l’arrivée majestueuse d’un paquebot de croisière dans le lagon, l’agent maritime GMC (Groupe La Perrière) qui gère sa venue reçoit un courrier de Michel Mouhamadi Madi, directeur de l’Agence de Tourisme et d’attractivité de Mayotte (AaDTM, ex-CDTM) l’informant de l’impossibilité « de déployer l’accueil habituellement réservé aux escales de croisière sur le ponton de Mamoudzou ». Et ce, en raison de « nombreux manquements à notre dispositif d’organisation liés principalement à l’annonce tardive de l’escale et à l’impossibilité d’avoir un contact direct avec les responsables à bord du navire. »
Une missive qui ne passe pas, et le premier à réagir est l’agent mauricien du navire, Arnaud Teycheney, qui a choisi GMC pour superviser l’escale océan Indien du navire, et qui écrit à son représentant en se disant « très étonné par le contenu des propos de l’office du tourisme. Sauf erreurs de notre part, les autorités sont au courant depuis octobre 2022 (via la SMART) que le navire allait arriver au mouillage, demain, le 11 février. En plus nous comprenons qu’il y a eu, en sus de plusieurs échanges, une réunion on Visio conférence (Via la GMC) la semaine dernière », et déplore « de recevoir ce genre de réponse officielle 12hrs avant l’arrivée du navire ».
C’est également sur un ton très agacé que Pierrick Juban, responsable du service chez GMC shipping Agency, explique déplorer que l’Office de tourisme ne soit pas en mesure d’accueillir les passagers de l’ARTANI, « Ce n’est malheureusement pas la 1ère fois que notre agence, tout particulièrement, subit ces désagréments et que l’office de tourisme nous fasse faux bond à quelques heures de l’escale. » Il regrette un traitement « pas équitable » de sa compagnie GMC, et le refus en réponse à leur demande d’intégrer le Club croisière, structure organisatrice des escales de paquebots à Mayotte.
La croisière, notre micro-niche touristique à chouchouter
A plusieurs reprises, le manager menace de remonter cette mauvaise gestion à l’échelle des tour operator internationaux, « cette décision unilatérale de l’office de tourisme sera naturellement fortement relayée auprès de l’ensemble des compagnies de croisières avec qui nous travaillons (…), le Seatrade à Miami a lieu prochainement, endroit où se rejoignent toutes les compagnies de croisières, tour operator, ports et agents consignataires, nul doute de Phoenix Reisen (l’armateur allemand du navire, ndlr) saura communiquer sur les problèmes rencontrés sur Mayotte. » Enfin, il clôt son courrier en indiquant que « l’image donnée de Mayotte et sa capacité de réactivité à 2 semaines d’un accueil touristique digne de ce nom n’est pas au niveau des standards demandés par toutes les compagnies de croisière ».
Surpris de cet incident alors que la croisière reste la seule manière d’importer des touristes à Mayotte, au regard de la publicité qu’en fait la délinquance, nous avons contacté Michel Mouhamadi Madi. Il se justifie par un dispositif incontournable sur place. « En 2013, un croisiériste allemand a été gravement agressé à proximité de Convalescence à Mamoudzou, avec des échos défavorables sur notre escale dans toute la presse spécialisée, on peut encore le lire de nos jours. Nous avons donc mis en place un Club croisière, rassemblant tous les acteurs indispensable à une escale. L’agent maritime SMART qui nous donne le nombre de passagers, la date d’arrivée du navire, celle de départ, la liste des nationalités, l’accès au navire, etc. Ainsi que l’agence réceptive, Baobab Tour en l’occurrence, les offices de tourisme pour une action coordonnée, et les représentants des polices nationale, municipales et de la gendarmerie nationale. » Un dispositif unique à Mayotte répètera-t-il à plusieurs reprises, et adaptée au contexte de l’île. « On ne veut pas qu’il y ait un autre incident ».
Cette organisation a été déployée à de nombreuses reprises, notamment en novembre et décembre 2022 lors de l’escale de deux paquebots. Le ponton croisière est décoré, des chants traditionnels entonnés, les taxis Vanille sollicités, pour emmener les passagers sur les sites d’excursion choisis et qui leur ont été au préalable présentés par l’agence réceptive d’Harouna Attoumani, également vice-président de l’AaDTM, qui travaille dans le secteur depuis 20 ans.
800 appareils photos dans la nature
Le club croisière se réunit en amont de la saison, vers le mois de novembre, pour lister les activités en fonction des dates d’arrivée des paquebots. Apparemment, l’arrivée d’un navire non programmé, et pourtant souhaitable, a bousculé les quilles. « Il y a trois semaines, j’ai reçu un appel de l’agence GMC shipping, qui m’annonce un bateau pour le 11 avril. J’explique la complexité du dispositif mais indique que nous ferons le maximum à réception du mail… qui n’est arrivé qu’une semaine plus tard », nous rapporte Michel Mouhamadi Madi. Qui émet alors des réserves, « à Mayotte, il faut mettre sur pied tout un dispositif policier, et dans ce cas ci, les policiers municipaux ne pouvaient pas être présents car une bonne partie était en formation. » De plus, la compagnie l’indique, il n’y aura pas d’excursion, « les passagers se rendront à terre individuellement ». Pour le responsable local du secteur touristique, c’est impossible, « habituellement, c’est 80% des passagers qui descendent à terre, donc 800 personnes environ dans ce cas, et souvent âgées, qui se seraient promenés dans Mamoudzou avec appareils photos et téléphones, non encadrés, c’est impossible ! »
Les excursions sont-elles proposées à un prix prohibitif que la compagnie aurait refusé ? Il assure que non, « nous les proposons, et les gens achètent ou pas, mais là, la compagnie ne voulait rien du tout, alors que la situation à Mayotte est spécifique. Et dans toutes les autres îles de la région Madagascar, Seychelles, Maurice, des excursions sont prévues, comme nous le faisons ».
Mayotte joue gros
Dans son mail, Pierrick Juban lui reproche d’avoir retiré la présence des taxis Vanille qui n’ont pas pu être mis à disposition des passagers. « Si nous avions maintenu la vingtaine de taxis, nous engagions notre responsabilité comme organisateur si quelque chose se passait mal, et l’image de Mayotte avec », se défend-il.
Moyennant quoi, le paquebot a malgré tout fait escale ce samedi 11 février dans le lagon, « deux ou trois chaloupes ont quitté le navire, mais quand ils ont vu que ça manifestait contre les retraites, ils sont retournés à bord. »
Il y a un passif entre GMC et l’AaDTM, « en 2018, la même agence ne nous a pas communiqué les informations souhaitées, mais nous avions quand même assuré l’accueil ». Le problème, c’est que GMC le promet, Mayotte sera black-listée. « Je sais qu’il nous menace, mais j’ai averti les Iles Vanille et la préfecture de nos échanges, et s’il y avait eu une agression, là, on aurait été définitivement bannis ! »
Quant à intégrer Pierrick Juban au Club croisière, Michel Mouhamadi Madi n’y voit « aucun problème ».
La croisière a perdu ses lettres de noblesse à Mayotte où une quarantaine d’escales étaient enregistrées il y quinze ans, avant une dégringolade en raison de guerres intestines, reste entre deux eaux, avec trois autres paquebots annoncés, un en mars, deux en avril, « avec la SMART, les partenaires sont déjà informés ».
Anne Perzo-Lafond