L’affaire paraissait simple, pourtant elle s’étirait en longueur en cette matinée d’audiences à juge unique. Les faits remontent au 20 septembre 2016. Alors, pour une sombre affaire de terrain litigieux, le prévenu aurait volontairement foncé avec son véhicule sur la femme avec qui il était en litige, la blessant légèrement (3 jours d’ITT). Alors qu’il se rend en direction du terrain litigieux après avoir été prévenu d’une opération de destruction orchestrée par la victime, l’homme croise cette dernière sur la route. C’est sur la suite des faits que les récits divergent. Pour la victime, il l’aurait délibérément percutée avec son véhicule, la blessant à la hanche et au pied. Un témoin présent dans le véhicule du prévenu racontera que les regards du conducteur et de la victime se sont croisés, et qu’il lui a volontairement foncé dessus « soit pour lui faire peur soit pour la blesser ».
Bien sûr, le prévenu niera en bloc la dimension volontaire de son geste. S’ensuivra un dialogue surréaliste : « Il y avait de la place, on se demande comment vous avez pu rentrer dans cette dame et son véhicule par accident » déclarait la juge. Et le prévenu de s’entêter à dire que la chaussée faisait 4m46, provoquant l’ire de la juge puisque les mesures effectuées par les gendarmes faisaient état de 6m.
De même pour le véhicule, qu’il qualifiera comme long de deux mètres, ce qui là encore n’a rien à voir avec les mesures des gendarmes.
« La partie civile aurait pu perdre la vie »
« Si madame n’avait pas ouvert sa portière je serais passé » expliquait-il. A la barre, le prévenu adoptera le genre d’attitude qu’il vaut mieux éviter d’arborer au tribunal, niant les faits et faisant preuve de mauvaise foi à tout va, embrouillant l’audience avec ses démonstrations mathématiques farfelues. Si l’expertise concluait à un acte réfléchi et volontaire, le prévenu tentera d’utiliser les mathématiques pour se départir et faire passer les faits pour un accident, allant jusqu’à évoquer des décimales. L’apprenti mathématicien déclenchera malgré lui une hilarité générale mais discrète dans la salle, allant jusqu’à arracher un sourire au substitut du procureur.
» Il n’a jamais été question de blesser qui que ce soit. Il était question de faire demi-tour. (…) Le hasard a voulu qu’on se retrouve là, j’ai accroché sa portière en voulant quitter les lieux ».
Autre détail marquant de l’affaire, l’exploitation du téléphone du prévenu, dans lequel un texto de sa femme a été retrouvé, trois heures avant les faits : « sois fort chéri, ne tue personne ». Pourquoi ce texto ? Il répondra à ceci que la victime l’a frappé, l’a séquestré avec sa famille, a séquestré sa compagne, a incendié du matériel, etc…
« Tout ça, ça donne un mobile » répondra la juge.
Décidément, certains prévenus feraient mieux de garder le silence…
Et lui de se rattraper : » je ne peux pas en vouloir à cette dame ». » Je considère qu’elle m’avait pris en filature » ajoutera-t-il plus tard.
L’homme, déjà condamné par le passé pour l’exécution illégale de travaux, a fait l’objet d’une expertise psychiatrique. Celle-ci déterminera un trouble paranoïaque, une surestimation de soi-même, des troubles de l’anxiété, et la possibilité d’avoir présenté une crise d’angoisse au niveau des faits, en dépit de l’absence de pathologie mentale.
« Quand on nous paye avec des salaires de femmes de ménage, on fait des expertises de femmes de ménage »
« Je ne demande qu’à croire le prévenu mais les éléments de la procédure nous mènent à penser tout le contraire » déclarait le substitut du procureur. « La partie civile aurait pu perdre la vie » continuera le parquet, expliquant que « c’est bien volontairement qu’il vient la percuter parce qu’il était en colère ». 12 mois d’emprisonnement seront ainsi demandés, afin de pouvoir aménager la peine, tenant compte du caractère de « citoyen modèle » du prévenu avant cette affaire.
L’avocat du prévenu Me Nadjim Ahamada ébranlera quelques certitudes lors de sa plaidoirie, remettant en cause les expertises menées. Evoquant l’affaire d’Outreau, il déclarera que « quand on nous paye avec des salaires de femmes de ménage, on fait des expertises de femmes de ménage, c’est ce qui se passe ici ». Selon lui, « la loi dit que si on n’arrive pas à démontrer l’intention de commettre une infraction, que l’élément moral fait défaut, on ne peut pas entrer en condamnation ».
C’est pourtant ce qui arrivera puisque le prévenu sera finalement condamné à une peine de 12 mois d’emprisonnement assortis d’un sursis de 18 mois avec interdiction de port d’arme. Il devra également verser la somme de 2000 euros à la victime au titre du préjudice moral, et 400 euros au titre du préjudice matériel.
Mathieu Janvier