« Mon déplacement s’inscrit dans le cadre d’une tournée syndicale entamée en Guyane et ce, dans la perspective des élections interprofessionnelles qui se dérouleront du 1er au 8 décembre prochains ». Cédric Boyer, délégué national DROM-COM du syndicat Alliance Police Nationale, expose les raisons de sa venue à Mayotte jusqu’au 23 octobre prochain : « il s’agit de présenter le nouveau bloc syndical que l’on vient de créer. Nous avons regroupé 13 syndicats, une démarche encore jamais réalisée dans l’histoire de la police nationale ». Une visite dans le 101e département loin de laisser indifférent le syndicaliste d’Alliance Police Nationale au regard des difficultés rencontrées par ses collègues de l’île.
Une attractivité de l’île portant préjudice
« On sait qu’être policier à Mayotte c’est difficile, plus qu’ailleurs », souligne Cédric Boyer. Un constat s’expliquant au regard d’un contexte migratoire spécifique, une délinquance particulière liée au phénomène de bandes. Cette situation a nécessité une adaptation du matériel, sachant que « nous avons affaire surtout à des mineurs », notamment avec l’arrivée prochaine d’armes du RAID. Le but, étant de parvenir à faire stopper les infractions et les émeutes, « tout en ayant le moins de risques possibles de décès, ou de blessures graves », les munitions qui seront utilisées présenteront un spectre d’utilisation plus adapté au contexte, a contrario des armes létales.
Mais au-delà des spécificités de l’exercice de la profession, les difficultés se retrouvent également au niveau des services administratifs internes à la police nationale qui se conjuguent à ceux déjà existants au niveau de Mayotte tels que la crise du logement. « Les services administratifs liés à la paye, au financier, tout ce qui est lié au médical prend énormément de temps », constate Cédric Boyer. Bacar Attoumani, secrétaire départemental d’Alliance Police Nationale abonde : « on a aussi des problèmes au niveau des ressources humaines avec des renouvellements de contrat qui ne sont pas fait à temps. Ou alors des jeunes policiers adjoints, ayant réussi le concours de gardien de la paix, qui ne peuvent intégrer leur formation car leur dossier n’a pas été transmis ». Une prise de retard nuisant incontestablement à leur carrière et à leur avancement futur. « Il y a un problème de fonctionnement », concède le délégué national, susceptible de porter préjudice aux aspirations de certains jeunes souhaitant intégrer l’institution. « Par certain blocage, on n’envoie pas forcément un bon signal à la jeunesse mahoraise », poursuit-il.
Favoriser le retour des policiers mahorais dans le département
Résultat, « il y a de moins en moins de policiers qui souhaitent venir à Mayotte », constate le délégué national. Sur ce point, le secrétaire départemental du syndicat Alliance Police 976 renchérit : « Cédric est venu alerter l’administration interne concernant ce déficit d’attractivité que ce soit aussi bien au niveau des policiers de métropole qui souhaiteraient venir s’installer à Mayotte avec leur famille qu’au niveau des jeunes mahorais qui souhaiterait s’engager dans la police ». Afin de favoriser les retours de policiers mahorais dans le département, le syndicat Alliance Police Nationale est favorable à la préférence nationale.
« On part du principe qu’à compétence égale il faut donner une priorité aux mahorais qui ont passé les concours, qui ont fait quelques années en métropole et leur permettre de revenir ensuite à Mayotte », détaille Cédric Boyer. Une plus-value indéniable en découlerait au regard « de leur connaissance du territoire faisant la différence dans de nombreux domaines ». Un avantage également pour « pérenniser la structure au regard des rotations d’effectifs», note Bacar Attoumani. Son collègue abonde : « on ne dit pas qu’il faut que des mahorais, mais ceux qui sont en métropole et qui ont une petite expérience puissent revenir au service de la population ». Une problématique allant de pair avec la redéfinition du découpage des zones police / gendarmerie.
Faire émerger de nouvelles perspectives de carrières
A ce titre, le délégué national rappelle que « la gendarmerie occupe 83 % du territoire ultra-marin. Cela donne 216 sièges de gendarmerie en outre-mer pour 16 commissariats de police ». Un déséquilibre alors même que la loi précise « qu’au-delà du seuil d’environ 25 000 habitants, on est en zone police et qu’en dessous on est en zone gendarmerie ». Dès lors, « ce que l’on demande, ce n’est pas de créer de nouvelles zones c’est d’en récupérer parce qu’elles devraient être en zone police », à l’instar de la commune de Koungou. Une particularité qui se retrouve dans les outre-mer avec « des exemples en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique », illustre Cédric Boyer. Pourtant, l’augmentation des zones de police permettrait d’accroître les possibilités de mutation en ouvrant de nouvelles perspectives de carrière tout en faisant diminuer le temps de service nécessaire afin de pouvoir prétendre à certaines affectations.
Par ailleurs, on constate à Mayotte une part conséquente de policiers adjoints dans le total des effectifs ; « 120 sur 680 », détaille Cédric Boyer. Une situation qui s’explique selon lui par le fait « que l’on comble avec ces jeunes policiers adjoints des postes de titulaires » permettant ainsi de réaliser des économies budgétaires. Or note-t-il, « leur statut de contractuel ne leur permettent pas de réaliser certaines tâches, limitant ainsi leur capacité d’actions » ce qui conduit l’interlocuteur à se questionner quant à la logique à adopter : « Est-ce que la sécurité des mahorais doit se discuter en termes budgétaires ? ».
La question de la sécurité est l’affaire de tous
Néanmoins, si la notion de budget doit être interrogée, Cédric Boyer entend clarifier les missions dévolues à la police : « On est souvent là en train de demander à la police ‘qu’est-ce qu’il faut faire pour endiguer ce phénomène de violences ?’ ». Pourtant insiste-t-il : « ce n’est pas à la police de trouver des solutions, ce n’est pas notre rôle. Notre rôle c’est de maintenir la sécurité des personnes et des biens. La justice c’est de condamner avec les outils qui sont à sa disposition ».
Dès lors, selon lui, la réflexion doit être portée au niveau des responsables politiques, aussi bien les parlementaires que les élus locaux ainsi qu’avec l’ensemble des parties prenantes au cœur des enjeux de société, « la question de la sécurité étant l’affaire de tous ». Il ne s’agit pas uniquement de porter la réflexion sur la sécurité de l’île à l’instant présent mais aussi de l’envisager à des horizons temporels à « dix, vingt voire trente ans », tout en prenant en considération certains paramètres encore peu présents sur l’île. « Aujourd’hui, on n’a pas de trafic d’armes, on n’a pas de trafic de drogues comme on peut le voir aux Antilles ou en Guyane. Mais le jour où les jeunes pourront avoir accès à cela, ce sera trop tard ». Un constat qui rappelle à sa manière l’aphorisme d’Emile de Girardin, « gouverner, c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte ».
Pierre Mouysset