Quels sont les enjeux et les perspectives de la protection de l’enfance à Mayotte ? Tel était le fil rouge de la première conférence de l’ODPE ce vendredi dans l’hémicycle du conseil départemental. « Avec une population à 50% âgée de moins de 20 ans et 77% de familles vivant sous le seuil de pauvreté national, il est évident que le conseil départemental, bien que chef de file de cette problématique, ne pourra pas agir seul. L’objet de cette conférence est donc de réunir tous les acteurs travaillant avec la jeunesse pour réussir à gagner ce défi de protéger les enfants de Mayotte, mais également les adultes car les deux aspects sont liés », a affirmé Saindou Attoumani, membre de la commission sociale départementale, en introduction de la conférence.
Madi Velou, présent en visio, a par ailleurs affirmé que l’équipe de l’ASE se renforcera au cours de l’année 2024. Bref, la problématique de la protection de l’enfance est enfin prise à bras le corps par le département ! L’Etat, représenté par le sous-préfet à la cohésion sociale, Cédric Kari-Herkner, également commissaire à la lutte contre la pauvreté, a assuré son plein appui au département dans cette « croisade ». « Nous sommes dans une logique partenariale et avec 117 000 enfants scolarisés sur le territoire, le rectorat aura aussi un rôle prépondérant à jouer », a-t-il déclaré tout en précisant que la thématique de la protection de l’enfance se construira également sous l’angle du droit des femmes et que l’Etat était prêt à mettre les moyens nécessaires pour permettre au département d’assurer ses missions.
« L’ODPE, ce n’est pas que des chiffres ! »
Amani Halidi, directrice de l’ODPE et rédactrice du premier rapport présenté en septembre, a tenu à rappeler que « L’ODPE, ce n’est pas que des chiffres ! C’est aussi l’histoire des enfants et les difficultés rencontrées par les professionnels chargés de les protéger ». Evoquant son arrivée à Mayotte en 2016 en tant que jeune psychologue, elle a confié s’être sentie très isolée à l’époque mais que, grâce à son recrutement au sein de l’ODPE, elle avait l’impression d’avoir enfin trouvé sa place. L’ODPE, ce n’est peut-être pas que des chiffres, mais ceux-ci ont néanmoins leur importance. A titre d’exemple 375 mineurs sont répertoriés à ce jour par la CRIP (Cellule de Recueil et d’évaluation des Informations Préoccupantes) et 470 bébés engendrés par des mères de moins de 18 ans au cours de l’année 2023. Malgré la création depuis 2018 de 24 établissements pouvant prendre en charge des mineurs en difficultés (avant cette date, l’ASE ne fonctionnait qu’avec le système des familles d’accueil), Amani Halidi note une saturation des services. « La saturation de la CRIP notamment ne permet pas de faire les évaluations dans les délais et beaucoup de mineurs placés ne bénéficient malheureusement d’aucun suivi », déplore-t-elle.
Ces améliorations de la prise en charge des mineurs en difficulté, bien qu’encore insuffisante, a fait exploser le budget de l’ASE ces dernières années. Abdou-Lihariti Antoissi, son directeur, a expliqué qu’il aurait besoin de 50 millions d’euros simplement pour faire fonctionner les structures existantes. Or en 2023, l’ASE n’a bénéficié que d’une subvention de 35 millions d’euros. Le sous-préfet est alors intervenu pour rappeler qu’un audit des besoins de l’ASE avait été effectué et qu’un point sur la soutenabilité allait être refait, comme le laisse penser le dernier rapport de la Chambre régionale des comptes sur la Protection de l’enfance. « On ne peut raisonnablement pas laisser la situation en l’état. L’Etat ne fait pas défaut, mais nos rouages sont longs et complexe », s’est-il justifié en affirmant que les postes allaient être analysés un par un et leur qualité améliorée si besoin, au-delà de l’aspect simplement financier.
De nombreuses préconisations proposées par l’ODPE
L’ODPE a pour mission de repérer les maltraitances physiques, psychologiques, sexuelles ainsi que les conditions d’éducation défaillantes générant un isolement des enfants. Afin d’améliorer leur sort, Amani Halidi a fait une série de préconisation à la CRIP, mais également aux autres structures recevant des mineurs en difficulté. Elle a insisté sur le fait d’avoir fait des recommandations réalisables avec les moyens actuels. Une restructuration des services est en effet possible notamment sur la lisibilité du suivi de l’enfant. « Par exemple, on a peu d’informations sur le devenir de l’enfant après son évaluation par la CRIP », déclare la directrice. Un problème facilement soluble avec une meilleure transparence. L’introduction de séances de psychologie interculturelle et de cours de français peuvent également apporter une grande aide aux enfants venant de l’étranger.
Afin d’améliorer encore les services de la protection de l’enfance en 2024, Amani Halidi a proposé à tous les professionnels présents à cette conférence de noter leurs idées sur un papier déposé dans une « boîte à idée ». Malheureusement, le temps imparti touchant à sa fin, ces idées n’ont pu être lues au cours de la conférence, mais connaissant le professionnalisme de la dame, nous ne doutons pas que cela sera fait en coulisse, permettant ainsi à de nouvelles idées d’émerger pour améliorer encore la protection de l’enfance sur ce territoire qui en a bien besoin !
Nora Godeau