La plus grande maternité de France en hypertension

Alors que le nombre de naissances est toujours en hausse au Centre Hospitalier de Mayotte (CHM), les effectifs de médecins et de sage-femmes sont en tension au sein de l’établissement de santé.

L’obstétrique, une spécialité particulière à Mayotte, exigeant un personnel expérimenté

Au sein de « la plus grande maternité d’Europe », la prise en charge de la grossesse et de l’accouchement ne rassemble pas à ce que l’on peut voir dans un autre établissement de santé en métropole. Malgré le calme ambiant dans le service ce mardi 2 janvier, une trentaine de bébés ont vu le jour ces dernières 24h, comme chaque jour ici à Mayotte.

Maternité
Pendant qu’une des deux sages-femmes assure les consultations d’urgence, l’autre jongle entre les accouchements et les examens médicaux des nouveaux nés (archives/®MLG)

Avant de venir accoucher, de nombreuses patientes n’ont jamais été suivies pour leur grossesse, plusieurs d’entre elles nécessitent une prise en charge urgente en raison des complications de leur grossesse à risque, d’autres ont des pathologies telles que du diabète et de l’hypertension, certaines parturientes sont également souvent mineures, etc. Ce contexte très spécifique de Mayotte nécessite de recruter un personnel expérimenté, pour absorber une charge de travail conséquente et des prises en charge spécifiques.

Comme l’explique le Dr. Serhal, chef du service gynéco-obstétrique du CHM, « on ne peut pas recruter simplement des médecins, on doit recruter des médecins suffisamment expérimentés en obstétrique car le travail n’est pas le même ici qu’en hexagone ou au sein d’une autre maternité d’Europe. »

2024, un premier trimestre décisif pour le recrutement de gynécologues

Depuis qu’il est arrivé en 2019 comme chef du service gynéco-obstétrique du CHM, le Dr. Serhal s’est rapproché de plusieurs facultés de médecine d’Europe, dans l’hexagone, en Belgique et en Suisse notamment, pour faire venir des internes mais aussi des praticiens hospitaliers à temps plein à Mayotte. Grâce à ces échanges, le recrutement d’obstétriciens au CHM a fonctionné plusieurs années. Mais depuis quelques mois, recruter du personnel dans le service de maternité se complique.

La Réserve sanitaire fortement mobilisée à Mayotte

Depuis plusieurs semaines, la maternité de Mamoudzou et les maternités des centres médicaux de référence (CMR) manquent crucialement de sages-femmes. La fermeture de la maternité de Dzoumogné est un des exemples qui parle de lui-même. Ces tensions en termes d’effectifs augmente considérablement la charge de travail sur les sage-femmes déjà en poste, la maternités de Mamoudzou et des CMR fonctionnent grâce à des renforts déployés, venus d’autres d’établissements de santé de La Réunion ou de l’Hexagone, ce qui conduit à une grande instabilité du personnel dans ces services.

Dès ce mois de janvier 2024, une vingtaine de sages-femmes arriveront pour venir renforcer les effectifs, complétées par une quinzaine de sages-femmes en février 2024. Ces effectifs seront partagés en fonction des besoins : « L’objectif est de maintenir les maternités périphériques comme priorité », déclare le Dr. Serhal.

Mais depuis quelques temps, le chef de service observe davantage de difficultés pour recruter des médecins-obstétriciens : « Avant, nous avions peu de difficultés à recruter des médecins-gynécologues à temps plein, aujourd’hui certains praticiens déjà en poste ne veulent plus travailler à temps plein, mais à temps partiel, ou hésitent même à partir. » Cette situation, Dr. Serhal l’explique en raison du contexte sécuritaire particulièrement difficile ces derniers temps. L’insécurité qui pèse sur les habitants de l’île et notamment les professionnels de santé, est une véritable « gangrène » d’après le Dr. Serhal, pour le territoire de Mayotte, lorsqu’il cite avec regret l’exemple d’un médecin de son service, qui quittera Mayotte, en raison d’une agression qu’il a subi sur la route qui mène jusqu’à son domicile avec son fils, en décembre dernier.

Bus, caillassé, CHM
Un bus du CHM caillassé (archives)

La crise de l’eau, qui s’ajoute à ces difficultés, rend d’autant plus hésitants les médecins métropolitains, suisses et belges qui auparavant répondaient présents, à venir travailler au sein du service de gynécologie et obstétrique du CHM. Le Dr. Serhal se donne jusqu’au début du mois de septembre 2024 pour recruter de nouveaux médecins. Le cas échéant, il pourrait être « le seul praticien hospitalier gynécologue à temps plein du CHM ».

En effet, le recrutement de médecins-obstétriciens dans les hôpitaux publics est déjà un défi de taille dans l’hexagone, en raison des conditions de travail difficiles. Comme l’explique le Dr. Serhal, « avant, la plupart des jeunes gynécologues diplômés exerçaient dans les hôpitaux publics pendant 10 ans, jusqu’à avoir une quarantaine d’années avant de s’installer en libéral. Aujourd’hui chef du service gynéco-obstétrique les jeunes gynécologues diplômés préfèrent travailler dans certaines cliniques, où ils peuvent cumuler deux statuts salariat-libéral, ou travailler directement en libéral, pour travailler moins en gagnant directement mieux leur vie. « Dans ce contexte, il nous faut trouver d’autres solutions pour maintenir notre service de gynéco-obstétrique du CHM à flots » commente le Dr. Serhal.

À Mayotte, beaucoup de nouveaux-nés ont des gabarits bien en dessous de la courbe du poids recommandé ce qui fait l’objet d’une observation et d’un suivi qui se veut poussé notamment par un obstétricien, une sage-femme ou une infirmière praticienne spécialisée (archives ®MLG)

Le chef de service reconnaît que la Direction du CHM et l’ARS de Mayotte déploient des efforts considérables pour recruter des professionnels de santé de différentes spécialités. Pour cette nouvelle année, ses efforts vont se décuplés pour attirer des obstétriciens d’autres établissements et facultés à venir exercer à Mayotte, même si l’argent n’est pas la solution à tout, confie-t-il « tous les professionnels de santé qui viendraient à Mayotte doivent pouvoir vivre et exercer leur métier en toute sécurité », déclare-t-il.

Le service de gynéco-obstétrique fonctionne également grâce aux internes, qui d’après le chef de service, « actuellement ne manquent pas et sont des aides précieuses sans qui, le service ne pourrait pas fonctionner. » En effet, les jeunes internes, venus pour quelques mois, n’ont généralement pas de contrainte personnelle, et sont motivés pour acquérir une expérience exceptionnelle au sein de ce service, qui ne ressemble à aucune autre dans l’héxagone.

Aujourd’hui, le Dr. Serhal est toujours motivé, comme à son arrivée, mais ne cache pas son inquiétude pour la suite, il aimerait que les obstétriciens qu’il sollicite, soient motivés comme ces jeunes internes par une expérience unique qu’ils pourraient vivre à Mayotte.

Lorsque nous interrogerons le Dr. Serhal sur les motivations qui l’avaient conduit à venir exercer à Mayotte, ses réponses sont lumineuses : « A Mayotte, il existe une vraie solidarité entre les gens, l’hospitalité est une grande qualité qu’ont les mahorais, on peut facilement se sentir bien et intégré. Je ne regrette pas d’être venu ici. suis venu ici. Mon travail a du sens. Je me sens plus utile ici qu’ailleurs. Diriger la plus grosse maternité d’Europe était un challenge, qui me motive toujours, et qui éveille toujours les curiosités. Mayotte peut compter sur des habitants chaleureux et sa biodiversité est exceptionnelle ».

Lui comme nous espérons que son message sera entendu pour faire face à une pénurie de médecins qualifiés qui pèse aujourd’hui dans l’offre de soins du territoire.

Mathilde Hangard

Partagez l'article :

spot_imgspot_img

Les plus lus

Publications Similaires
SIMILAIRES

Mayotte classée « désert médical total » : toute l’île en zone prioritaire

Depuis le 29 septembre, l’Agence régionale de santé (ARS) a placé 100 % du territoire de Mayotte en zone d’intervention prioritaire (ZIP). Une décision inédite en France, qui consacre la gravité de la crise sanitaire sur l’île.

Démantèlement du camp à Tsoundzou 2 : 900 personnes laissées sans solutions de logement

Depuis plusieurs jours, comme ce jeudi 9 octobre, les opérations de relogement se poursuivent au camp de Tsoundzou 2. Les habitants munis d’une notification ne peuvent accéder à un logement d’urgence qu’à condition de détruire eux-mêmes leur case, une démarche à la fois dangereuse et injuste pour ceux restés sans notification. Avec le manque de logements disponibles, plus de 900 personnes restent pour l’instant sans solutions. Une situation rendue légale par l’article 18 de la loi pour la refondation de Mayotte.

Un nouveau kinésithérapeute en Petite-Terre pour relancer le sport-santé à Mayotte

Après quinze ans passés à Mayotte, Thibaud Perron a choisi de s’ancrer durablement en Petite-Terre. À travers son nouveau cabinet de kinésithérapie, il souhaite offrir à la population locale un espace de soins moderne, chaleureux et tourné vers la rééducation et le sport-santé.

Valoriser la littérature maoraise : le pari du Salon du Livre

Ouvert ce mercredi à Mamoudzou, le Salon du livre de Mayotte se tient jusqu’au samedi 11 octobre. L’événement réunit auteurs, éditeurs et associations autour d’un même objectif : redonner le goût de la lecture aux jeunes Mahorais et valoriser la culture locale. Entre contes en kibushi, ateliers et tables rondes, le livre se veut plus vivant que jamais.