Ce mercredi matin, sur le quai de Dzaoudzi, la file d’attente s’allonge. Les rotations restent incertaines et les passagers oscillent entre lassitude et colère.
Des passagers dans l’expectative

Parmi les passagers que nous avons pu rencontrer, Djana Houmadi, employée dans un magasin à Accoua, raconte avoir attendu dès l’aube pour rejoindre son travail. “On nous avait dit qu’il y aurait une barge à 7h, mais celle de 6h30 est revenue sans avoir pu accoster. On attend, je ne sais pas quand on pourra traverser. Moi je travaille dans le privé, je ne peux pas me permettre de rater le travail”. Finalement, elle a pu embarquer plus tard sur la George Nahouda, aux alentours de 7h30.
En télétravail depuis hier, Ismaël Atroumani, employé dans un magasin de meubles à Mamoudzou, exprime lui aussi les conséquences de cette manifestation : “La grève m’impacte que ça soit personnellement ou pour le travail. J’ai ma voiture qui est dans un garage en Grande-Terre et je ne peux pas la récupérer parce que la barge ne prend pas de véhicules. La seule chose que je peux faire c’est de patienter”, se résigne le jeune homme.
D’autres, comme Samia Bacar, fonctionnaire à la préfecture, ont préféré ne pas attendre :
« J’ai déjà raté deux jours de travail. Aujourd’hui, j’y vais pour au moins pouvoir récupérer mon ordinateur, au cas où les choses empirent. La préfecture a mis des bateaux à notre disposition, ça nous évite de faire la queue à la barge pendant des heures ». Pour beaucoup d’habitants, la grève dépasse désormais la simple question des transports. Elle perturbe aussi le quotidien, notamment l’accès au gaz domestique, devenu rare.
“Ma deuxième bouteille est vide, confie Samia Bacar. J’ai fait tous les magasins de Petite-Terre, il n’y a plus rien. Les commerçants disent que la livraison devait se faire mardi, mais ça ne sait pas fait à cause de la grève”.
Des petits commerces à bout de souffle

Côté commerçants, la situation devient critique. En Petite-Terre, l’approvisionnement est presque à l’arrêt et les rayons se vident jour après jour. “Nous, en Petite-Terre, on est beaucoup impactés. On n’a pas eu de livraison de gaz depuis la semaine dernière”, explique un gérant de commerce local. “Si la grève continue, ça va devenir très grave”. Même son de cloche chez Rama, qui tient une petite épicerie à Four à Chaud. Il dit faire face à une pénurie croissante de produits essentiels.
“J’ai plus de gaz, plus de riz. Je suis obligé d’aller acheter dans les grandes surfaces, mais ça me revient beaucoup plus cher. Si d’ici vendredi il n’y a pas de livraison de gaz, ça va partir en dispute. Les gens vont paniquer. Il n’y a pas de rupture sur Mayotte, c’est juste que les livraisons ne peuvent pas venir jusqu’ici à cause de la barge”. Pour le vendeur, la situation devient intenable. Il appelle les autorités à réagir rapidement : “Le préfet doit laisser passer les camions de ravitaillement. On comprend la grève, mais il faut penser à la population. On sort à peine du cyclone Chido, et là, on replonge encore. Si ça continue, je vais devoir fermer et pas par plaisir, loin de là”.
Grandes surfaces : entre blocage et livraisons
Du côté des grandes surfaces, la situation reste contrastée. Chez Sodicash, les rayons se vident peu à peu, alors que les livraisons sont bloquées. Une caissière confiait à un client :
“Les camions sont bloqués au quai de Mamoudzou, ils attendent le feu vert pour partir. Par contre si ça continue comme cela la situation va se dégrader”.

En revanche, le groupe BDM, qui regroupe Carrefour et Doukabé, semble mieux s’en sortir. Une responsable de Doukabé Pamandzi confirme qu’une livraison a bien été effectuée mardi. Plusieurs habitants ont également aperçu, dans la soirée, des camions de ravitaillement sur le parking de Carrefour à Labattoir, preuve que certaines enseignes ont réussi à recevoir des approvisionnements malgré la grève.
Des habitants partagés entre inquiétude et espoir
À la sortie des magasins, les réactions des habitants reflètent un mélange d’inquiétude et d’espoir. Certains gardent confiance, malgré la situation. Sarah Pesce, mère de famille, veut croire que tout rentrera dans l’ordre. “Pour l’instant, je ne panique pas. Mais je remarque que les étagères se vident petit à petit. Ils oublient que nous sommes sur un ilot et que tout dépend de la barge”, confie-t-elle. D’autres, comme Zayed, se montrent plus inquiets. Face aux rayons vides et à la raréfaction du gaz, il craint une escalade. “Y’a plus de gaz, c’est chaud ! Si ça continue, ça va finir en guerre. La moindre des choses serait de nous laisser aller chercher du gaz à Mamoudzou. Il faut vraiment que le préfét et les élus fassent quelques choses”. Pour Maria Hassani, habitante de Pamandzi, l’espoir persiste malgré les tensions. “Je croise les doigts pour que les choses s’améliorent. En Petite-Terre, on n’a pas d’alternative : si y’a rien à Labattoir ni à Pamandzi, on est coincés”.
Si la situation ne se débloque pas d’ici la fin de la semaine, les habitants de Petite-Terre redoutent une véritable crise d’approvisionnement : gaz, riz, produits frais,… commencent à manquer dans certains magasins. “Il faut que les autorités réagissent”, martèle Rama, le commerçant. “On ne peut pas laisser la population manquer de quoi se nourrir”.
Shanyce Mathias Ali