Ce lundi 17 novembre 2025, la salle Médicis du Palais du Luxembourg a bruissé d’échanges. L’Union Sociale pour l’Habitat Outre-mer (USHOM) a organisé le colloque « Logement Outre-mer : urgence climatique » pour réfléchir à une question essentielle : comment faire du logement social un levier de résilience face aux catastrophes naturelles ? Pour Mayotte, encore meurtrie par le cyclone Chido, survenu le 14 décembre 2024, le débat a pris une dimension concrète et urgente. Les discussions ont mis en lumière les difficultés du territoire et les pistes pour reconstruire des logements sûrs et durables, tout en impliquant les habitants dans le processus.
Mayotte, un territoire encore fragile

À Mayotte, la reconstruction après Chido avance lentement, et la perspective du premier anniversaire du passage du cyclone sur l’île, le 14 décembre 2025, semble lointaine. Les plaies restent béantes : des centaines de logements détruits, des infrastructures fragilisées et un environnement encore marqué par les débris et les dégâts.
Jean-Pierre Troché, expert auprès des comités Urgence Mayotte et Liban de la Fondation de France, souligne que l’urgence ne se limite pas à l’immédiat. « On pense travailler à Mayotte encore pour deux ou trois ans, car en dehors de l’urgence immédiate, il y a l’urgence de la reconstruction durable, c’est celle-ci qui est tout aussi importante et qui prend du temps ». La coordination des acteurs et une attention particulière à l’habitat indigne et insalubre sont essentielles.
Mais densité de population, habitat informel et barrières linguistiques ou administratives compliquent la tâche. Impliquer les habitants dans le processus de reconstruction reste un défi majeur, au cœur des discussions du colloque.
Saïd Omar Oili plaide pour des solutions locales

Présent pour l’ouverture du colloque, Saïd Omar Oili, sénateur de Mayotte, a critiqué le modèle hexagonal de logement social appliqué uniformément aux territoires ultramarins. « Il faut arrêter avec cette paresse intellectuelle. Le modèle métropolitain ne fonctionne pas chez nous, il doit s’inspirer des réalités locales « .
Interrogé sur les mesures pour renforcer la résilience climatique à Mayotte, il a souligné la nécessité de repenser la construction : « Nous avons peu de foncier et beaucoup de pauvreté. Les gens construisent souvent dans le précaire. Il faut adapter les matériaux et les techniques aux réalités locales ».
Sur les normes et le relogement, le sénateur a cité la loi BÉLIM expérimentant l’encadrement des loyers et améliorant l’habitat dans les Outre-mer, parue au Journal Officiel du 14 juin 2025, et la possibilité de relancer des solutions traditionnelles et locales : « La brique utilisée pour les logements de la Société immobilière de Mayotte (SIM) a résisté aux cyclones et crée des maisons fraîches. Produire localement permettrait de loger plus de gens à moindre coût et de limiter l’usage de la climatisation », estime-t-il.
S’inspirer des autres territoires d’outre-mer

Le colloque a permis de prendre du recul et d’observer les solutions mises en œuvre dans d’autres territoires ultramarins exposés aux risques naturels. En Martinique, Prescilla Rascar, directrice générale de la Société Martiniquaise d’HLM (SMHLM), évoque les trente-quatre plans de prévention des risques naturels et le programme de lutte contre les inondations touchant dix communes. À La Réunion, Christine Paramé, directrice générale de l’EPFR (Établissement Public Foncier de La Réunion), explique comment des acquisitions foncières massives et des bonifications allant jusqu’à 80 % ont permis de réduire la pression sur les collectivités et de faciliter la construction de logements sociaux résilients.
Valérie Lenormand, directrice générale de la SHLMR, insiste sur l’importance de l’anticipation : kits cyclone prêts à l’avance, cartographies précises des actions et cellule de crise déclenchée dès la phase de sauvegarde. Ces expériences montrent que le logement social peut devenir un outil efficace de protection, mais qu’il doit être adapté aux contraintes locales.
Comment faire participer les citoyens à la démarche ?

Au cœur du colloque, la participation des habitants a rapidement émergé, même si, comme souvent dans ce type de rassemblement réunissant de nombreux interlocuteurs, les interventions étaient brèves. Sur scène, plusieurs voix se sont succédé pour insister sur l’importance d’impliquer les populations dans les projets de résilience.
Marie-Claude Jarrot, présidente du CEREMA, a rappelé que la reconstruction ne peut se faire sans les habitants : « Il faut que les habitants soient embarqués dans cette problématique pour qu’ils soient force de proposition pour retrouver un habitat digne et un cadre par rapport à tous les problèmes climatiques, et le CEREMA accompagne les gens et les acteurs au travail de diagnostic pour la résilience sociale ».
Pour Ibrahima Dia, directeur outre-mer du groupe Action Logement, le financement ne suffit pas. Le fonds d’urgence de 4 millions d’euros a permis d’accompagner salariés et entrepreneurs dans la reconstruction, et en 2025, 25 millions supplémentaires ont été mobilisés pour soutenir les deux filières. Mais le territoire peine à répondre aux besoins des bailleurs, et la filière du bâtiment reste fragile. Même lorsque les financements existent, le coût des matériaux, les assurances et la gouvernance compliquent la reconstruction. « Il faut que les habitants soient parties prenantes. On ne peut pas faire à leur place. La résilience n’est pas un coût supplémentaire, c’est apporter de la dignité aux salariés et habitants », conclut-il.
Madi Moussa Velou, vice-président du Conseil départemental de Mayotte, a rappelé que reconstruire ne se limite pas à réparer les dégâts immédiats. Il faut sécuriser les infrastructures, planifier le relogement et coordonner l’action des collectivités et des bailleurs.
Ces interventions ont néanmoins souligné un paradoxe : à Mayotte, comment intégrer concrètement les habitants dans la gouvernance et la reconstruction, alors que des barrières linguistiques, sociales et administratives compliquent déjà l’accès aux droits et aux informations ? Le sujet reste ouvert, mais le colloque a permis de poser les bases d’un dialogue nécessaire.
Mathilde Hangard


