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vendredi 29 mars 2024
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« Attention à la dictature de l’urgence »

Issihaka Abdillah fut un des principaux contributeurs aux débats de cette mandature
Issihaka Abdillah

ATTENTION AU MIRAGE DE L’URGENCE !

Depuis le début du mouvement social contre l’insécurité et l’immigration clandestine, nous avons été nombreux à y aller de nos propositions de sortie de crise et même le gouvernement. Comme par enchantement, par magie, nous nous sommes enfin souvenus que cette île a besoin d’être développée. Telle une séance de brainstorming, les idées pleuvent comme une pluie de mousson. Ce n’est pas mauvais en soi. Dans un processus de développement, il n’y a jamais un trop plein d’idées et de propositions. C’est quand il n’y a pas du tout que c’est inquiétant. Encore faut-il que les idées exprimées, les propositions formulées ne soient pas en décalage avec les aspirations du peuple et trouvent un écho favorable aux yeux des décideurs. Le nouveau préfet ironise un peu en parlant des thèmes de développement, « pour l’instant j’en ai plusieurs en main, non finalisés, car je crois qu’ils ne s’étaient pas encore mis d’accord, mais nous travaillerons par rapport à ça. » Depuis la première réunion du samedi 31 mars 18 avec l’intersyndicale et le collectif, le préfet a été certainement servi et bien servi. Les 101 propositions sont sur son bureau.

Comme dirait l’autre : « Il en va de l’histoire des individus comme celle des peuples. Il est des moments où l’on découvre des opportunités qui ne doivent pas être manquées. Ce qu’on appelle le génie de la situation : saisir la bonne intuition pour faire d’un contexte donné un atout et un avantage ». Car en dépit d’un discours « mahoro-catastrophiste » qui surgit ici ou là : manque d’ingénierie de projet, absence d’ingénierie financière, absence de l’Etat, manque de vision, Mayotte est maîtresse de son destin. Et le nouveau préfet de prévenir : « Je n’arrive pas avec des solutions toutes faites, je pense que les élus n’auraient pas aimé ça, ils doivent avoir des idées sur le développement de leur territoire ». Mayotte est appelée clairement à savoir tirer profit de ce moment de son histoire pour définir ses priorités et entrer en résonance avec la Métropole. Justement, quelles sont les priorités pour Mayotte ? Nous sommes tentés de répondre tout et sur tout. Madame la ministre concède. Mais chacun d’oublier la légitime revendication principale objet du soulèvement populaire. Pour rappel, les organisations à l’initiative du mouvement social demandent une politique de sécurité pour les personnes et les biens, une politique efficace de lutte contre l’immigration clandestine. Les violences autour des établissements scolaires, les agressions physiques et les cambriolages, les agressions dans les bus scolaires sont les thèmes maîtres des revendications populaires. Que sont devenues ces revendications jugées légitimes de l’avis de tous ? Peut-on se satisfaire des réponses apportées par le Gouvernement ?

A l’évidence non puisque les barrages étaient toujours en place. Néanmoins, l’île est plongée dans une catastrophe économique sans précédent. Pendant ce temps, dans l’urgence chacun y est allé de sa proposition. « La dictature de l’urgence » nous tient.

L’absence du Quai d’Orsay dans la délégation

Le préfet-délégué Dominique Sorain et la délégation
Le préfet-délégué Dominique Sorain et la délégation

Nous alignons des chiffres et des lettres. On oublie qu’on est toujours en insécurité, qu’aucune solution véritablement satisfaisante et viable pour lutter contre l’immigration clandestine n’est réellement proposée et acceptée par les initiateurs du mouvement. Le gouvernement dit avoir déployé en urgence une force de quelques centaines d’hommes pour lutter contre l’insécurité et l’immigration clandestine, c’est possible mais invérifiable. Les opérations d’expulsions savamment orchestrées les premières semaines et mises en scènes précipitamment dans le média public se sont vite estompées tel un éclair. Les communiqués officiels quantifiant les opérations chiffres à l’appui ont disparu des radars. Le préfet ne communique plus, le procureur non plus. La télévision de service public s’est tue. Que se passe-t-il ? A l’évidence, l’urgence a eu raison de nous. La preuve, le ballet de KWASSA KWASSA transportant des clandestins s’intensifie ces derniers jours. Les frontières sont devenues encore plus poreuses. La diplomatie française est empêtrée dans ses contradictions jusqu’à éveiller les vieux démons du largage.

La réunion du 28 mars 18 entre les élus, l’intersyndicale, le collectif et le patronat a fait naître un nouvel espoir, plus unitaire et consensuel. Il est acquis que désormais il est possible de parler d’une même voix peu importe la quantité de propositions. 101 propositions sont arrêtées, preuve de l’abondance d’idées suite à ce soulèvement populaire. La réunion du 30 mars 18 a validé le principe même d’un document unique et unitaire de négociations. L’absence très remarquée à ces deux réunions des parlementaires et du président du conseil département est gênante. J’ose espérer que les motifs sont valables. Les 101 propositions ne sont pas dépourvues d’ambitions et ne demeurent pas penchées uniquement sur les conjonctures du moment. Elles sont multisectorielles et ambitionnent clairement la transformation du territoire.

En face, l’Etat a déployé une équipe de sept hauts fonctionnaires spécialistes dans divers domaines. On peut regretter l’absence dans cette délégation d’un représentant du Quai d’Orsay, indispensable dans la conjoncture actuelle. Est-ce que cela est fait exprès pour occulter une certaine réalité ou l’illustration de l’impuissance de notre diplomatie dans la sous-région? Les questions diplomatiques sont régulièrement écartées d’un revers de main et pourtant elles constituent un maillon essentiel dans le règlement de la crise. On nous parle de discours et de position de fermeté. Pendant ce temps, le véto comorien est toujours en place et à Mayotte, c’est à coup de procédures juridiques qu’on maintient encore au centre de rétention les refoulés d’Anjouan. Une bombe à retardement en perspective, s’il advient que l’administration locale est contrainte à relâcher dans la nature la centaine de personnes en situation irrégulière à Mayotte. On n’ose même pas imaginer la réaction des Mahorais.

Donnons-nous le temps, l’espace et les moyens pour voir grand

Un kwassa arraisonné par la marine nationale
Un kwassa arraisonné par la marine nationale

La crise sociale qui secoue Mayotte depuis six semaines va toucher à sa fin bientôt, du moins je le souhaite vivement. Elle va laisser des séquelles sur tous les plans. Avec la nomination du délégué du gouvernement, un pas a été franchi. Nous sommes en droit maintenant d’espérer mieux, sinon davantage. Les hésitations diplomatiques de la France à l’égard des Comores ont amplifié ces derniers jours les incertitudes et font ressurgir les inquiétudes d’un territoire dont les problèmes sont indéchiffrables. Une certaine méfiance est née et charge à la mission de rétablir la confiance rompue. La tâche est ardue mais surmontable pour peu que la volonté de l’Etat soit manifeste.

La nomination en conseil des ministres, excusez du peu, du délégué bicéphale semble marquer le signe d’une crise majeure. Le calendrier et les rencontres au sommet de l’Etat annoncés par la Ministre des Outre-mer montrent enfin tout l’intérêt de l’exécutif pour Mayotte. Précisément, cette crise peut et doit être le bon moment pour refonder les relations avec la Métropole. Néanmoins, restons vigilants et faisons abstraction un moment de notre « complexe du nain » car Mayotte n’est pas seulement un caillou dans la chaussure de la France. C’est un territoire français à enjeux géopolitiques multiples et majeurs suivant ou selon les indiscrétions. Donnons-nous le temps, l’espace et les moyens pour voir grand. Il faut plus d’espoirs et de rêves, d’ambitions et d’idéal. C’est possible si ensemble, les règles du jeu et les enjeux sont partagés par tous les composants de notre société. Mayotte est forte quand elle est unie. Notre histoire récente en est une illustration. Le gouvernement semble prendre conscience des enjeux. Je suis persuadé qu’il s’y prépare : des techniciens de haut niveau accompagnent le délégué du gouvernement. C’est l’acte inaugural d’une nouvelle politique qui devra innover et rénover la vision que la France porte sur Mayotte. Le gouvernement n’a plus le droit de décevoir d’immenses attentes pour que les relations Mayotte-France entrent dans un nouveau cercle de raison.

Hiérarchiser les vraies urgences

Aujourd’hui, le cadre de négociation est planté et la méthodologie se dessine. Il faudra aux négociateurs faire preuve de compromis et de concessions. Cela n’enlève rien à notre ambition. C’est la noblesse même d’une négociation. Nous ne sommes pas là pour compter les points comme dans un combat de boxe. Le peuple attend des avancées et des résultats.
Mais attention au mirage des solutions urgentes. Les difficultés de Mayotte sont classées telle une échelle de valeur dans la catégorie des « urgences ». La lutte contre l’insécurité n’est pas une urgence, c’est la normalité dans un territoire de la République. Le contrôle des frontières et la lutte contre l’immigration clandestine ne sont pas des urgences, c’est l’affirmation même de la souveraineté d’un Etat sur un territoire donné. Le besoin d’une éducation de qualité, d’un meilleur système de santé sont des droits pour tout français. Vouloir régler les difficultés de Mayotte dans l’urgence, c’est déjà emprunter l’autoroute de l’échec. Car il est comme une habitude de résoudre les crises en Outre-mer français par des mesures réactionnelles. A chaque président, ses assises, sa conférence, sa table ronde, sa loi pour le développement de tel ou tel territoire, mais les échecs demeurent avec persistance.

Le mal n’est jamais soigné à la racine. Il revient vite au galop et l’on s’étonne. Les solutions à courte vue le temps d’une mandature, en général cinq ans, ne fonctionnent pas. Nous devons incarner une autre manière d’envisager notre développement, privilégiant la négociation sociale et la délibération collective et prendre le risque même si c’est difficile, de projeter le territoire à l’horizon d’une décennie et même d’une génération. Les standards voulus ici sont ceux d’un département d’outre-mer, ils sont encore à des années-lumière d’ici. Les normes qui s’appliquent sont celles de la France métropolitaine et de l’UE lointaines avec qui, Mayotte accuse un retard de développement de près d’un siècle. Les solutions d’accompagnement ne doivent pas occulter des réalités immuables : notre éloignement, notre insularité, la jeunesse de notre population, notre situation géographique et la faiblesse de notre triangle de ressources. Il ne doit pas y avoir des sujets tabous, la Ministre l’a dit et répété.

Issihaka ABDILLAH

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