Sans précipitation, les suggestions de manœuvres sont données au capitaine du porte-conteneurs de l’Africa Two. Gilles Perzo, pilote au port de Longoni, guide l’officier afin d’accoster le navire. Le quai se rapproche à allure réduite ce qui n’empêche pas le capitaine de s’impatienter dans la transmission de ces ordres à son équipage. Le talkie-walkie devient peu à peu une caisse de résonance d’un langage fleuri. Pourtant, aucun problème ne se profile. Le retard accumulé semble porter préjudice à la bienséance du capitaine. Au quai numéro 2, le bateau précédent a dû stopper l’opération de transbordement pour ne pas retarder à outrance la mécanique du port.
Un travail de nuit impossible en raison de l’insécurité
Avec un unique quai fonctionnel, les embouteillages sont aussi le lot de ces géants des mers. Certes, un cimentier est accosté au quai numéro 1, malgré son caractère dégradé, mais précise le pilote, « ce navire a eu une dérogation car c’est le seul endroit où il est en mesure de pouvoir décharger ». D’ailleurs, son départ prévu pour après 17h se retrouve désormais décalé d’une heure, au soleil déclinant. Il serait tentant de penser qu’au regard de l’importance stratégique de ce lieu, les manœuvres puissent aussi s’effectuer de nuit, les conteneurs, tels des globules rouges, venant sans interruption alimenter l’organisme économique de l’île. Pourtant, il n’en est rien.
« Etant donné l’insécurité, les auxiliaires de surveillance du port et les marins du remorquage ne veulent pas venir travailler la nuit », renseigne Gilles Perzo. Un préjudice qui pèse sur les armateurs et donc sur Mayotte. En effet, les bateaux doivent attendre au mouillage – c’est-à-dire son immobilisation grâce à son ancre – à quelques encablures du port en attendant leur tour pour le transbordement. « L’attente coûte de l’argent aux compagnies maritimes d’affrètement», souligne le pilote, ce qui semble induire une rentabilité moindre pour elles concernant leurs activités. Cette situation revêt une dimension d’autant plus dommageable que la situation géographique du département offre des avantages certains pour devenir une plaque tournante du commerce maritime dans le canal du Mozambique.
La nature a horreur du vide
Toutefois, non loin de plagier un ancien président de la République, un problème arrivant rarement seul, avec l’absence de manœuvres nocturnes, le balisage – pour guider les navires dans la nuit – a perdu en capacité opérationnelle. « Les deux feux d’alignement du Bandraboua par Mtsongoma sont éteints » ainsi que « le feu directionnel de Handrema », commente Gilles Perzo. Une problématique qui se répercute aussi pour les plaisanciers ou les pêcheurs. « La nature ayant horreur du vide, rien n’empêche les pêcheurs de s’aventurer la nuit aux abords du port.
Le jour où il y aura une reprise de l’activité de nuit, des collisions pourraient avoir lieu », prévient-il. Autre difficulté, « le dernier pilote recruté a très peu fait de sorties de nuit, enchaîne Gilles Perzo, ce qui veut dire que le jour où on ressortira un navire de nuit, il faudra avoir un second pilote pour l’accompagner ». Certes, si le nombre de pilotes manœuvrant dans le port est plus que suffisant pour assurer la continuité de son service sur les heures d’activité, une situation de doublon dans un même navire constitue un gaspillage de temps et de ressources humaines.
Alors que le soleil entame sa descente, le talkie-walkie du pilote grésille. On l’informe qu’un des navires au mouillage a pris la décision de ne plus accoster. « Je ne sais si la raison de son départ est due au fait qu’il a perdu du temps au mouillage », note Gilles Perzo, mais pour lui « là, la démonstration que Mayotte fait, c’est qu’on décourage les armateurs ».
Pierre Mouysset