« La proportion de grossesses précoces est stable à Mayotte, aux alentours de 5 % de la totalité des naissances ». Julien Fontaine, sage-femme coordinateur maternité au Centre hospitalier de Mayotte (CHM), rappelle les chiffres pour l’année 2021 : « cela représentait 4,66 % des naissances sur l’île soit 490 accouchements ». Un nombre de grossesses précoces de mineures à mettre en parallèle avec la situation en France métropolitaine puisque ces dernières « représentait en 2013, 0,58 % des naissances en métropole ».
Des situations de précarité sociale et économique
Certes, si d’un point de vue médical l’utilisation de la césarienne est inférieure aux autres tranches d’âge, il n’en reste pas moins que le jeune âge de la patiente constitue un facteur de risque avéré aussi bien pour elle (anémie) que pour le bébé (prématurité). En outre, les conséquences d’une grossesse précoce, à un âge où le corps subit de profonde transformation liée à la puberté, sont également visibles au niveau des troubles psychologiques avec le développement d’une certaine vulnérabilité. Et ce, alors que le milieu socio-économique est souvent fragilisé par une précarité importante. Sans oublier, si la mineure est scolarisée, le risque probant de sa déscolarisation et de son isolement.
Si certaines grossesses précoces sont post-viol, ce n’en est pas pour autant une constante. En revanche, note Houssamie Mouslim, psychologue clinicienne à Mayotte, « la majorité des mères indiquent avoir été victimes très tôt dans l’enfance de violences à caractère sexuel ». Des violences souvent minimisées par le cercle familial, quand ce n’est pas la famille qui rejette la victime en lui faisant porter le fardeau de la culpabilité. Autant d’éléments participant à renforcer la détresse psychologique des futures mères. S’y ajoute également la difficile acceptation des grossesses hors mariage pouvant conduire à l’ostracisassion de la jeune mère accentuant davantage la détresse psychologique et sociale.
Pour les jeunes filles de quinze ans ou plus, le manque de communication sur la sexualité dans la sphère familiale peut générer un tabou « en raison de la peur d’inciter les jeunes à la pratique sexuelle », note Warda Chanrani conseillère conjugale et familiale. L’absence de contraception ou la négligence de cette dernière, y compris masculine, sont des facteurs qui entrent en ligne de compte. En revanche, la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste indique qu’aucun adulte ne peut se prévaloir du consentement sexuel d’un enfant s’il a moins de 15 ans.
Les signalements permettent de dépister des réalités difficiles
Dès lors des signalements sont effectués auprès du parquet par le CHM, les PMI ou encore le rectorat lorsque des jeunes de moins de 15 ans se retrouvent en situation de grossesse. A ce titre, la substitut du procureur Cassandre Morvan a pris la parole afin de rappeler que « pour prendre la meilleure décision possible suite au signalement, il faut obtenir un maximum d’informations possible pour retrouver la personne, l’entendre et lui proposer une aide ». Ainsi si la mineure est en danger ou l’enfant, il est alors possible de saisir le juge pour enfant afin d’envisager un éventuel placement. A cet égard, la cellule de recueil des informations préoccupantes du Département (CRIP) permet de faire également remonter des signalements. Selon sa coordinatrice Anna Dax, « 509 signalements ont été réalisés en 2020 et 737 en 2021 ». Créée en 2008 avec initialement trois professionnels, la cellule compte désormais 15 personnes. Cependant pour Anna Dax, « il faudrait au moins le double de l’effectif ».
Néanmoins, si le débat a permis de faire avancer des points de vue contradictoires sur les causes et les conséquences pouvant engendrer des grossesses précoces, tous les participants ont admis le caractère « complexe » que revêt cette réalité sociale.
Pierre Mouysset