À Mayotte, des dizaines d’enseignants poursuivent leur travail sans avoir perçu le moindre salaire depuis des semaines, parfois plus de trois mois. Au collège de Mtsamboro, le collectif des personnels recense 36 enseignants sur 119 toujours impayés au 14 octobre, dont 25 totalement sans rémunération. Une situation qui plonge une partie du corps enseignant dans une détresse morale et financière inédite.
« Les excuses ne suffisent plus. Nous voulons simplement être payés pour le travail que nous faisons chaque jour auprès de nos élèves », dénonce le collectif.
Des promesses non tenues

Après la grève du 2 octobre et plusieurs sit-in, la rectrice, Valérie Debuchy, avait annoncé le versement d’un acompte prévu entre le 6 et le 10 octobre. Dans les faits, seuls dix personnels l’ont effectivement reçu, souvent partiel. « Certains ont reçu seulement 67 % », précise le collectif, que nous avons interrogé. Les dates de versement n’ont cessé d’être repoussées. « Cela montre ou bien une totale incompétence d’un rectorat débordé, ou bien une volonté délibérée d’éteindre l’incendie », s’exclame le collectif. « Un collègue a même reçu une fiche de paie avec des négatifs ! ».
Le résultat est affligeant : des enseignants sans ressources, contraints d’emprunter pour se nourrir ou se rendre au travail. « Certains ne peuvent plus acheter à manger, mettre de l’essence dans la voiture pour venir travailler, d’autres tombent malades et envisagent sérieusement de démissionner », résume le collectif.
« Sans salaire, je ne peux pas envisager l’avenir »
Parmi les enseignants touchés, Aude Moulié, 25 ans de carrière dans l’Éducation nationale, illustre la détresse causée par les retards de paiement. Recrutée en août comme enseignante et chargée de mission, elle n’a perçu aucun salaire pour les mois d’août et septembre. Son contrat, signé tardivement, comporte des erreurs sur son indice, et l’acompte partiel reçu mi-août reste largement insuffisant.
Son quotidien se résume à travailler sans être payée. « Je garde la gorge nouée, le cœur serré et l’angoisse du jour qui arrive », confie-t-elle. Hébergée provisoirement par un collègue et aidée par sa famille, elle dépend de la solidarité locale en attendant une régularisation. « Sans salaire, je ne peux pas envisager l’avenir. Je voulais construire une vie ici, mais je ne sais même pas si je pourrai rester », ajoute-t-elle.
L’arbre qui cache la forêt

Le cas d’Aude n’est pas isolé. Selon plusieurs syndicats, plus de 250 enseignants contractuels rencontrent des anomalies de paie à la rentrée 2025 dans l’académie de Mayotte. Ces dysfonctionnements, déjà signalés par la CGT Éduc’Action et le SNES-FSU, sont attribués à une gestion externalisée à La Réunion et à des manques chroniques de personnel administratif.
« Il est incompréhensible que les salaires de l’académie de Mayotte dépendent encore de la DGFIP de La Réunion. Nous demandons que tout soit géré localement », plaide le collectif de Mtsamboro.
Une coalition de lutte inter-établissements
Face à ce silence et à l’absence de réponse claire du rectorat, le mouvement s’organise. Le 13 octobre, malgré les vacances scolaires, des représentants de plusieurs établissements du Nord de l’île fondent la Coalition du Nord, chargée de mutualiser les informations et d’organiser des actions communes.
« Nous refusons que le dévouement des enseignants de Mayotte soit méprisé. Plus aucun professeur ne doit travailler sans être payé en France », affirment-ils dans un communiqué. Parmi leurs actions : une vidéo baptisée « Les factures volantes », où des enseignants lancent symboliquement leurs factures en avion papier au sein du rectorat. Une cagnotte « Cotizup » a également été ouverte pour venir en aide à ceux le plus en difficulté.
Une régularisation le 29 octobre « au cas par cas »

Le collectif rapporte qu’une délégation a rencontré la responsable du département des contractuels et l’adjoint RH du rectorat de l’académie. Selon eux, la régularisation complète pourrait intervenir avec la paye d’octobre, prévue le 29, « au cas par cas ». Sur le terrain, le scepticisme domine : « Nous pensons raisonnablement que le problème ne sera pas entièrement réglé à cette date. Nous resterons mobilisés jusqu’à ce que chaque personnel reçoive le fruit de son travail », préviennent les enseignants.
À Mayotte, travailler sans salaire n’est pas seulement une injustice pour les enseignants : c’est un frein pour les élèves, dans un département qui peine déjà à recruter, et une école de la République qui vacille sous le poids des retards, des manques de moyens et d’un abandon structurel.
Mathilde Hangard