Les rapports du Sénat sont précieux pour leur capacité à faire bouger les lignes. Ce fut le cas pour celui qui dénonçait une « sous-estimation de la délinquance » à Mayotte, pour celui dénonçant un manque d’accompagnement sur les risques naturels en Outre-mer, d’un autre sur les sous-dotations en santé à Mayotte, le plus impactant fut sans doute sur le foncier outre-mer qui nous avait valu la création de la CUF.
Après plus de 6 mois de travaux, 3 déplacements à La Réunion, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, et avoir auditionnés 160 personnes, Gisèle Jourda, sénatrice de l’Aude (Socialiste, Écologiste et Républicains) et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion (Les Républicains) ont remis leur rapport à Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux Outre-mer, en constatant un « retard majeur des outre-mer en matière de gestion des déchets. » Un constat qui ne nous surprend pas à Mayotte, mais nous ne sommes donc pas les seuls : « Cette situation place certains territoires en urgence sanitaire et environnementale. La cote d’alerte y est dépassée. Des plans de rattrapage exceptionnels, voire des plans Marshall pour la Guyane et Mayotte, sont indispensables. »
Deux chiffres résument une partie de la situation : alors que l’objectif est de recycler le maximum de déchets, le taux d’enfouissement moyen des déchets ménagers est de 67% en Outre-mer contre 15% au niveau national et leur coût de gestion est en moyenne 1,7 fois plus élevé que dans l’Hexagone. Et sans surprise, c’est Mayotte qui tire la tendance vers le bas avec prés de 98% des déchets ménagés non traités qui partent vers l’ISDND de Dzoumogne pour être enfouis.
A Mayotte, tout est compliqué, de la collecte, pour laquelle « 41% de la population de Mamoudzou n’est pas desservie » en raison des quartiers informels, au traitement où le manque d’équipements se fait cruellement sentir avec l’absence de déchetteries, pourtant annoncées depuis 10 ans, la première devrait ouvrir en 2023. Des municipalités ont mis en place des déchetteries mobiles, comme le SIDEVAM 976. « Mayotte et la Guyane ont presque tout à construire pour une population qui explose ».
Occidentalisation de la consommation… pas du tri
Parmi les 26 recommandations des sénatrices, Mayotte peut se targuer d’en cocher une, celle de la gouvernance unique pour le traitement des déchets ménagers, celle du Syndicat Intercommunal de Valorisation et d’Elimination des Déchets de Mayotte, le SIDEVAM 976. Cela n’a pas toujours été un avantage, les nombreux rapports de la Chambre régionale des comptes sur la structure étaient là pour nous le rappeler, mais l’équipe en place redresse peu à peu la barre.
Nous avons justement contacté Chanoor Cassam, DGS du SIDEVAM 976, qui retrouve à la lecture du rapport ses orientations : « J’ai été auditionné deux fois, dont l’une au Sénat, devant des représentants des ministères de l’Outre-mer, des Finances et de l’Environnement, et le sénateur Thani Mohamed Soilihi. Le rapport est assez fidèle à la réalité. Plus de la moitié de mes préconisations ont été retenues ».
L’une d’elle porte sur l’exonération de la TGAP, la Taxe générale sur les activités polluantes. Epargnés jusqu’en 2020 parce que non inscrits dans une transition écologique, les Outre-mer doivent désormais s’en acquitter. Elle est payée par toute structure traitant ou produisant des déchets polluants en proportion du volume qu’elle ne parviendra pas à trier, recycler. Une mesure incitative qui est venue trop tôt à Mayotte peu équipée en recyclage : « Le SIDEVAM a payé 1,5 millions d’euros cette année au titre des collectivités, parce que plus on enfouit, plus le montant est élevé. Or, la hausse de la démographie et celle du pouvoir d’achat ont un impact à la hausse sur une consommation qui s’est occidentalisée, donc avec davantage de déchets, sans s’approprier les bons gestes de tri pratiqués en métropole. Nous avons donc subi une hausse de 14% de la TGAP en un an, ce qui dégrade les missions du SIDEVAM. »
A la demande des élus ultramarins, les sénateurs ont voté le 24 novembre le gel pour un an de cette taxe, et dans leur rapport, les sénatrices vont encore plus loin en recommandant une exonération de la TGAP pour les Outre-mer « pendant 5, 7 ou 10 ans ».
Le SIDEVAM ne peut intervenir dans l’informel
Une demande qui doit permettre au SIDEVAM de mener à bien ses projets de réduction du volume de déchets. « Il y a trois enjeux : la réduction de la production, la diminution de la collecte par le tri et trouver des solutions adaptées pour éviter l’enfouissement ». Ce qui prend du temps, « le SIDEVAM et la CADEMA qui a la compétence sur la collecte des déchets doivent envisager de nouvelles installations comme le Combustible Solide de Récupération. On sélectionne des déchets combustibles qui permettent de récupérer de l’énergie lorsqu’on les fait brûler en usine d’incinération. Mais cela va mettre 4 à 5 ans avant de s’en doter. »
Sur le plan de la collecte, difficile de toucher les zones peu accessibles d’habitat informel, dont les 41% de personnes non desservies sur Mamoudzou. « Contrairement à la CADEMA qui a une mission d’aménagement du territoire, le SIDEVAM ne peut contractuellement intervenir que sur les quartiers reconnus dans le PLU de la commune, donc dotés de routes. Et sur un territoire où 77% de la population ne sait pas comment elle va nourrir ses enfants, les histoires de recyclage sont éloignées de la priorité de beaucoup. Notre seule piste de captation des déchets en dehors des bacs mis à disposition, ce sont les déchetteries mobiles que nous avons mises en place, mais pas pour les déchets ménagers, uniquement pour les encombrants, les déchets verts, la ferraille, etc. Pour les emballages ménagers, il faut compter sur le dispositif de LVD Environnement Mayotte auprès des doukas ».
Accentuer le troc contre déchets
C’était encore à titre expérimental que Nicolas Moullin, Responsable territorial Outre-mer de Citeo*, nous avait parlé de LVD Environnement Mayotte-Groupe AloMayjob, qu’il accompagnait en partenariat avec l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie : « Les habitants viennent apporter leurs déchets comme les bouteilles en plastique aux doukas, contre lesquels il leur est remis du savon, des couches, des serviettes hygiéniques, etc. Cela permet de s’adapter aux spécificités du territoire ». Un dispositif qui permet de recruter des personnes éloignées de l’emploi sur les stands d’accueil, mais qui n’a pas encore trouvé son rythme de croisière.
Pourtant, si il est pérennisé et poussé à bout, il collera parfaitement à deux recommandations des sénatrices : Développer les dispositifs de gratification directe du tri pour encourager la collecte sélective dans les zones les plus défavorisées ou isolées et habiliter les Outre-mer à adopter leurs propres normes en matière d’interdiction de mise sur le marché de consigne.
Pénalités pour déficit de rendement
Mais pour cela, les éco-organismes sont priés de prouver leur efficacité, et le rapport se veut sévère à leur égard en incitant à « expérimenter outre-mer un mécanisme incitatif de pénalités pour les éco-organismes n’atteignant pas des objectifs chiffrés par territoire », et en « abaissant à une tonne, au lieu de 100, le seuil à partir duquel le coût du nettoiement d’un dépôt sauvage est pris en charge par les éco-organismes ». Plusieurs éco-organismes interviennent à Mayotte outre Citeo, Ecosystème, Corepile,
Cyclevia, etc.
Comme nous l’avions rapporté à plusieurs reprises, notamment sur la valorisation de canette en aluminium, la difficulté des éco-organismes en Outre-mer, c’est le faible gisement de déchets. Or, les objectifs qui leur sont donnés sont nationaux. Et quand on rajoute l’éloignement et l’insularité, les marges espérées fondent comme neige au soleil tropical, et leurs représentants trainent des pieds en voyant les surcoûts se rajouter. Il faut donc bien une législation propre aux Outre-mer, confirme Chanoor Kassam : « Les objectifs doivent être fixés territoire par territoire, car ils ont des moyens qui ne sont pas mobilisés pour les territoires en besoin. »
Des moyens bien supérieurs au syndicat de collecte et de traitement des déchets en raison d’un financement totalement différent : « Les éco-organismes perçoivent l’éco-contribution incluse dans le prix des produits que l’on achète, donc plus on consomme, plus leurs recettes augmentent. Alors que le SIDEVAM perçoit des taxes payées par une petite partie de la population. Donc plus les gens consomment, plus les éco-organismes ont les moyens de traiter des déchets qui arrivent en volume suffisant ». Une logique particulière de financement, qui demande en effet un encadrement comme le met en évidence le Sénat qui veut diminuer les subventions allouées aux éco-organismes qui n’atteindraient pas le résultat fixé. Cela pourrait être revu lors de la réévaluation périodique du cahier des charges des éco-organismes.
Un tableau qui ne serait pas complet sans évoquer les difficultés rencontrées lors des exportations de déchets dangereux (voir l’article ci-dessous).
La balle est dans le camp du ministère délégué aux Outre-mer qui doit prendre la mesure d’une indispensable adaptation de la gestion des déchets dans ces territoires.
Anne Perzo-Lafond