Gestion de l’eau à Mayotte : comment s’inspirer des bonnes pratiques nationales

À Mayotte, l’eau est devenue un trésor rare. Depuis plusieurs années, l’île vit au rythme des coupures, des files d’attente et des citernes partagées. Entre un réseau à bout de souffle, des réserves qui se vident et une population en pleine croissance, la crise de l’eau s’enlise. Pendant que la métropole découvre à peine la modération dans l’usage de l’eau, les Mahorais, eux, la pratiquent déjà contraints et résignés.

La crise de l’eau à Mayotte ne date pas d’hier. Elle traîne depuis quelques années, discrète au début, puis de plus en plus visible. La population augmente à grande vitesse et les infrastructures n’arrivent pas à suivre le rythme. De plus, dans certaines communes les habitants pointent du doigt le fait que parfois il y’a des fuites au niveau des canalisations, causant la perte de plusieurs litres d’eau avant même qu’ils arrivent dans les robinets. L’île dépend surtout de deux retenues collinaires : à Dzoumogné et Combani, qui peinent à subvenir aux besoins d’un territoire où chaque année, des milliers de nouveaux habitants s’installent.

La crise de l’eau à Mayotte : un problème qui dure

retenue collinaire, Mayotte
La retenue collinaire de Combani en janvier 2023

À partir de 2022, la sécheresse a fortement affecté le département. Les pluies ont été insuffisantes pour remplir les bassins, ce qui a aggravé la situation. L’année suivante en 2023, les restrictions d’eau ont été mises en place : l’approvisionnement ne se faisait qu’un jour sur trois, parfois seulement pendant quelques heures. Certains habitants se levaient avant l’aube pour remplir des bidons, d’autres faisaient la queue pour obtenir des bouteilles. Les écoles, les hôpitaux et les commerces ont fonctionné tant bien que mal. La pénurie d’eau a touché le quotidien, compliquant des gestes simples comme se laver, cuisiner ou se rendre au travail. Le cyclone Chido qui a frappé l’île en fin d’année dernière, a lui aussi compliqué les choses en arrachant des canalisations, noyant les pompes et envahissant les captages de boue, ce qui a contraint plusieurs usines de traitement à fermer. Pendant plusieurs jours, l’eau ne coulait plus des robinets. Aujourd’hui encore, malgré les promesses d’un retour à la normale et le lancement d’un plan de rénovation des réseaux et des usines jusqu’en 2027, l’accès à l’eau reste limité dans de nombreuses communes. Le mois dernier, des coupures « plus strictes » ont été instaurées le temps de travaux à l’usine de traitement d’Ouroveni, un nouvel épisode qui illustre les difficultés persistantes d’approvisionnement.

L’eau, un bien commun à repenser

Pendant que Mayotte tente de sortir de la crise, la France hexagonale quant à elle  commence à peine à réaliser à quel point la ressource est menacée. Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), dans son dossier « Économies d’eau, chaque goutte compte », rappelle que 92 % des départements français ont connu des restrictions d’eau durant l’été 2022 et plus de 100 communes ont été privées d’eau potable. Mais sur l’île, la réduction de l’usage de l’eau n’est pas un objectif : c’est la réalité de tous les jours. Le document du Cerema plaide pour une nouvelle approche : mesurer, économiser, réutiliser. Les collectivités sont invitées à réparer les fuites, à sensibiliser la population et à équiper les bâtiments de dispositifs pour réduire la consommation d’eau.

A Mayotte, les habitants remplissent leurs bidons pour anticiper les interruptions d’eau.

Et surtout, oser les eaux non conventionnelles, c’est-à-dire récupérer l’eau de pluie, réutiliser les eaux usées traitées. À Orléans, par exemple, on arrose déjà les parcs avec de l’eau réutilisée, ce qui permet d’économiser 100.000 mètre cube par an. Sur un territoire tropicale tel que Mayotte où les pluies sont abondantes mais mal stockées, ces solutions pourraient améliorer durablement la situation. Mais pour atteindre cet objectif, il faudrait des ressources financières, du personnel formé et des équipements adaptés sur le terrain. Le Cerema a aussi souligné le fait qu’un milliard de mètre cube d’eau sont perdus chaque année dans les réseaux de distribution dans toutes France.

Mayotte, un laboratoire malgré elle

La crise mahoraise c’est ce que la France pourrait vivre demain si elle ne change pas ses pratiques. La population doit déjà se passer d’une partie de son approvisionnement en eau. Beaucoup d’habitants ont adopté des réflexes simples : stocker ou encore économiser. Mais cela ne suffit pas, car parfois les calendriers et les horaires de coupure ne sont pas respectés ce qui fait que dans certains villages, ils peuvent se retrouver sans eau pendant plusieurs jours. Et comme le souligne le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, réussir la transition de l’eau passe par la coordination ainsi que la planification.

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Le forage de Coconi en janvier 2024. Un des apports précieux de mètres cube supplémentaires…

À Mayotte, l’accès à l’eau reste un défi quotidien pour les Mahorais. Pour sécuriser l’approvisionnement, les autorités doivent encore renforcer le réseau, restaurer les forêts et les sols, et impliquer la population. La situation est aggravée par les incendies liés à la culture sur brûlis, qui détruisent de nombreuses parcelles de la forêt et de plantations, et par le cyclone récent, qui rend le reboisement urgent. Parallèlement, la production d’eau repose déjà sur un mix de sources : nappes souterraines, forages profonds, eaux de surface et dessalement, tandis que le Plan Eau Mayotte 2024‑2027 prévoit également des solutions innovantes comme le recours aux eaux recyclées.

Derrière les statistiques, il y a des familles, des enfants qui vont à l’école avec des bouteilles d’eau dans leur cartable, des soignants qui improvisent faute de réserve, des villages où la solidarité s’organise autour de citerne commune.

Shanyce MATHIAS ALI

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