A l’aune des carences langagières du [très] jeune personnel politique mahorais pour instaurer un dialogue crédible avec Paris sur les sujets éminemment majeurs et sensibles inhérents aux enjeux du développement de Mayotte, une question essentielle se pose, me semble t-il : l’éloquence du discours à la formule a-t-elle encore droit de cité dans la société mahoraise ou parler signifie séduire en peu de mots? A priori, non.
En effet, la recrudescence des conflits [d’intérêts] qu’il est possible d’observer ces dernières années dans les collectivités locales mahoraises entre le personnel politique et son administré démontre deux choses : d’abord il existerait bel et bien une certaine remise en cause de la fonction politique, d’une part. Et que d’autre part, cette remise en cause réside [en partie] dans une certaine forme de décadence et ou d’appauvrissement de la parole de l’homme politique. A qui la faute?
Chacun le sait : on naît poète, on devient orateur. Car, depuis les grands prédicateurs jusqu’aux prêcheurs cathodiques, en passant par les tribuns parlementaires, l’éloquence a toujours fait partie, en France, du panthéon littéraire. Près de nous, au sein de l’archipel, on se souvient qu’on s’est longtemps pressé dans les tribunes de l’assemblée des Comores pour aller y écouter quelques prêches célèbres. Nous citerons en guise d’exemple Younoussa Bamana, Pierre Mesmer, Ali Soilihi et l’éminent Aboudou Abdourahaman Mouloukandjee. Seuls quelques esprits courts limitent encore le champ littéraire à la seule fiction. Cette logique de réserve d’Indiens mettrait Bossuet, Lacordaire, Mirabeau, Barnave, Jaurès et tant d’autres disciples de Cicéron en marge d’une grande famille littéraire qui s’est toujours flattée, surtout depuis la Révolution française, d’être accueillante.
Il y a quelques années, on se souvient des cours de littérature française d’Alphonse Aulard, consacrant une étude fondatrice aux grands orateurs de la Révolution française, il acquiert une telle réputation que la Ville de Paris décide de créer pour lui, en 1885, ce qui sera la première chaire d’histoire de la Révolution à la Sorbonne. L’art oratoire avait gagné ses lettres de noblesses républicaines, comme l’art de la chair avait su s’imposer à la cours de Versailles.
Mais alors, que devient aujourd’hui dans notre société mahoraise de « théâtralité » où parler signifie séduire en peu de mots? Comme disait Lacordaire, « tout orateur à deux génies, le sien et celui du siècle » Le nôtre est-il propice à ce talent? N’est-il pas plutôt voué, à l’heure actuelle à la téléréalité et de la « pubocratie », à se marginaliser comme la poésie? Le plus souvent cet art si particulier a su s’adapter à son époque. Certes, l’art du discours cède le pas le plus souvent à de la formule « je vous ai compris » (De Gaulle) « I have a dream » (Martin Luther King) ou le plus souvent « Yes We can »(Obama) » « Nous ne voulons pas de l’indépendance à la merde…à la con » (Bamana), « Non, Karivindzé !» (Zaina M’déré).
Depuis ces célèbres discours de Younoussa Bamana et de Zaina M’déré, il est des moments si particuliers de l’Histoire où l’on prend conscience que la parole n’est pas seulement un mot d’esprit. Il lui arrive de refaire le monde. Ou tout au moins de tenter de le sauver en redonnant, comme le disait Obama, « cet espoir sans fin qui résume l’esprit de notre peuple » Et tous ceux qui sont sensibles aux mots. Parmi ces « très jeunes » personnels politiques, des écumes jaillissent : la voix d’un Mansour Kamardine tend à s’érafler peu à peu au profit d’un éloquent Soula-Saïd Souffou, président de son propre mouvement LTA (Le Temps d’Agir) et d’un talentueux Ambdilawahedou Soumaïla, actuel maire de Mamoudzou, la commune capitale de Mayotte. Mais en attendant de franchir le temple du panthéon littéraire, à l’heure actuelle, le discours politique autochtone n’offre que l’émotion. Cela explique en particulier le sentiment de pastiche et d’imposture qu’on éprouve à écouter un certain nombre de discours politiques contemporains des dirigeants locaux.
Derechef, l’une des erreurs fondamentales du personnel politique moderne est de penser que parler en faisant sans cesse référence à son destin personnel crédibilise le discours. Cela donne l’impression d’un monde réduit aux dimensions de celui qui parle. Cette mise en scène du « je » engendre une parole incapable de véhiculer quelque chose de l’ordre politique à tout le monde et en quoi chacun puisse se reconnaitre. Ce n’est pas la faute à Voltaire si nos dirigeants éprouvent moult difficultés à avoir une richesse revigorante des formules.
Madi ABDOU N’TRO
Poète-Essayiste mahorais