Les victimes sont nombreuses, et les infractions du prévenu s’élèvent à trois, en ce début de procès. La justice se penche alors sur un homme de 64 ans, d’apparence ordinaire. Pourtant, cet agent de la DEAL s’avère être à la tête d’un petit empire bâti illégalement, sorte de mini-Rockefeller mahorais, propriétaire d’une trentaine de bangas insalubres et d’un immeuble à plus d’un million d’euros.
L’affaire débute en 2018, lors d’une intervention de la brigade mobile de la PAF sur le chantier d’un immeuble dont le deuxième étage est en construction, à Chirongui. Sur place, les deux ouvriers présents ne portent ni casque ni autre forme de matériel de sécurité, et le site ne présente aucun permis de construire ostensible. Lorsque les policiers pénètrent sur le chantier, l’un des travailleurs prend la fuite. L’autre est comorien, parle à peine français, possède un titre de séjour mais aucun permis de travailler sur le sol français.
L’enquête établira que le permis de construire du chantier de cet immeuble appartenant au prévenu avait été refusé en 2013 par la mairie de Chirongui.
L’employé déclarera que le patron (le prévenu) n’avait jamais contrôlé ses papiers, et qu’il le payait à hauteur de 1000 euros par mois, pour près de 70h de travail hebdomadaire. Un salaire dont il donnera 40% à son collègue comorien présent illégalement sur le territoire pour l’assister dans sa tâche.
Le 13 novembre 2018, les mêmes enquêteur retournent sur le chantier et réalisent que ce dernier a continué de progresser, toujours illégalement. Sur place, ils trouvent deux hommes endormis sur des planches entourés de vêtements et d’outils, leurs habits tâchés de ciment. Les deux individus sont de nationalité comorienne. Néanmoins pour le prévenu, l’on ne pourra prouver qu’il les employait illégalement, et le tribunal demandera la relaxe au bénéfice du doute, quant à l’aide au séjour potentiellement apportée à ces deux hommes.
Un marchand de sommeil qui loue ses poulaillers
L’enquête révèlera un autre aspect du dossier, qui ne sera pas jugé pour cause de prescription mais qui « colore » néanmoins l’affaire. Il apparait alors que notre prévenu est également propriétaire de toute une série de bangas, soit une trentaine, qui entre 2009 et 2016 ont servi à loger jusqu’à 108 personnes, qu’il faisait payer entre 50 et 100 euros par mois. Le tout dans des sortes de « poulaillers » délabrés sur un terrain ne lui appartenant même pas. Ni bail, ni quittance, ni système de gestion des eaux usées ou sanitaires, mais des raccordements électriques dangereux et des conditions de vie bien éloignées des standards de dignité humaine. Pourtant déjà condamné par le tribunal administratif en 2016 à remettre en état ces logements, sommé par la mairie de Chirongui ainsi que par un courrier du procureur de la République, le prévenu continuera à se présenter en bienfaiteur au service de ces pauvres bougres décasés à Tsimkoura peu avant. « ll n’y avait pas de logements sociaux pour ces gens-là »… La défense classique des marchands de sommeil mahorais.
Concernant l’immeuble sur lequel le chantier illégal se tenait, l’enquête révèlera que le prévenu est propriétaire, héritier du terrain sur lequel il est construit, et loue tout le premier étage à des bureaux commerciaux à hauteur de 9000 euros par mois. Des revenus locatifs absolument pas déclarés par ailleurs, pour un salaire mensuel situé entre 12 et 15 000 euros (comprenant l’activité de marchand de sommeil) et un immeuble de 8000m » d’une valeur estimée à 1 millions 458 000 euros. Loin du profil habituel de l’escroc sans le sou… Pourtant, celui-ci affirme n’avoir pas les moyens d’employer quelqu’un régulièrement, et déclare dépenser ses revenus en sable pour le chantier. Du marchand de sommeil au marchand de sable…
L’individu répondra systématiquement au parquet qu’il ignorait tout des démarches légales, de la déclaration de ses revenus locatifs (perçus en liquide) jusqu’à la déclaration préalable à l’embauche. Pourtant, le prévenu travaille à la DEAL, et perçoit un salaire de 2700 euros par mois, venant s’ajouter à son petit pactole illicite. S’agissant des revenus illégaux, la juge déclarera qu’ils « sont gagnés sur le dos de gens qui triment 70 heures par semaine pour un salaire de 600 euros et 108 autres logés dans des conditions indignes, et vont aux toilettes dans la forêt ».
« J’ai bien peur que sous le masque d’un bienfaiteur, il y ait celui d’un exploiteur »
Pour le substitut du procureur, la défense du prévenu ne tient pas. « Monsieur a parlé de l’esprit de l’ancien temps : pour moi c’est un esprit de solidarité et d’entraide, certainement pas d’exploitation. Monsieur se présente comme un bienfaiteur. J’ai bien peur que sous le masque d’un bienfaiteur il y ait celui d’un exploiteur », déclare-t-il plein de cette conviction habituelle aux magistrats sûr de leur bon droit. » Il a démontré qu’il n’a jamais respecté la loi, la seule peine qu’il comprenne c’est de taper au portemonnaie » annonce-t-il, avant de demander une peine d’amende à hauteur de 50 000 euros.
Pour l’avocat de la défense, « On sait que l’économie informelle se nourrit d’un cercle vicieux, et les consommateurs trouvent finalement leur compte » . Une plaidoirie à l’issue de laquelle le tribunal, peu convaincu, décidera d’une amende de 45 000 euros et de 18 mois de sursis probatoire pour ce prévenu faussement naïf et ignorant, à la tête d’un petit empire lucratif basé sur la misère et la détresse d’autrui. Comme souvent à Mayotte.
Mathieu Janvier