Poursuivi pour prise illégale d’intérêt, le maire de Kani-Kéli, Rachadi Abdou, a comparu devant le tribunal judiciaire de Mamoudzou ce mardi 30 septembre.

Il lui est reproché d’avoir, le 27 décembre 2021, signé les contrats de travail de deux agents techniques de la mairie sans passer par un jury de recrutement, alors que ceux-ci figuraient sur sa liste électorale lors des municipales de 2020. Il lui est également reproché d’avoir, le 22 mars 2021, validé le recrutement d’une assistante de direction, sans disposer de son CV ni du procès-verbal de l’entretien, cette dernière étant la sœur du premier adjoint.
Ces faits avaient été signalés dans une lettre anonyme adressée au procureur en 2022, évoquant un délit de favoritisme. Le maire aurait recruté des proches pour obtenir le soutien électoral de leurs familles.
Plusieurs documents absents lors des recrutements
« À aucun moment je ne pense avoir facilité ces embauches. Plusieurs candidatures ont été portées, c’est une procédure normale. Je n’ai pas compris ce qui m’arrive alors que tout a été fait dans les règles », affirme debout à la barre, Rachadi Abdou.
« Effectivement, les trois postes ont été publiés auprès du centre de gestion de la fonction publique. Les contrats correspondants ont été recensés et toutefois la police relève l’absence de plusieurs documents », note Ludovic Duprey, le président de l’audience. Pour l’assistante de direction, la lettre de candidature et le CV sont manquants. Pour les cadres techniques, certains documents ne sont pas signés et aucune note globale d’entretien n’a été trouvée.
Le président rappelle que le décret du 19 décembre 2019 encadre le recrutement des contractuels territoriaux. Il impose la publication des postes vacants, la présélection des candidats et la tenue d’entretiens évalués via une grille de compétences. Les résultats sont transmis à l’autorité territoriale et les candidats non retenus reçoivent une notification, garantissant ainsi une procédure transparente.
Lors des auditions, l’assistante de direction explique qu’elle avait déjà postulé au poste en 2014 et que c’est donc tout naturellement qu’elle candidate à nouveau en 2021. « Mon frère n’est pas intervenu, tout s’est déroulé dans les règles », affirme-t-elle aux enquêteurs. Les membres du jury confirment l’unanimité sur sa sélection et reconnaissent une personne compétente.
« Dans chaque village on cherche les familles influentes pour obtenir des votes »
Pour les deux agents techniques, tous deux ont postulé après l’élection et suite à leur départ de l’équipe de campagne. L’un indique, « j’ai postulé sur internet, envoyé une lettre, passé un entretien. Le poste était vacant, je n’ai jamais demandé au maire ce poste ». Le second avoue qu’il a été approché par une tierce personne avant les élections, « elle m’a demandé de rejoindre la liste électorale pour compléter les effectifs. Je lui ai répondu que c’était possible à condition que j’obtienne un poste à la mairie. Elle a dit oui ».
La tierce personne également auditionnée, explique aux enquêteurs, « dans chaque village on cherche les familles influentes pour obtenir des votes. On leur propose en échange un travail, une récompense. C’est un système en place dans toutes les mairies. Tout le monde veut une reconnaissance, tout le monde veut un poste en échange des services rendus ».

Face à ces propos, le maire Rachadi Abdou explique ne pas avoir été informé de telles promesses en amont du recrutement des personnes. « Au moment des élections j’avais la tête dans le guidon. Je ne savais pas ce qui se passait dans les six villages de Kani-Kéli. Je n’étais pas au courant des promesses d’embauche faites à mon insu. Quand j’ai appris que c’était des pratiques régulières j’étais déboussolé. Au moment des candidatures pour les postes, j’ai demandé au DGS si employer d’anciens membres de ma liste électorale était légal et possible, il m’a dit que oui, sinon je n’aurais jamais accepté leur candidature ».
Plusieurs autres membres de l’équipe municipale ont été auditionnés, certains estiment que le recrutement des trois personnes s’est déroulé dans la légalité, d’autres avouent que le clientélisme existe mais qu’il n’ont pas participé à cela.
« Vous ne trouvez pas risqué en termes d’image de recruter des proches ? », demande le président. « Moralement, il vaudrait mieux que je ne le fasse pas », répond le maire.
Arrivé à Kani-Kéli en 2019 après avoir travaillé en métropole, Rachadi Abdou explique les difficultés de son mandat. Dès son arrivée, des rivaux dans son village de Kani Bé ont tenté de le freiner. Il remporte les primaires de 2020 à une voix près et se retrouve sans majorité après l’élection. Il déplore de ne pas pouvoir jouer un rôle au sein de l’intercommunalité et dans les élections sénatoriales où il n’a pas été retenu comme grand-électeur.
De quoi faire planer le doute, selon lui, d’un coup monté pour le faire chuter alors qu’il a annoncé se représenter pour les prochaines élections de mars 2026. Un commentaire d’un membre de l’équipe municipale actuelle recueilli par la police appuie dans ce sens, « tout le monde sait qu’il y a du copinage dans les embauches. Aujourd’hui j’entends que le maire veut se représenter mais personne ne veut le suivre ».
La question de la responsabilité du maire dans un « système » dont il « n’a pas le contrôle »
« On attend d’une personne élue un comportement irréprochable. Même si le processus ne va pas à l’encontre des intérêts de la commune, respecter la procédure est impératif. Ici, les infractions concernent trois personnes. Le maire était soumis au devoir de probité et il avait un intérêt : deux candidats étaient sur les listes électorales, et l’une est la sœur du premier adjoint. Dès lors qu’il a participé à la décision, la prise illégale d’intérêt est caractérisée », insiste le représentant du ministère public. « Il savait que ces recrutements posaient problème. Le processus, dont il est garant, n’a pas été respecté. Le problème du favoritisme dans les recrutements existe depuis longtemps. On ne peut pas s’affranchir de règles parfaitement claires, surtout dans ce contexte de déliquescence de la démocratie. Il est coupable. Je propose 10 mois d’emprisonnement avec sursis et privation du droit d’éligibilité pour deux ans ».
Au tour de l’avocat d’intervenir, ce dernier défend que le seul fait reproché au maire c’est d’avoir recruté sans réaliser un classement final des candidats. « Il n’existe aucun texte qui impose la nécessité d’établir un classement des candidats à l’issue des entretiens, ni d’en tirer des procès-verbaux, surtout lorsqu’il s’agit de contractuels de catégorie C », argumente-t-il. Il défend également le fait que le maire a suivi la procédure légale de recrutement pour les trois personnes.

« Moralement il n’aurait pas dû, mais il n’a pas signé les contrats à la va-vite. Il a interrogé le DGS pour savoir si cela était possible. Aucun texte ne l’interdit. Mais il aurait dû se dire que moralement c’était difficile, il aurait dû se déporter », développe l’avocat.
Ce dernier a ensuite fait un parallèle avec le procès de l’ancienne députée de Mayotte Ramlati Ali, en octobre 2024. « Elle a été relaxée parce qu’elle n’était pas au courant du système qui a été mis en place pour obtenir des voix supplémentaires. Certes cela lui a été favorable mais elle n’était pas informée. On est dans le même cas ».
« Il est coupable de maladresse, de faute morale, mais est-ce que cela mérite 10 mois d’emprisonnement avec sursis, sachant qu’on est en phase pré-électorale et qu’il est candidat à sa succession. On sait que les membres de la majorité vont partir rejoindre d’autres candidats. Je pense que c’est un candidat intègre, les autres n’arrivent pas à le manipuler donc ils essayent de le faire tomber », conclut l’avocat qui demande la relaxe de Rachadi Abdou.
Le tribunal rendra son délibéré le 4 novembre prochain.
Victor Diwisch