Un peu comme pour le secteur scolaire, ce n’est pas la première fois que le décalage entre besoins et réalité nous saute au visage. Sauf que là, cela concerne tous les DROM : « Il faudrait actuellement 155.000 logements sur l’ensemble des territoires ultramarins, or, seulement 3.100 sont sortis en 2020 quand la loi égalité réelle mettait la barre à 15.000 par an. 3.000, ce sont les besoins sur une année sur le seul territoire de Mayotte selon la préfecture. » Celui qui fait ce constat est Directeur Outre-mer de l’Union Sociale pour l’Habitat* (USH). Mahieddine Hedli était à Mayotte il y a deux semaines dans le cadre de sa tournée des Outre-mer, qui fait écho à la grande conférence des bailleurs sociaux de fin novembre, présidée par le ministre Jean-François Carenco.
Qui en résumait la conclusion dans la presse nationale en ces termes, « il faut travailler sur les irritants points de blocage : libérer du foncier aménagé, simplifier les actes pour construire, maitrise les coûts de construction et disposer d’offre de logement adaptés au vieillissement de la population. »
Lorsque le préfet de Mayotte Jean-François Colombet avait évalué les besoins en logements à Mayotte, il se basait sur une étude de l’Établissement public foncier et d’aménagement (EPFAM), qui en chiffre la production entre 3.100 et 4.100 logements par an en construction neuve, dont un minimum de 1.000 logements aidés. Avec une contrainte aggravée à Mayotte, le maigre pouvoir d’achat des ménages.
C’est pour travailler sur la levée des freins locaux que Mahieddine Hedli a rencontré à Mayotte ce jeudi 15 décembre, la DEAL (Direction de l’Environnement et de l’Aménagement), et les trois bailleurs sociaux désormais présent sur l’île : l’historique Société Immobilière de Mayotte (SIM), qu’a rejoint la Société Coopérative HLM « Hippocampe Habitat », représentée par son vice-président Ali Moussa Ben, maire de Bandrele, et la toute dernière « ESH AL’MA », d’Action logement.
Quel risque à réévaluer le risque
Pour comprendre le rôle des bailleurs sociaux, il faut savoir qu’ils achètent des biens immobiliers, notamment à l’EPFAM à Mayotte, qu’ils louent à des ménages modestes contre un loyer modéré. « La difficulté à Mayotte n’est pas uniquement liée à la rareté du foncier, mais au prix auquel se libèrent les terrains aménagés et équipés. Or, il faut sortir des logements compatibles avec le niveau de revenu moyen des habitants », souligne Mahieddine Hedli.
Deuxième frein constaté sur l’ensemble des outre-mer, les contraintes administratives : « Elles sont liées aux documents d’urbanisme, dont le Plan Local d’Urbanisme, le PLU, qui ne sont pas adaptés aux réalités du terrain. Les zones à risque existent, mais sont étendues sur de larges espaces, alors que bien souvent quand on affine l’observation, on constate qu’il est possible de construire, pour peu qu’on aménage en fonction, à l’aide de pieux ou autres. » Les logements sur des dentelles de pilotis sur les hauteur de Kawéni donnent une idée de ce qu’est le risque réel…
Des demandes qui sont portées à destination de la DEAL, et qui correspondent à une culture du risque parfois surdéveloppées dans nos administrations.
Lors de la conférence des bailleurs sociaux au ministère en présence d’Emmanuelle Cosse, ex-ministre du logement et présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), constat a été fait que d’autres normes administratives plombaient les constructions : « Les délais d’obtention des permis de construire par exemple, ou d’aménagement foncier, déjà pénalisants, en période d’inflation peuvent compromettre des opérations. Elles ne sont plus économiquement équilibrées, et les entreprises qui ont la maitrise d’œuvre réévaluent leurs prestations à la hausse ».
Rompre avec les techniques utilisées pour le « stade des avenants »
A Mayotte, nous avons souvent évoqué le déficit entre les besoins et les constructions, puisqu’en 2020, 250 logements étaient sortis de terre contre 3.000 attendus. « Et de plus, ce sont des logements intermédiaires, avec des loyers plus élevés que ce que peuvent fournir les habitants. » Et tout le monde est concerné, « il y a des salariés aux revenus modestes qui vivent encore dans des logements non décents. Il faut absolument lever les freins et construire ».
Nous avons amené Mahieddine Hedli sur le terrain des prix proposés par les majors du BTP sur un territoire exigu. Il faut rompre avec les techniques qui tuent les opérations, et que nous avions déjà dénoncées : des prix anormalement bas en début de programme pour emporter le marché, puis une réévaluation à coup d’avenants, sous divers prétexte de difficultés successives. Certains appellent d’ailleurs désormais le stade de Cavani qui est devenu un cas d’école, « le stade des avenants ». Attirer une nouvelle entreprise de BTP en espérant casser d’éventuelles ententes est une des solutions, ce que notre interlocuteur résume sobrement par, « au regard des enjeux, l’appareil de construction n’est pas au niveau des besoins. »
En prévision d’un échange franc, une réunion est prévue à Mayotte entre les trois bailleurs sociaux et leurs partenaires du BTP, « ainsi que le Medef local ». Car nous sommes dans une période inflationniste qui ne peut s’autoriser les écarts du passé, « il faut ramener les chantiers à des coûts acceptables, car même avec l’aide de la LBU**, la Ligne Budgétaire Unique, les opérations ne pourront pas être menées. » Et les entreprises en seront les premières perdantes.
Simultanément à la conférence organisée par le ministre Carenco avec les bailleurs, un décret a été publié qui institue 5 fonds de garantie à l’accession sociale et très sociale à la propriété dans les 5 DOM qui permettront d’accompagner les ménages ultramarins. « Le ministre a indiqué que des annonces sont à venir. De notre côté, et pour résumer la problématique, nous avons fait remonter que les 13.000 logements à construire nécessitent de lever les freins administratifs, délais de permis de construire, délais d’affectation de la LBU, délimiter plus précisément les zones à risque, et les freins économique qui déséquilibrent les opérations en raison de l’inflation sur les prix. »
Agir sur l’existant, c’est une première bataille que veut mener l’USH.
Anne Perzo-Lafond
* L’Union sociale pour l’habitat représente, en France métropolitaine et dans les territoires d’Outre-mer 593 opérateurs HLM
** La LBU est une subvention de l’Etat