« Une prise de cette ampleur n’est pas très fréquente. On a déjà eu plusieurs constatations sur des médicaments, mais une quantité aussi importante, c’est une première » déclare Éric Renard, secrétaire générale régional de la direction régionale des douanes. Une saisie marquante, effectuée à l’occasion d’un contrôle à la circulation de la brigade des douanes de Longoni le 17 juin dernier. Alors, les agents s’intéressent à un conteneur dont le dépotage est en cours à l’extérieur du port. En provenance de Dar-Es-Salam (Tanzanie), le conteneur révèlera une quantité importante de marchandises appartenant à quatre importateurs différents, sans que personne ne puisse justifier la mise à la consommation régulière par une déclaration en douane idoine. Des marchandises sans justificatifs réguliers donc, là où une autorisation de mise sur le marché s’avère obligatoire, constituant ainsi le fait d’importation en contrebande.
« Une saisie marquante »
Les produits relèvent de trois médicaments différents. D’abord, les agents découvrent 275 000 comprimés, médicaments de la marque « IBUCAP » répartis dans 1100 boîtes, un Ibuprofène actif anti-douleur et antipyrétique. Ceci accompagné de 13200 tubes de Diproson, une pommade corticoïde à base de bétaméthasone diproprionate dont la délivrance en France est soumise à une ordonnance du médecin, utilisé comme crème blanchissante, selon les douanes. Enfin, étaient découverts 1296 boîtes et flacons d’huile éclaircissante de la marque Carolight, produit utilisé comme crème blanchissante, dangereux pour la santé. Les agents des douanes déclarent poursuivre « leurs investigations afin d’identifier le propriétaire et le destinataire réels de ces marchandises. La Tanzanie ressort comme une provenance à risque concernant les médicaments ».
Le 18 février dernier déjà, cinq colis en provenance de ce pays étaient découverts par les douanes de l’île au lagon, lesquels contenaient 2000 comprimés de couleur bleue de la marque « 3D VIAGRA» dissimulés dans du tissu et des bambous, et dont la contrefaçon avait alors été établie par expertise.
Cette récente saisie n’est pas sans évoquer celle du mois de janvier dernier, où un stock de marchandises d’une valeur avoisinant les 70 000 euros était découvert par la Légion et la gendarmerie à Soulou, contenant là aussi ces fameuses crèmes éclaircissantes.
Toujours selon Éric Renard au sujet de la prise du 17 juin, « des importations en contrebande de médicaments il y en a c’est une certitude, mais dans des quantités aussi importantes c’est vraiment une première ».
Des produits médicaux illicites aux dangers certains
La contrebande de produits éclaircissants pour la peau est loin d’être nouvelle au sein du 101ème département, et ceci au détriment de la santé des usagers. De nombreux professionnels de santé mettent en garde contre l’utilisation de ces produits, à l’instar de Nadi Eid, docteur en pharmacie à Mayotte et membre du Bureau National de l’USPO – Union Syndicale des Pharmaciens d’Officines.
Parmi les différents types de crèmes éclaircissantes qui circulent sur le territoire, le pharmacien évoque le Diproson, dont il a déjà eu affaire. Le produit, « destiné à des marchés étrangers où le médicament est vendu moins cher et arrive par voie de contrebande », est à base de corticoïde. Une formule voisine du Diprosone vendu en France, mais non validée par les autorités françaises. « Il est recevable pour le marché indien, et vendu dans d’autres pays où le niveau d’exigences n’est pas le même. Il y a des risques de sous-dosage, de mauvaise distribution du médicament, une crème mal battue et un process différent » explique-t-il. L’autre risque avec le Diproson, c’est qu’il nécessite de bonnes conditions de stockage.
« C’est une molécule complexe, qui se dégrade avec l’énergie et le soleil. Et le risque de la dégradation de ce corticoïde apporte des dérivés toxiques. C’est pour cela que nos médicaments sont apportés de métropole dans des conteneurs qui respectent les normes, qui sont suivis par des traceurs ». Nadi Eid fait référence à l’acheminement des marchandises par kwassa, où les crèmes sont exposées à des températures extrêmes, dégradant le noyau de la molécule. « Avec ces pommades mises sans conseils médicaux, on se retrouve avec des femmes qui vont avoir des brûlures au niveau du visage, au deuxième ou troisième degré (…) In fine le plus gros risque pour la patiente, c’est la brûlure, les mauvaises réactions, les réactions allergiques… ».
Le pharmacien explique que « de plus en plus à Mayotte on observe des crèmes au mercure », d’une dangerosité extrême : « Il n’y a aucune justification pour n’importe quelle patiente ayant un brin de jugeotte : c’est miraculeux mais vous laissez des énormes accumulations de métaux lourds dans la peau, des tâches de vieillesse avant l’heure… ». Interrogé sur le produit Carolight également saisi ce 17 juin, le docteur en pharmacie explique que c’est un produit « un peu bas de gamme », élaboré à partir « de matières dérivées du pétrole ». Une rapide recherche sur le net suffit à confirmer les soupçons : les rappels sont nombreux sur certains produits de la marque, ce qui en dit long sur leur dangerosité potentielle. Les standards de beauté ont la vie dure.
Mathieu Janvier