Le procès en vue du jugement des personnes poursuivies après l’enquête relative au fameux programme de citoyenneté économique (Pce) aura lieu du lundi 21 au mercredi 23 novembre devant la Cour de sûreté de l’Etat à Moroni. Au total, quinze personnes ont été inculpées. Il y a cinq étrangers dont Bachar Kiwan, considéré comme le chef d’orchestre des opérations de vente de passeports.
A la barre, la justice comorienne attend physiquement quatre inculpés, les autres étant à l’extérieur du pays alors que tous les étrangers n’avaient jamais répondu à la convocation du magistrat instructeur. Ce dernier, dans son ordonnance de renvoi de 74 pages, les a tous poursuivis pour des faits de « corruption, détournement de fonds publics, concussions, forfaiture, faux et usage de faux » présumés, tous requalifiés en haute trahison. Les mis en cause ont été tous renvoyés devant la Cour de sûreté de l’Etat.
Un manque à gagner présumé de plusieurs centaines de milliards de francs comoriens
La justice comorienne, justifiant la requalification de haute trahison contre l’ancien président, a fait savoir que les faits reprochés à ce dernier ont été commis dans l’exercice de ses fonctions. Deux anciens vice-présidents Mohamed Ali Soilihi en charge des Finances de 2007 à 2009 puis vice-président du même portefeuille de 2011 à 2016, Nourdine Bourhane, secrétaire général du gouvernement comorien sous Sambi puis vice-président en charge de l’Aménagement du territoire de 2011 à 2016 ont été convoqués à la barre pour les mêmes chefs d’inculpation requalifiés.
Les audiences, présidées par le juge Omar Ben Ali, ancien procureur de la République et doyen des magistrats sont organisées sous haute surveillance en raison d’éventuels débordements aux abords du palais de justice de Moroni. Des forces de l’ordre ont quadrillé la zone et créé un périmètre de sécurité limité aux avocats, aux inculpés et à leurs proches ainsi qu’aux journalistes. Il était question de diffuser les audiences en direct pour permettre à toute personne de suivre les débats en toute transparence.
A travers cette audience, la justice souhaite lever le voile sur ce programme de citoyenneté économique, situer les responsabilités des uns et des autres, évaluer le préjudice financier et moral, les ramifications des systèmes de vente de passeports à l’international qui auraient laissé un manque à gagner de plus de « 568.345.665.600 (cinq cent soixante-huit milliards trois cent quarante-cinq millions six cent soixante-cinq mille six cent francs comoriens) », selon toujours la même ordonnance en date du 10 septembre 2022, soit plus d’un milliard d’euro.
Les proches de Sambi dénoncent « une instruction à charge »
Le manque à gagner imputé à l’ancien président Ahmed Abdallah Sambi serait de « 43.305.848.800 milliards de francs comoriens », soit près de 100 millions d’euros, d’après l’ordonnance de renvoi du magistrat instructeur qui s’est fondé en grande partie sur l’enquête parlementaire de 2017 vivement contestée par les proches de l’ancien président qui a rejeté toutes les faits qui lui ont été reprochés.
Les partisans de Sambi ont dénoncé « un procès politique, un acharnement judicaire, une instruction à charge et une volonté de liquider politiquement l’ancien chef d’Etat ». Au cœur des controverses : la requalification des faits de détournements, corruption en haute trahison. Mais surtout le renvoi devant une Cour de sûreté de l’Etat dont les décisions ne sont susceptibles d’aucun recours. La fille de l’ancien président Tislam, avocate de formation, a remis en cause la légalité de cette juridiction d’exception et sa légitimité pour juger son père.
Aux Comores, les anciens présidents, vice-présidents (supprimés depuis le référendum constitutionnel de juillet 2018) ainsi que les ministres sont en principe traduits devant la Cour suprême qui siège en Haute cour de justice en cas de délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Sauf que la Haute cour de justice, prévue dans l’article 30 de la constitution en vigueur au moment des faits, n’avait jamais été créée.
La justice comorienne a jugé nécessaire de renvoyer les inculpés devant la Cour de sûreté de l’Etat « au nom du parallélisme de forme » et surtout pour éviter « un déni de justice » puisque, selon de sources judiciaires « la Cour de sûreté est la juridiction la plus proche de la haute cour de justice inexistante pour connaitre des mêmes faits ». Pour la justice, affirmant fonder sa logique sur une doctrine juridique, « il fallait trouver une cour qui remplira les conditions similaires de la haute cour de justice pour juger les personnes inculpées au lieu de créer un précèdent dangereux de déni justice ».
Comme nous l’avions expliqué dans un précédent article, le programme de citoyenneté économique devait générer des milliards de francs comoriens, permettre à l’Union des Comores d’engager de gros investissements dans les infrastructures. Les projets annoncés n’ont jamais vu le jour. Les fonds annoncés n’ont jamais atterri dans les caisses de l’Etat à l’exception de quelques milliards enregistrés dans le livre de la Banque centrale des Comores (BCC), soit l’équivalent de 7,6 milliards de francs comoriens qui ont servi au financement de travaux de construction de routes et de ruelles. « Le mécanisme d’attribution des passeports et de recouvrement des fonds de contrepartie ont manqué de transparence et ont occasionné un manque à gagner important au pays », indique l’ordonnance du juge.
A.S.Kemba, Moroni