Suite à leur ’’avis d’expulsion’’ en décembre 2022 dernier, un certain nombre de personnes se sont réunies avec pour motif majeur de suspendre légalement l’arrêté préfectoral n’2022-SGA-1441 relatif à l’évacuation et la destruction de leurs respectifs habitats du quartier Talus 2 de Majicavo, commune de Koungou, avec pour certains, des demandes de dommages et intérêts s’élevant à 1 500 euros.
Décaser pour dégager du foncier ou bien trouver du foncier pour décaser ? En somme, qui de l’œuf ou de la poule au regard des volontés gouvernementales quant aux indiscutables besoins de régularisation et de développement de notre territoire mais aussi, et surtout, la triste réalité humaine sur notre île qu’on ne peut occulter, tout comme les droits fondamentaux de tout un chacun et ce, quel qu’en soit le statut juridique des individus.
Qui peut prétendre à l’exclusivité de la raison ? Qui n’a pas tord ? Où se situe la mince frontière de la neutralité journalistique entre l’obligation de relater les faits tels qu’ils sont, sans jugement ni émotionnelle implication et entre l’implicite orientation revendicative et justicière de sa plume ? Un épineux débat qui ne peut se statuer en un claquement de doigts tout comme la délicate position du juge des référés, Gil Cornevaux, président des tribunaux administratifs de La Réunion et de Mayotte depuis bientôt 4 ans.
Ne pas tout mélanger
En l’absence de Maître Marjane Ghaem, représentante officielle des 20 demandeurs, c’est son confrère Maître Erick Hesler qui a ouvert le bal argumentaire en une prise de parole lucide et engagée où les litigieuses anomalies de l’arrêté préfectoral, relatif à l’évacuation des habitants du quartier dit du « Talus », ont été pointées du doigt. En effet, aux yeux de la régularisation foncière territoriale, il est important de rappeler que tout terrain n’ayant pas de propriétaire attitré, et/ou légalement reconnu, est présumé ’’disponible’’ sous juridiction départementale.
Ce terrain justement du Talus à Majicavo, ne pouvait être classifié tel un squat illégal récent mais bien un quartier « d’habitats durables » selon les termes de Maître Hesler, où nombre de résidents étaient en règle, ayant leurs enfants scolarisés et, de surcroit, en démarches entreprises d’immatriculation pour l’attribution de ces différentes parcelles. Il ne s’agit donc pas d’une situation irrégulière pro immigrés relative à des problèmes de délinquance. En ce sens, l’avocat souligne « une loi non motivée avec pour unique volonté, l’expulsion de ces personnes ».
« Violation de l’article 197 de la loi ELAN » *
Le préfet ne pouvant se substituer aux textes de loi et la loi ELAN elle-même ne pouvant écraser les dispositifs légaux déjà existants en amont, il a été rapporté par l’avocat des demandeurs, qu’aucune notification individuelle prouvée au cas par cas n’avait été conduite auprès de chaque foyer concerné par cette évacuation. De même qu’en terme de légalité interne et externe, aucune motion relative aux solutions de relogement ou d’hébergement d’urgence n’avait été annexée dans l’arrêté. Motion qui explique de quelle manière et comment le logement serait adapté, l’intervalle des délais légaux etc.
Une notion d’urgence contestée
Au vu du nombre d’annuités d’occupation de ce terrain et des réalités locales portées à l’appréciation d’un logement dit ’’insalubre’’ ou non, là encore, Maître Hesler souligne un couac d’appréciation relatif à la loi ELAN et son article 197 ainsi qu’un manque évident d’objective légalité dans cette instruction.
En effet, comment justifier l’aspect ’’urgence’’ auprès de familles qui habitent en ces lieux depuis un certain temps. Par ailleurs, la procédure ayant pour obligation de tenir compte de rapports hygiène et sécurité délivré par l’agence régionale de Santé (ARS) ainsi que l’appréciation des risques graves de salubrité et sécurité, délivré par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), tous deux services de l’État rappelons-le, nous comprenons la problématique de neutralité soulevée dans cette épineuse affaire qui doit trouver sain équilibre entre intérêt public et droits des personnes.
Un système contre-productif
Selon l’analyse de Maître Hesler, les solutions mises en avant par le cabinet du préfet ne sont que partiellement complètes et poussent les personnes initialement stabilisées, à aller se reloger rapidement et ce, de manière autonome, en des structures encore plus insalubres, favorisant ainsi le lucratif business des marchands de sommeil. Une problématique donc amplifiée qui a manqué et manque de concertation. La loi ELAN devant « revoir sa copie » notamment dans l’approche locale et l’appréciation de ce qu’est « un logement adapté » tout comme les solutions concrètes qui sont par la suite mises en place.
La préfecture voit son engagement humain et de terrain
Représentée en la personne de Psylvia Dewas, chargée de la résorption de l’habitat illégal et de la construction de logements sociaux et de villages relais-Logement auprès du préfet de Mayotte, la partie adverse se dit dans l’incompréhension au regard de tout le travail préventif, anticipatoire et justement encadré et juridiquement légal qu’il y a eu en amont auprès des 75 ménages identifiés de ce quartier et des différentes solutions qui leurs ont été soumises, notifiées et actées par le Maire de la commune. Des ménages qui, au nombre de 20, ont eu des propositions avant arrêté. Des solutions motivées uniquement par la sécurité et le bien-être de ces personnes et de leurs enfants, sachant l’indiscutable insalubrité de leurs conditions de vie tout comme le caractère excessivement dangereux dû à la friabilité du terrain, sur lequel sont bâtis leurs habitats.
Ayant aspiration à respecter les droits humains et la possession des biens de tout un chacun lors des opération de « décasage », une solution inédite et innovante de prise en charge des effets personnels et de stockage a également été proposée et actée, subventionnée par l’État, en attendant que la situation des respectifs ménages concernés soit régularisée.
Cette information relayée par le cabinet du Préfet lors de l’audition nous a été confirmée par ladite structure qu’est AGS Mayotte.
Des solutions dites durables
À la trentaine de logements déjà livrés, s’ajoute désormais 10 logements à même le quartier du Talus, Koropa ainsi que 17 logements de gestion locative adaptée. Le but de toute cette logistique foncière étant justement de proposer des solutions cohérentes, pérennes et viables à l’ensemble des évacués, garantissant pour la majorité, leurs habitudes de vie au sein du même quartier. Les enfants pouvant ainsi continuer à suivre leur scolarité normalement en leur établissement actuel. Il est à noter que les logements dit « transitoires » n’ont pas à vocation d’être limités dans le temps. « les gens pourront rester le temps qu’ils souhaitent en attendant de trouver la solution la plus adaptée pour eux » nous précise Psylvia Dewas.
Bien qu’il soit juridiquement stipulé que les étrangers en situation irrégulière ne disposent pas, en principe, de droits en France et encore moins ceux d’être prioritaires au regard de logements et/ou relogements sociaux, Assani Saindou Bamcolo, maire de la commune de Koungou ainsi que l’État, se sont justement engagés à ce que tous les évacués du quartier du Talus 2 aient des solutions alternatives de relogement ainsi qu’un accompagnement social auprès d’associations locales.
Une audience et sa procédure discutables
C’est dans une certaine dynamique d’agacement et de légitime colère que le président du tribunal administratif de Mayotte, Gil Cornevaux, a conclu ce rôle par un mis en délibéré.
En effet, l’intégralité des mémoires devant être fournis en amont de l’audience, il s’avère que cela n’a pas été le cas et même pire, certaines pièces justificatives, devant être officiellement notifiées par le juge lui même, ont trouvées voie tardive de transmission par la partie Défendeur auprès de sa partie adverse et n’ont même pas été fournies au précité. « En 25 ans de pratique dans le milieu, je n’ai jamais vu cela, c’est un mépris total! Le juge administratif est quoi pour vous? Une nouille? On est vraiment dans un autre monde… », s’indigne Gil Cornevaux auprès des représentants de la préfecture en présence.
La procédure T.A. (tribunal administratif) ayant pour coutume de ne jamais indiquer de date précise, le jugement devrait être rendu d’ici une quinzaine de jours. La rédaction du JDM vous tiendra informés bien entendu.
MLG
* Loi ELAN – Art.197, À Mayotte et en Guyane, lorsque des locaux ou installations édifiés sans droit ni titre constituent un habitat informel au sens du deuxième alinéa de l’article 1er-1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement forment un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d’assiette et présentent des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique, le représentant de l’Etat dans le département peut, par arrêté, ordonner aux occupants de ces locaux et installations d’évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder à leur démolition à l’issue de l’évacuation. L’arrêté prescrit toutes mesures nécessaires pour empêcher l’accès et l’usage de cet ensemble de locaux et installations au fur et à mesure de leur évacuation.