Ce lundi 1er décembre 2025, la CPTS Sud de Mayotte n’avait plus grand-chose d’un simple lieu de coordination. Le bâtiment s’est transformé, l’espace de quelques heures, en un véritable bastion contre le diabète. Médecin, nutritionniste, podologue, infirmiers et acteurs associatifs ont uni leurs forces pour recevoir des dizaines de patients et former les professionnels de santé à l’usage des pompes à insuline.
Une journée foisonnante, où les consultations s’enchaînent, les portes claquent, les questions fusent, une journée qui raconte à elle seule les défis colossaux de santé publique auxquels l’île est confrontée.
Dans les couloirs de la CPTS, une effervescence inhabituelle

Dès le matin, les couloirs de la CPTS Sud ont résonné du va-et-vient des patients venus pour leurs rendez-vous trimestriels. Le Dr Yeganeh Brochot, endocrinologue depuis vingt ans, qui consulte à Mayotte depuis cinq ans, enchaîne les consultations à un rythme soutenu : vingt-cinq patients dans la journée.
Dans la salle voisine, Sophie Ortega Fernandez, pharmacienne nutritionniste et naturopathe, reçoit seize personnes en quête de repères alimentaires. Plus loin, la podologue locale examine dix-sept à dix-huit pieds diabétiques, une tâche essentielle dans un territoire où les amputations restent encore trop fréquentes.
« La journée s’est très bien passée, les gens étaient intéressés par la prise en charge du diabète », confie le Dr Brochot. Mais derrière la routine des consultations se joue autre chose : une immersion dans le quotidien des habitants, une plongée dans les gestes, les repas, les contraintes qui façonnent la maladie. « Le diabète demande d’entrer dans l’hygiène, l’intimité et le quotidien des gens », rappelle-t-elle. Ces rendez-vous, souvent courts, parfois denses, sont autant de fragments de vie qui s’accumulent. Et de rappeler : ici, la médecine ne peut se contenter de chiffres et de normes.
Bien manger : un défi qui dépasse l’assiette

Les conseils nutritionnels semblent simples, ailleurs. À Mayotte, ils deviennent une équation à plusieurs inconnues. Tous les habitants de l’île n’ont pas les moyens de s’offrir des légumes et des fruits frais quotidiennement. Tous n’ont pas une cuisine. Tous ne mangent pas chaque jour, encore moins à des heures régulières.
« Rien n’est interdit, on peut manger sain. Il ne faut rien interdire, car si vous interdisez, personne ne vous écoute. Il faut séparer le quotidien du ponctuel, et apprendre comment manger », insiste le Dr Brochot, qui sait que la contrainte alimentaire peut détruire la motivation plus sûrement qu’un mauvais taux de glycémie.
Ce décalage entre la théorie et la réalité n’est pas propre au diabète. La veille, lors de la Journée mondiale de lutte contre le VIH, le directeur de l’association Nariké M’sada, Moncef Mouhoudhoire, résumait brutalement la situation : « Les traitements prescrits ne font pas bon ménage avec le ventre vide ». Que l’on parle d’antirétroviraux ou d’insuline, la maladie ne se soigne pas dans le vide. Elle exige un minimum vital : manger, dormir, vivre sous un toit. Ce qui, à Mayotte, relève parfois d’un véritable parcours du combattant.
Pompes à insuline : un outil clé dans un système fragile

Dans ce contexte tendu, le Dr Brochot plaide pour les pompes à insuline, un outil qu’elle juge particulièrement facilitant. Elle a formé plusieurs soignants lors de cette journée, convaincue de leur utilité.
Le fonctionnement, à Mayotte, repose sur un circuit précis : les pompes sont remboursées par la Sécurité sociale, un prestataire fournit le matériel, et c’est le Dr Brochot elle-même qui réalise le branchement. Ensuite, le suivi repose sur les infirmiers libéraux, qui passent au domicile et ajustent l’accompagnement.
Les dégâts silencieux du diabète sur l’île

Sur le terrain, le constat de la médecin est sans détour : « Le diabète devient catastrophique à Mayotte ». Pour elle, la maladie progresse à un rythme alarmant, portée par des transformations rapides du mode de vie et l’absence d’infrastructures adaptées.
Elle cite ce qu’elle observe dans le quotidien des habitants : des boissons sucrées omniprésentes, des produits transformés consommés faute d’alternatives, des repas pris sur le pouce. Et une évolution qui, pour elle, résume tout : « Quand j’ai vu le rayon des glaces et des gâteaux quadrupler par exemple dans le supermarché de Petite-Terre et les légumes se réduire, j’étais effrayée ».
Le paysage alimentaire se modifie sous les yeux des soignants, tandis que l’activité physique recule. « Il n’y a pas d’activité physique pour les enfants, les terrains de sport ne sont pas sécurisés. Avec plus de voitures et d’embouteillages, les habitants bougent beaucoup moins qu’avant ». Une équation redoutable : moins de mouvements, plus de sucre, plus d’ultra-transformés, le terrain idéal pour une épidémie silencieuse.
À cette réalité s’ajoute celle de la précarité, qui oriente les comportements de santé : « Certaines personnes veulent s’occuper d’elles, d’autres laissent courir leur santé, et d’autres attendent que les autres s’en occupent », dit-elle. Un constat qui raconte moins un manque de volonté qu’une lutte permanente pour équilibrer alimentation, revenus, déplacements et soins.
Tout cela, rappelle que le diabète se nourrit autant de pauvreté que de sucre. Les conditions sociales et économiques dictent les assiettes, la volonté des habitants et l’impact des messages de prévention. La bataille ne fait que commencer.
Mathilde Hangard



