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Tropique de la violence, les premières grandes instances du film

Le 23 Mars 2022 est sorti dans un petit parc de salles françaises, le film qui se veut être « le premier long métrage jamais fait à Mayotte ». Mais à l’heure où la réputation de l’œuvre reste encore à se faire sur notre île, comment Tropique de La Violence est-il réceptionné dans l’Hexagone ? Des confrères, des spectateurs, des cinéphiles, des curieux donnent leur ressenti à chaud.

L’adaptation du livre de Natasha Appanah n’était pas aux premières loges des attentes de la population mahoraise. D’une part, car il était adapté par un auteur réalisateur n’ayant aucune connaissance du département* et qui avait fait le choix d’un acteur principal « casté » en France métropolitaine. D’une autre part, le tournage parfois chaotique, manquait de sens pour une grande partie de la population. Ces derniers ayant peu compris le choix de faire l’adaptation d’un livre qui avait déjà fait couler beaucoup d’encre, en guise de premier coup de projecteur sur Mayotte. La question qui revient souvent: Notre île a t-elle besoin d’une première œuvre aussi dramatique pour entacher davantage sa réputation ?

Les critiques nuancées ou dubitatives

Nul doute qu’il faille juger ou critiquer une création dans son entièreté, mais aussi à travers les sensations qu’elle nous procure. Aujourd’hui, le film est disponible dans plusieurs départements, villes et villages de France. Comment le reste de la population française, éloignée de notre réalité, interprète cette proposition inédite ?
Quelle opinion à chaud se font t-il d’un premier film centré sur une vision du 101ème département Français ?

Du côté des journalistes de cinéma, il y a très peu d’enthousiasme. La grande majorité exprime un regret sur le regard cinématographique et l’ambition. Le non moins célèbre site AlloCiné donne en étoiles presse 2,3/5 à partir de 9 critiques. À l’exception du Parisien, qui parle d’un » film fin et délicat, qui ne juge pas, il montre la réalité ». On espère que nos confrères connaissent bien le département pour affirmer que le film « montre la réalité », car les autres journaux sont plus sceptiques et bien moins élogieux.
Même si Rose Piccini de Cinéma Teaser et Marie Sauvion de Télérama, ne tarissent pas quelques remarques positives, la première évoque : « le problème de l’uniformité des représentations dans la production hexagonale », et la seconde, « la forme, hélas démonstrative et maladroite, d’où émergent malgré tout un personnage, Bruce, et son interprète, Fazal Bacar-Moilim ».
Petite parenthèse humoristique avec Jacques Mandelbaume du Monde, qui se trompe de département outre mer à quelques milliers de kilomètres près, cassant ainsi sa rhétorique toujours bien affutée : « Ce premier long métrage de fiction tourné en Guyane, non exempt d’un certaine candeur dans la conduite du récit, ne rend pas justice à la formidable énergie positive qui se dégage de ce territoire ».

Une fiction qui noircit un peu plus la réalité dans ce geste de Bruce contre son éducateur. Ici, Dali Benssalah et Fazal Bacar-Moilim © Tandem-Windy Productions

Avec un peu plus de sérieux, Corinne Renou-Nativel de La Croix ne cache pas une certaine franchise en ouvrant son article sur ces mots : « Manuel Schapira adapte le roman de Nathacha Appanah sans parvenir comme elle à restituer l’île de Mayotte dans sa complexité ». Du côté de Première, Thierry Chèze, grand spécialiste des premiers films, et surtout des jeunes acteurs émergents dans les territoires isolés, fait remarquer un point de non retour : « L’écriture des personnages, trop réduits à des archétypes, manque de profondeur, et il manque surtout à la réalisation un souffle façon La Cité de Dieu qui apporte au film une plus-value par rapport au roman ».

Enfin, pour conclure, au delà de tout soupçons, Le Figaro, toujours dans une certaine froideur et ponctuation bien taillée, assume un ressenti partagé par un grand nombre d’autochtone et de connaisseurs de notre île : « Ce roman qui décrit la violence d’une jeunesse délaissée sur l’île de Mayotte est retranscrit sans finesse, par un réalisateur qui a découvert ce département français lors du tournage*. Ce manque de connaissance du terrain se fait sentir ».

Tonnerre sous les tropiques, pour le public

Avec 32 copies sur tout le territoire français, et l’absence de la salle stratégique UGC Ciné Cité Les Halles à Paris (la première séance de 9H permet de mesurer le lancement), le public risque de ne pas beaucoup se déplacer, à moins d’un bon bouche à oreille. Mais comme Mayotte est encore un département peu connu de la population hexagonale, cela risque d’être très difficile. D’autant que le film n’a eu aucune visibilité en festival. La seule sélection accordée a vu sa projection être annulée. Mercredi à 14h, le film affichait au box office des premières séances parisiennes à 51 entrées sur 4 copies. Autant dire que le démarrage est assez bas. Surtout à côté de Bruno Reidal, « Confession d’un meurtrier » (réalisé par Vincent Le Port), qui sur le même nombre de salles, enregistre 100 entrées de plus. Un autre premier film présenté, entre autre, en séance spéciale à la dernière Semaine de la Critique à Cannes. On imagine que pour ce dernier, l’effet Cannes et l’excellente critique permettent de porter ses fruits. Tropique de La Violence ne risque malheureusement pas de lui faire concurrence.

Joli plan sur cette vision de Moïse de son enfance qui bascule © Tandem-Windy Productions

Depuis l’Hexagone, les premiers spectateurs ne manquent pas de s’exprimer avec une certaine aisance au sujet de ce premier film centré sur notre île. Claudine G, cinéphile, ne semble pas cacher son mécontentement à l’égard du film et en particulier du scénario, évoquant même sa « nullité ». Elle déplore que la seule image de Mayotte qui émerge soit « misère et pauvreté ». Coric B., spectateur partagé, évoque ainsi « l’ensemble du film, comme un constat assez désespérant ». Juliette R. présente à une avant première en présence du réalisateur, convaincue par le film, encourage le public : « Allez le voir, ça vaut le coup ». Dans sa critique positive, elle salue le travail du réalisateur et des acteurs. Encore plus convaincu, Sébastien, un autre spectateur, parle de la beauté des prises de vue du ciel de Mayotte et de l’expérience « à voir de toute urgence sur grand écran ».

Du côté de l’audience professionnelle, la rétine n’est pas vraiment au beau fixe. Une ex chargée de mission au CNC (Centre National Du Cinéma) nous confie qu’elle aurait aimée que le réalisateur raconte autrement cette histoire de Mayotte. « Une impression que ce n’est pas vraiment crédible. Rien n’est très subtil. Manuel Schapira n’a peut être pas pu faire le film qu’il raconte dans ses interviews. En sortant de la salle, j’entendais des voix dire : «  ça se voit que c’est un premier film » ».
Le jour de la sortie, une distributrice nous rapporte son retour à chaud, et il faut dire qu’elle ne mâche pas ses mots : « Meilleur campagne anti-tourisme à Mayotte ». Nous rapporte t-elle en premier lieu. « C’est pesant, c’est oppressant. La violence du petit Moïse qui atterri dans les bidonvilles avec des mecs qui sont filmés comme des sauvages, je suis désolé de le dire, mais ça m’a fait penser au début de Délivrance, avec les personnages consanguins. Aucune empathie pour eux, pour leur condition de vie et comment ils doivent survivre, même si c’est évoqué avec le rôle de Dali Benssalah, éducateur dans une association. Mais même ce personnage n’est pas vraiment développé, il apparaît plus comme le « white savior » qu’autre chose ». Elle donne une conclusion plutôt pertinente dans un sens : « Mayotte n’existe pas dans le film ou très peu, sur quatre plans des paysages. Et pire encore, il y a des rappels pour bien nous dire que nous sommes en France ».

Malgré tous ces retours à prendre ou à laisser, il faut donner à son metteur en scène et co-scénariste, l’assurance de ne pas être passé par le chemin le plus facile pour faire un premier long métrage de fiction.

Tropique de La Violence reprendra sa diffusion au Cinéma de Chirongui à partir du 30 mars. Chacun sera ainsi libre de se forger sa propre opinion. On sait que le film a déjà fait plus de 2000 entrées parmi toutes les séances payantes en avant premières. Ce qui, à l’inverse du prévisionnel non succès en France métropolitaine, offre un joli démarrage dans notre département qui, rappelons-le, ne comporte qu’une seule et unique salle de cinéma en activité.

Germain Le Carpentier

* Le réalisateur Manuel Schapira fait savoir qu’il a découvert l’île en lisant le roman de Nathacha Appanah, et non au moment du tournage comme l’indique le Figaro, et s’est immergé dans les quartiers avec les acteurs plusieurs mois avant

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