Le combat aura duré sept ans pour Jean-Louis Garcia, président de l’Association pour Adultes et Jeunes Handicapés (APAJH), qui depuis 2018 milite pour l’installation d’un Etablissement et Service d’Accompagnement par le Travail (ESAT Tarehi), à Mayotte. Il y a un an encore, personne n’aurait misé sur l’existence d’un tel établissement sur le territoire, et pourtant avec la signature des conventions de partenariat entre la structure et la CCSUD, la Ville de Mamoudzou, le SIDEVAM et Edeis Aéroport Mayotte, ce jeudi 26 juin, le projet est devenu réalité.

Depuis 2013, un moratoire interdit en France la création de nouvelles places dans les ESAT, qui ont pour objectif d’insérer sur le marché du travail des personnes en situation de handicap dans un cadre professionnel adapté et sécurisé. Difficultés à concilier mission sociale et rentabilité avec un financement parfois insuffisant, places inoccupées, problèmes de recrutement, manque de formations adaptées, passerelles vers l’emploi limitées, freinant l’inclusion professionnelle… sont autant de raisons qui ont justifié l’interdiction de créer de nouvelles structures.
Partenariat avec des entreprises et accompagnement dans la durée
« Jusqu’à présent Mayotte n’avait pas d’ESAT sur son territoire et pourtant des personnes en situation de handicap relèvent de ce dispositif, il a fallu se battre pour lever le moratoire pour enfin créer une structure », explique Jean-Louis Garcia. « L’idée est de construire 50 places à travers les cinq territoires de santé de Mayotte (Nord, Sud, Est, Centre-Ouest et Petite-Terre) et pour cela on signe aujourd’hui des accords avec les entreprises qui vont accueillir ces personnes handicapées », continue le président. Les personnes embauchées vont être logées par le biais de l’habitat inclusif et ainsi vivre proche de leur lieu de travail pour faciliter au maximum leurs déplacements. « Les métiers sont divers, il y a l’entretien des véhicules, l’entretien des sols, des espaces verts, du maraîchage et on a de nombreuses autres idées ».
L’Etat fourni une « aide aux postes » auprès des personnes accompagnées par l’ESAT. Il y a donc une garantie de l’existence de la structure, si une personne accompagnée ne réussit pas à obtenir un contrat dans la durée. L’APAJH déterminera ensuite les activités à mettre en place pour développer les compétences de la personne. Cela empêche les ruptures de parcours pour des jeunes parfois abandonnés face au manque de solutions. L’ESAT est donc à mi-chemin entre un lieu de travail et un centre de formation. Enfin si une personne accompagnée par l’ESAT souhaite rejoindre une entreprise classique, elle le peut. Pour se familiariser elle pourra aussi passer par l’entreprise adaptée du territoire qui servira d’intermédiaire.
« Une victoire humaine »

Le but de l’établissement est également de montrer aux entreprises mahoraises qu’il y a du potentiel et des talents chez les personnes en situation de handicap, et qu’il est intéressant de les recruter pour ne pas payer une contribution financière auprès de l’AGEFIPH au titre de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (6% dans les entreprises de plus de 20 salariés).
« A Mamoudzou nous avons dit oui à l’APAJH pour être aux côtés des plus vulnérables », indique le maire de la commune, Ambdilwahedou Soumaïla, « grâce au partenariat, des personnes en situation de handicap vont travailler à la préservation de la propreté des parcs de Tsoundzou, Passamaïnty et Mtsapere et on espère pouvoir signer un engagement triennal dès l’année prochaine pour faire perdurer la collaboration ».
« C’est une avancée majeure et une victoire humaine », décrit Sergio Albarello, directeur général de l’ARS, « l’établissement répond à l’ambition d’offrir un cadre professionnel mais aussi un tremplin vers l’autonomie. Les ESAT font face à des enjeux de taille et à Mayotte les défis sont décuplés en raison de la jeunesse des structures médico-sociales. L’ARS se tient à côté des acteurs pour garantir la pérennité de la structure ». Avec la première mise en place d’un tel établissement depuis 22 ans en France, Mayotte va servir de laboratoire pour les Outre-mer se réjouit Jean-Louis Garcia, qui espère que la Guyane suivra.
50 places, un début prometteur

A l’origine du projet, 250 personnes étaient placées sur liste d’attente pour rejoindre un ESAT à Mayotte, aujourd’hui 50 pourront bientôt être accompagnées. Un début, parfois jugé timide, mais qui a le mérite de lancer le processus sur le territoire. « Mayotte a du retard dans le domaine des politiques sociales. On ne peut pas encore répondre à tous les besoins », remarque Nafissata Mouhoudhoire, directrice déléguée de la Deets de Mayotte. « On s’est longtemps intéressé à l’accès aux droits des personnes en situation de handicap sans se poser la question de leur insertion. Désormais on avance et ce dispositif permettra aussi de mieux connaître les besoins du territoire ».
Après la signature des conventions, une fresque a été dévoilée sur le mur du siège de la Fédération des APAJH à Dembéni. Réalisée par l’artiste peintre Imamou Mourchidi, alias « Artist640 », elle représente le logo de l’ESAT avec la carte de Mayotte, et différents métiers. « J’ai une particularité c’est d’être peintre daltonien », raconte l’artiste, « merci de donner et de créer la culture de l’espoir pour les personnes en situation de handicap. Je suis heureux de savoir que Mayotte sert d’exemple avec cet établissement, cela montre qu’on avance tous ensemble ».
Victor Diwisch