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(Re)fondation de la Santé à Mayotte : commencer par accéder aux soins

« Votre enfant est malade au milieu de la nuit, comment faites-vous pour qu’il soit pris en charge ? » A cette question posée par l’ARS Mayotte, ses nombreux interlocuteurs composés de professionnels de santé et de citoyens, auront mis la matinée pour répondre, témoignages de souffrances à l’appui. A travers plusieurs annonces, les hommes et les structures étaient au cœur des solutions.

La situation de la médecine de ville est encore pire que ce qu’on imaginait à Mayotte à entendre Ymane Alihamidi Chanfi, directrice générale de la Caisse de Sécurité Sociale de Mayotte (CSSM) : « Nous enregistrons 34 médecins libéraux conventionnés, mais seulement 26 sont en activité réelle sur le territoire ».

Se faire soigner au milieu de la nuit et même de jour, une gageure à Mayotte selon l’avis de tous les participants de la matinée dédiée au volet santé du Conseil National de la Refondation (CNR) à la MJC de Combani ce samedi, à l’invitation d’Olivier Brahic, Directeur général de l’Agence Régionale de Santé Mayotte. Pas innocent que ce village ait été choisi, il doit accueillir le 2ème hôpital de Mayotte, doté d’urgences, annoncé par le président de la République lors de son passage il y a trois ans.

Initié par Emmanuel Macron, le CNR est pensé pour trouver des solutions innovantes « face aux défis à venir, tant au niveau national qu’au plus près de chez vous. » Et au plus prés de chez nous, il n’y a pas assez de médecins.

Très sollicité, le SAMU pourra recourir à des ambulances privées

En témoigne l’ancienne députée et médecin, Ramlati Ali : « Je me suis blessée en début d’après-midi, impossible d’avoir une ambulance pour aller à l’hôpital. Et je suis hospitalier ! A Mayotte ce n’est plus un désert médical, mais une catastrophe médicale. » Une infirmière renchérit : « Nous avons très souvent des appels la nuit, à 22h ou 2h du matin, de patients que nous suivons à domicile. On s’interroge, on y va ou pas ? Avec le risque de barrages sur les routes si on l’amène jusqu’au Centre de référence de Kahani », le plus proche de Combani. « Certains appellent le 15, mais sans réponse, ils sont débordés. »

Les réponses, c’est le Projet Régional de Santé (PRS) en cours de rédaction qui devra les apporter. D’où la nécessité d’en avoir un spécifique à Mayotte, et non un PRS océan Indien comme c’était le cas jusqu’à présent, ce qui explique en grande partie les retards accumulés. Par exemple, comme nous l’avions révélé, davantage d’ambulanciers pourront s’installer, dont des ambulances ASSU dotées de sirène et équipées pour les transports d’urgence.

Olivier Brahic, Ymane Alihamidi Chanfi et Jean-Mathieu Defour très sollicités sur la difficulté de se faire soigner correctement à Mayotte

« Je choisis le mahorais ! »

Il faut tout d’abord se doter en médecin. Sous deux biais. Recruter, ce qui sous-entend de « travailler sur leur rémunération, ce qui a été fait grâce aux amendements portés par Ramlati Ali », indiquait la DG de la Sécurité sociale, qui annonçait l’arrivée de la très attendue complémentaire Santé, la CSS (ex-CMU C) en 2024 à Mayotte. Les faibles revenus bénéficieront de soins gratuits chez le médecin. Ce qui devrait permettre à un plus grand nombre d’assurés sociaux d’y aller, et ainsi de désengorger l’hôpital. Mais cela suppose qu’il y ait suffisamment de médecins.

Deuxième biais, former des médecins locaux, « il y a une première année de Licence en accès santé au CUFR, mais ce n’est pas suffisant. On avait lancé une prépa médecine, mais les bacheliers l’ont boudée, ils la considèrent comme une Terminale améliorée. Il faut une vraie 1ère année de médecine à Mayotte », invoque Ramlati Ali. Complétée par Madi Moussa Velou, vice-président Chargé de la Santé au conseil départemental, « ensuite, les parents doivent inciter leurs enfants titulaires de diplômes de santé, à revenir sur l’île ». A l’initiative du conseil départemental, le directeur de l’hôpital était allé à la rencontre des étudiants mahorais en médecine à Paris, « ils sont prêts à s’installer si certains services comme la cardiologie, ou la recherche clinique sont mis en place ici. Un médecin va y travailler. » Jean-Matthieu Defour qui affichait sa préférence au recrutement local : « quand on ouvre un poste et que j’ai deux candidats d’un même niveau, je le dis ouvertement, je choisis le mahorais. »

Pluridisciplinarité de soins installée à Kawéni en 2019

En raison de l’insécurité, les médecins ne veulent pas rester isolés, et devraient être systématiquement intégrés au sein de Maisons de santé pluridisciplinaires, « avec plusieurs cabinets de spécialistes au sein d’un même bâtiment. Car nous avons l’exemple d’une médecin recrutée à Pamandzi qui s’est fait cambrioler deux fois et agresser, elle est repartie au bout de trois mois », indiquait la directrice de la CSSM.

Les Maisons pluridisciplinaires sont aussi une réponse au problème de foncier, « si on veut plus de médecins, les propriétaires immobiliers doivent être facilitateurs, or, ce n’est pas toujours le cas », nous glissait un intervenant.

Les infirmiers ont le bras long

Combani est une bonne illustration de ce qui va être généralisé, indiquait Patrick Boutié, Directeur de l’offre de soins et de l’autonomie à l’ARS, « nous avons dans un même centre, un médecin, un infirmier, un pharmacien, un kiné et un dentiste. On doit étendre ce concept à l’ensemble de l’île ».

Le calvaire des malades qui essaient de joindre des secours au milieu de la nuit, prendra fin lorsqu’une permanence de soins sera mise en place. C’est prévu, assure Jean-Matthieu Defour, directeur général du CHM : « Nous allons professionnaliser la permanence de soin en service d’urgence et dans chaque centre médical de référence* ». Comme nous l’avons révélé, il a à ce sujet annoncé la mise en place dans ces 4 CMR, des hélistations pour acheminer les malades « en moins de 10 minutes » au CHM.

En première ligne, les infirmiers attendent d’être sollicités à hauteur de leurs compétences renforcées

Le déficit en professionnels de santé ne doit pas faire oublier que les infirmiers peuvent désormais effectuer beaucoup de tâche, « l’infirmier est une porte d’entrée naturelle pour les malades », soulignait l’ARS, ils sont contactés souvent avant le 15. C’est pourquoi, les Infirmiers en Pratiques Avancées (IPA) ont toute leur place ici. Mise en place par la loi de modernisation du système de santé, la pratique avancée vise un double objectif : améliorer l’accès aux soins ainsi que la qualité des parcours des patients en réduisant la charge de travail des médecins sur des pathologies ciblées. Les infirmiers et infirmières que nous avons interrogés sur place estiment que cela ne va pas assez vite à Mayotte, ils souhaitent prescrire davantage, « quelle place voulons-nous donner sur ce territoire à ces professionnels qui ont de nouvelles compétences ? », interpellait le président de l’association des IPA, Nassurdine Ali face au manque d’ambition.

Comme en écho à la demande pressante de santé communautaire, ils peuvent faire de l’éducation à la prévention, « notamment sur l’épidémie locale d’hyper tension et de diabète ». Des places seront réservées à Mayotte dans la future formation d’IPA à La Réunion.

Beaucoup d’autres thèmes ont été abordés, et devraient se retrouver couchés noir sur blanc dans le futur Projet Régional de Santé, le premier pensé – et pansé – spécifiquement pour ce territoire en souffrance sanitaire qu’est Mayotte.

Anne Perzo-Lafond

* Les 4 Centres médicaux de référence de Mayotte : Dzoumogne, Kahani, Mramadoudou et l’hôpital de Petite Terre

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