Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) a été sollicité par l’Agence française anticorruption pour fournir des données sur les atteintes à la probité, qui recouvre la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, le détournement de fonds publics, le favoritisme et la concussion*. Il s’agit aussi pour la France de fournir une analyse dans ce domaine à transmettre à différentes instances internationales. Un classement des pays corrompus est notamment régulièrement effectué par Transparency international qui affichait la France au 22ème rang mondial des pays les moins corrompus dans l’édition 2021.
Un classement peu enviable qui pourrait inciter à minimiser les chiffres, mais le ministère de l’Intérieur indique avoir repris des procédures enregistrées par les services d’enquête de la police et de la gendarmerie nationales.
En France, en 2021, 800 infractions d’atteinte à la probité ont été enregistrées par la police et la gendarmerie. Pour 43 % des cas de corruption dans le milieu professionnel, l’objectif était d’obtenir un service (une place en crèche par exemple). Dans 39 % des cas, l’auteur de la corruption est un particulier. Les rétributions proposées ou demandées sont majoritairement sous forme d’argent.
Entre 2016 et 2021, elles ont augmenté de 28 %, soit en moyenne de 5 % par an, soit 801 infractions en 2021. La hausse des atteintes à la probité est notamment liée à celles des infractions de corruption, +46 % sur la période, qui représentent près d’un tiers de ce type d’infractions.
Parmi les territoires les plus touchés, les départements et régions d’Outre-mer et la région Corse. Pour comparaison, la Corse comptabilise plus de 6 infractions en moyenne par an pour 100.000 habitants entre 2016 et 2021, les 5 DOM entre 2,1 et 4 infractions moyennes pour 100.000 habitants contre 2 à Paris.
Pris la main dans le pot… de vin
Dans trois cas sur quatre, il s’agit de corruption (29 %), de détournement de fonds publics (24 %) et de prise illégale d’intérêts (18 %).
Les agissements du corrupteur (corruption active) et ceux du corrompu (corruption passive) peuvent être poursuivis et jugés séparément et la répression de l’un n’est pas liée à la sanction de l’autre, comme l’explique l’étude : « Le corrompu accepte des offres, des promesses, des présents ou des dons et peut même les solliciter, alors que le corrupteur offre ou promet des présents et des dons, mais peut aussi simplement céder aux sollicitations du corrompu, en lui remettant l’objet de la corruption ». C’est le plus souvent le corrompu qui dénonce son corrupteur.
Cela n’étonnera personne, la corruption est beaucoup plus présente dans le secteur public que dans le secteur privé, les agents publics ayant l’obligation de signaler au procureur de la République les crimes et délits dont ils ont connaissance, le fameux « article 40 », du Code de procédure pénale.
57 % des infractions de prise illégale d’intérêts enregistrées ont été commises par des élus. Deux dernières lois encadrent davantage ces délis, n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et la loi n°2022-217 du 21 février 2022 dite 3DS.
Les infractions de concussion relèvent pour près des trois quarts de la perception indue par un agent public de droits, contributions, impôts, taxes publiques, alors que les infractions de recel se concentrent principalement sur des détournement de fonds publics (34 %), du favoritisme (29 %) et de la prise illégale d’intérêts (24 %).
Sur l’ensemble des procédures concernant des atteintes à la probité, 36 % contiennent des « infractions connexes », c’est à dire liées aux faits dénoncés : fraudes, tromperies ou contrefaçons, faux et usages de faux, escroquerie ou abus de biens sociaux.
Le corrupteur reste majoritairement du genre masculin
Deux exemples sont cités : l’utilisation par le mis en cause de factures falsifiées (faux et usage de faux) peut permettre de couvrir la perception de commissions provenant du délit de corruption, et le détournement de fonds de la société pour payer un agent public qu’on souhaite corrompre.
Les personnes physiques sont autant victimes d’atteinte à la probité que les personnes morales (collectivités territoriales, établissements publics, entreprises, associations, etc.). Mais pas pour les mêmes causes. Les premières sont victimes de corruption, à 75%, de trafic d’influence, 70%, de concussion, 71%, alors que les entreprises, collectivités ou autres sont victimes de recel à 87%, de favoritisme, 76%, ou de détournements de fonds publics (73 %). En effet, les victimes des faits de favoritisme sont principalement les personnes morales dont les offres n’ont pas été retenues ou les collectivités auxquelles appartiennent les agents publics ayant commis les faits.
Les hommes sont prédominants, aussi bien parmi les victimes que parmi les mis en cause. Ils ont majoritairement entre 45 et 54 ans et à 95 % sont de nationalité française.
Enfin, les collectivités d’Outre-mer que sont Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna, la Polynésie-Française et la Nouvelle-Calédonie, sont particulièrement touchées par des détournements de fonds publics.
Pour investiguer davantage, l’Etat a étoffé ses moyens en créant en 2013 le Parquet national financier, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), et en 2016, l’Agence française anticorruption.
Certaines de nos institutions et entreprises présentes sur le territoire qui pense toujours que l’intérêt général d’un service public réside dans le financement de campagnes politiques, en savent quelque chose. On en attend l’issue…
Anne Perzo-Lafond
* Infraction commise par un représentant de l’autorité publique ou une personne chargée d’une mission de service public qui, sciemment, reçoit, exige ou ordonne de percevoir une somme qui n’est pas due