Sur les berges de la retenue collinaire de Combani s’est tenue, ce jeudi 20 novembre, la troisième rencontre du Parlement de la rivière Ourovéni, organisée par l’équipe du projet PLASMA (Pollution aux microplastiques du Lagon de Mayotte) et la Régie de Territoire de Tsingoni.
Un Parlement pour dépasser l’approche purement scientifique

Cette initiative s’inscrit dans la continuité du projet scientifique PLASMA, lancé en 2022 et financé par le Parc Naturel Marin de Mayotte, en collaboration avec des chercheurs en physique, chimie et sociologie. Le projet vise à mieux comprendre la pollution aux microplastiques dans le lagon et ses effets sur l’environnement, afin de proposer des mesures de protection adaptées. Mais s’intéresser à la pollution du lagon, c’est devoir s’intéresser à la ressource en eau dans son ensemble : du lagon aux sources, en passant par les mangroves, les zones urbaines et agricoles bordant les rivières, les zones préservées en altitude et les écosystèmes qui les entourent.
Étudier ce continuum et les influences qui s’y exercent revient à analyser l’ensemble du système de gestion et de régulation de l’eau sur le territoire. Le projet dépasse ainsi la seule approche scientifique et s’ouvre à une dimension ethnologique : le Parlement se veut l’expression de cette démarche, visant à proposer des solutions pour une gestion durable et respectueuse de l’environnement, en tenant compte des contraintes locales et des besoins de tous. L’objectif est de créer un lien entre la science, les constats qu’elle apporte, les habitants et les acteurs décisionnaires.
Après une première rencontre introductive lors du lancement du Parlement en novembre 2024, et une deuxième session le 3 avril dernier consacrée à la thématique agricole, cette troisième assemblée s’est concentrée sur la ressource en eau. La matinée a permis d’aborder les enjeux liés à la quantité de la ressource et à ses gisements, à sa qualité et aux risques de pollution, à ses différents usages et, surtout, à la question centrale de son partage. Un thème crucial dans un territoire engagé dans une véritable course à l’eau, où les infrastructures sont insuffisantes, la demande est croissante et les coupures sont désormais la norme.

La rencontre a rassemblé plusieurs experts, notamment LEMA (Les Eaux de Mayotte), ainsi que des acteurs de la préservation de l’environnement, parmi lesquels le Parc Naturel Marin de Mayotte, la FMAE (Fédération Mahoraise des Associations Environnementales), le GEPOMAY (Groupe d’Études et de Protection des Oiseaux de Mayotte) et les Naturalistes de Mayotte. Étaient également présents des élèves d’une classe du collège de Tsingoni, impliqués dans le projet scientifique à travers des prélèvements d’eau destinés à mesurer la présence de microplastiques.
« La consommation augmente de 3.000 m³ chaque année »

« Aujourd’hui le problème des coupures d’eau est structurel », a expliqué Naouirou Vita, directeur d’exploitation eau potable au syndicat mixte d’eau et d’assainissement de Mayotte. « On a besoin de plus de 47.000 m³ d’eau par jour pour sortir des coupures. Aujourd’hui, nous arrivons à en produire 42.000 m³ par jour. Si l’on veut distribuer de l’eau à tout le monde, il faut trouver des ressources sûres. Les retenues collinaires et les rivières fonctionnent au bon vouloir de la nature. Lors des saisons sèches, on ne peut plus prélever dans les rivières comme l’Ouroveni. À Mayotte, il n’y a pas un manque d’eau mais un manque de structures : la capacité de production est inférieure à la demande. Sachant que la consommation augmente de 3.000 m³ chaque année, il faut constamment rattraper le retard au niveau des infrastructures ». Il a précisé que de nouveaux forages sont en cours, mais que la seule solution à moyen terme reste la construction de l’usine de dessalement d’Ironi Bé, pour une mise en service prévue pour 2027, qui permettra de rééquilibrer la distribution d’eau entre le sud de Mamoudzou et le nord. « Les zones de Mamoudzou, Koungou et Petite-Terre concentrent les difficultés, car l’eau y est insuffisante ».
« Une autre usine de potabilisation de l’Ouroveni est prévue pour soulager Combani, dont la croissance atteint la saturation. Elle sera suivie d’une nouvelle retenue collinaire à l’horizon 2031″, a ajouté Naouirou Vita.
Après ce constat, les échanges ont mis en évidence la nécessité d’une approche globale de l’eau, alliant responsabilité citoyenne, infrastructures et préservation des milieux. Michel Carpentier, président des Naturalistes de Mayotte, a rappelé que l’époque de l’eau « illimitée » est révolue : chacun doit adopter des usages responsables et réfléchir à sa consommation.

La gestion des réseaux reste également un enjeu majeur. Les compteurs mal positionnés, les pertes après compteur estimées à 35 % et les différences de pression compliquent l’alimentation des habitations. Pour améliorer la situation, il est indispensable de réaménager les réseaux, a insisté Achim Aboudou, directeur de l’Observatoire régional de la santé de Mayotte, et d’intégrer la distribution dans les plans d’aménagement du territoire.
Selon une étude menée par l’Observatoire et l’ARS, l’accès à l’eau est inégal sur l’île : 2 % de la population n’a pas d’eau et s’alimente directement dans les rivières, 48 % ont un robinet à l’intérieur de leur logement, 17 % bénéficient d’un compteur collectif et 10 % dépendent de bornes-fontaines. Pour les ménages sans robinet, il faut en moyenne 30 minutes pour aller chercher l’eau.
La question du stockage domestique a également été abordée, avec les risques sanitaires associés : seulement 11 % des réservoirs sont nettoyés quotidiennement, 66 % des sauts de transport sont entretenus et entre 12 et 39 % des récipients sont correctement couverts.
Les échanges ont aussi souligné le rôle clé de la population dans l’appropriation des rivières et des espaces publics, pour leur entretien et pour participer à des projets de reforestation ou de sensibilisation. La préservation des sols et de la végétation est essentielle pour réguler naturellement l’eau et assurer l’infiltration vers les nappes phréatiques, alors que 25 % de la couverture forestière a été perdue en trente ans. Sans cette couverture, les villages construits autour des rivières connaissent assèchement, érosion et inondations rapides.
Vers un plaidoyer commun pour donner des pistes aux pouvoirs publics

Le Parlement a offert un espace de parole égalitaire, où chacun a pu présenter les enjeux, les problématiques et des réalités de terrain méconnues. Ces constats permettent de définir des solutions : changer les usages, réparer les fuites, restaurer les sols et la végétation, mobiliser la population et planifier l’aménagement urbain de manière cohérente pour garantir une gestion durable et équitable de la ressource. L’enjeu est désormais de rendre ces propositions concrètes.
La matinée s’est conclue sur l’idée de construire un plaidoyer capable de transformer le suivi scientifique et le dialogue citoyen en levier de politique publique. L’Institut de Recherche pour le Développement, partenaire du projet PLASMA, pourrait y apporter son concours en coordonnant une expertise collective, mobilisant chercheurs et institutions locales et internationales, pour identifier les besoins et les enjeux de l’eau à Mayotte et proposer des solutions concrètes.
« On ne peut plus penser la science comme une entité fermée », a souligné Mathieu Leborgne, sociologue et animateur du Parlement. « Ce Parlement est une expérience démocratique dans laquelle les acteurs peuvent parler librement afin de donner la parole au bassin versant de l’Ourovéni. L’idée est de partir de constats scientifiques argumentés et raisonnés, sur la base desquels un certain nombre d’actions pourront se mettre en place ».
Lors de cette matinée, les représentants des pouvoirs publics, de la préfecture et autres décideurs n’étaient pas présents, en partie en raison de la période de « réserve » précédant les élections municipales de 2026. Cela montre que le chemin reste long et que le plus difficile sera sans doute de mobiliser les instances décisionnelles pour sortir la question de la gestion de l’eau du prisme politique et en faire un véritable enjeu d’intérêt général : le message central du Parlement de la rivière.
Victor Diwisch


