Le rôle des cadis était autrefois central, comme le rappelle le conseil cadial de Mayotte : ils administraient les affaires de la population de Droit local par le Minhadj Al Talibin. Le conseil cadial qui explique que la départementalisation en 2011 « n’a pas supprimé le droit local et le droit coutumier ». Il cite pour l’accréditer, l’article 75 de la Constitution de la 5ème République française, « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut de droit commun, seul visé par l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’il n’y ont pas renoncé. » En rajoutant, que c’est bien le cas à Mayotte.
Deux spécialistes du droit et de la culture à Mayotte, Yves Moatty, Vice-président du tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion, diplômé de sciences politiques et de droit, et Sophie Blanchy, Anthropologue, directrice de recherche au CNRS, experte en matrilocalité dans l’archipel des Comores, sont moins optimistes sur le maintien du statut personnel à Mayotte, ils dénonçaient en 2012, « une imposture » quant au maintien du statut civil de droit local.
Ils critiquaient à l’époque que, « personne à Mayotte ne savait plus en 2010 de quel droit relevait son statut civil sauf ceux, encore peu nombreux, qui avaient expressément renoncé à celui de droit local ». Un malaise qui vient du fait que cette évolution n’a été « ni présentée, ni expliquée aux Mahorais, à leurs cadis ou à leurs conseillers généraux, la loi de 2010* a été presque cachée aux magistrats eux-mêmes qui ont dû la découvrir sur l’intranet du ministère au lieu de recevoir un avis et une circulaire d’application. Le tribunal, la préfecture et le conseil général n’ont organisé ensemble aucune diffusion officielle de ce texte décisif, et aucun membre de ces administrations n’a été en mesure de suivre les changements opérés pour les comprendre et les faire comprendre à la population. »
Les cadis logiquement dépouillés par la départementalisation…
Une vive critique qui se basait en 2012 (nous sommes à l’année N+1 de la départementalisation), sur un constat de méconnaissance de son statut personnel par une grande partie de la population : personne ne savait par exemple que l’acquisition du statut de droit commun se transmettait automatiquement aux enfants mineurs, qu’elle s’obtenait dès la révision de l’état civil par la CREC (Commission de Révision de l’Etat Civil, pour le faire converger vers le droit commun) à laquelle de nombreux mahorais ont eu recours pour notamment figer leur nom de famille, et qu’il était transmissible et irréversible.
Cette ordonnance de juin 2010, c’est en quelque sorte la porte d’entrée vers la départementalisation et la marche vers le droit commun. Elle déclare notamment que le mariage devant le cadi est désormais un acte religieux privé, le seul mariage reconnu par la loi étant celui inscrit à la mairie, elle introduit l’interdiction de la polygamie, et l’impossibilité pour le cadi de prononcer de divorce, ni enregistrer de répudiation.
Pour le duo Moatty/Blanchy, la loi du 3 juin 2010 « portant dispositions relatives au statut civil de droit local applicable à Mayotte et aux juridictions compétentes pour en connaître », « élimine définitivement les cadis de tout rôle juridique en leur ôtant leurs fonctions de tuteurs et de notaires ».
… mais restent des médiateurs reconnus
D’où la question du conseil cadial introduisant le séminaire de samedi, « Dès lors on peut se demander, comment les juges de droit commun appliquent le Minhadj Al talibin, source du droit local et coutumier ? » Une question posée plus de 10 ans après, il y a eu des dégâts du coup faute d’évolution expliquée, mais elle est bienvenue surtout sur le sujet central des affaires familiales.
A Mayotte, nous ne sommes pas sous le régime de la séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, comme le rappelait le Sénat, tout comme en Guyane et dans d’autres territoires ultramarins, où s’appliquent les décrets dits « Mandel » datant de 1939 qui régissent la relation entre pouvoirs publics et autorités religieuses, et autorisent notamment le financement public des cultes. En dehors de ça, les 17 cadis de l’île se sont retrouvés fort dépourvus quand la départementalisation fut venue. Ils peuvent néanmoins toujours être consulté par la population, notamment pour la médiation et la conciliation, et les Mahorais ne s’en priveraient pas à lire le conseil cadial, qui continuent toujours à faire appel à eux pour les règlements des affaires conjugales et foncières**.
Cette sollicitation induit une nécessaire formation au droit commun, mais ce n’était pas tout à fait l’objet de ce séminaire de samedi, qui portait sur la sensibilisation de la population sur le rôle et les missions des Cadis ainsi que les enjeux du droit local à Mayotte, la communication sur les valeurs morales de la société mahoraise, sur la lisibilité sur la place des cadis dans la société et sur la mise en place un réseau de dialogue intercommunale dans la commune de M’tsangamouji.
Anne Perzo-Lafond
* Ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 portant dispositions relatives au statut civil de droit local applicable à Mayotte et aux juridictions compétentes pour en connaître.
** Bureau du Grand CADI, 10 rue Pasky à Mamoudzou-0269615776