Après l’avis défavorable de l’exécutif au projet de loi Mayotte, Sébastien Lecornu et Ben Issa Ousseni n’ont échangé que par personne interposée. Le premier à l’Assemblée nationale, interpellé par le député Kamardine, expliquait qu’un « avis réservé » aurait permis de laisser une chance de survie au texte, avec un passage par le conseil des ministres, puis sa discussion à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Et que « l’avis défavorable » bloque le texte. Le président du département lui renvoyait la balle par communiqué, rendant le ministre responsable du blocage du projet, en évoquant un manque de confiance à son endroit, et un manque de temps de réflexion. Et invitant au dialogue.
C’est par un courrier de 4 pages que le ministre des outre-mer revient vers Ben Issa Ousseni. Retraçant l’historique du projet de loi élaboré à partir des ateliers qui ont mobilisé à Mayotte 1.600 intervenants, avec à Paris « tous les ministères en ordre de marche pour expertiser ces propositions », Sébastien Lecornu regrette le rejet par le conseil départemental, « j’avais le souhait que ce texte soit le premier inscrit à l’agenda du futur parlement dès l’été 2022. La discussion parlementaire aurait été l’occasion de l’enrichir ». Plusieurs informations livrées a posteriori qu’il aurait été intéressant de connaître avant.
Retour à la case 2036
La réouverture des négociations sur ce texte est compromise : « Il reviendra au prochain gouvernement de décider s’il souhaite reprendre le travail ». Notamment au regard des conditions émises par le conseil départemental pour argumenter sur l’avis défavorable, « certaines sont inadaptées dans le cadre d’une loi simple ». La loi programme réclamée existe, à travers le Contrat de convergence créé par la loi Egalité réelle outre-mer (EOM), explique le ministre, les trois signataires du courrier au MOM, dont Ibrahim Aboubacar, que nous avons publié ne disaient pas autre chose.
Sur la convergence sociale, le ministre reste sur la même ligne, elle ne peut se faire « d’un claquement de doigt », mais par consensus entre partenaires sociaux. Mais le ministre brandit l’avis défavorable comme repoussoir d’échéances, « la convergence sociale restera fixée dans la loi à 2036 alors que nous souhaitions ramener ce but ultime à 2031 », et ceci, « faute de vecteur législatif ». Autres avancées gelées, « l’accélération de la construction de la piste longue », en raison de la méthode d’acquisition foncière prévue au projet de loi, « la mise en place d’un Grand port d’Etat » (qui était soumis néanmoins au rejet de la concession en cours), le renforcement des capacités au préfet pour lutter contre l’habitat illégal, le renforcement des compétences régionales du CD, etc.
Ce qui sera fait…
A cette liste, le ministre rajoute la mise en place de l’établissement public d’ingénierie, en évoquant une sous-consommation du Contrat de convergence en cours, avec des chiffres néanmoins à réactualiser, « 93,3 millions d’euros sont engagés fin 2020 sur 608,6 millions d’euros de crédits du côté de l’Etat. »
Les 85 propositions, pour celles qui n’ont pas encore été réalisées, seront déclinées pour la partie règlementaire, c’est le cas du 2ème hôpital, « 172 millions d’euros sont dores et déjà mobilisés », premiers coups de poche en 2025, en plus de l’agrandissement du CHM, 66 millions d’euros, c’est le cas de la prime d’activité à 100%, etc.
Le suivi de la mise en place des mesures réglementaires sera assuré par un comité de suivi assuré par le préfet et la direction générale des outre-mer (DGOM), et le ministre invite les élus départementaux, communaux et les parlementaires, à l’intégrer.
La décision du ministre est désormais connue, il ne reviendra pas sur le projet de loi Mayotte. Deux réponses possibles pour le président du Département. Rester dans la contestation, et Mayotte retrouverait sa situation d’opposition au gouvernement en place que nous avons connue il y a quelques années, sans rien à en attendre donc. Ou saisir l’opportunité pour repartir sur des bases de coopération, et on a vu que ça pouvait être payant. Il ne reste il est vrai que quelques mois à vivre avec le gouvernement Castex… mais avec une incertitude sur les résultats des prochaines élections. Rupture ou continuité ?
Anne Perzo-Lafond