Depuis les hauteurs de Combani jusqu’aux pentes abruptes de Sada, les colonnes de fumée strient le ciel. Fraîchement nommé directeur du SDIS le 1er août, le colonel Patrick Clerc se retrouve dès ses premiers jours au cœur d’une saison des feux particulièrement intense, où 60 hectares de végétation ont déjà brûlé.
Brûlis interdits, incendies incontrôlés

Chaque année, la saison sèche s’accompagne d’incendies. Mais en 2025, le phénomène s’amplifie. Combani, Ouangani, Sada, Bandrélé… les foyers se multiplient. Trente hectares ont disparu début août à Combani, dix à Ouangani, puis sept à Sada quelques jours plus tard. À l’origine, dans 95 % des cas : les cultures sur brûlis. Une pratique agricole ancestrale, officiellement interdite par arrêté préfectoral permanent, mais toujours utilisée pour « nettoyer » les parcelles.
« Cela fait dix jours qu’on a pas mal de feux, liés à deux phénomènes : le feu sur brûlis, et le vent », explique le colonel. Depuis le passage du cyclone Chido, les conditions sont aggravées : « On a une masse combustible au sol très importante et des accès aux feux qui sont très compliqués ».
Selon l’Observatoire des forêts françaises, l’île comptait 13.890 hectares de forêts avant le cyclone. Chaque hectare brûlé représente une perte tangible pour la biodiversité et le cycle de l’eau. « On a un contexte de feux qui est particulier et un peu plus compliqué que les autres années », souligne le colonel.
80 pompiers sur le fil des flammes

Sept casernes — de Pamandzi à Chirongui, en passant par Kahani et Longoni — couvrent le territoire. Environ 80 pompiers de garde chaque jour répondent aux urgences. « Les feux ont mobilisé près de quarante pompiers », constate le directeur. Or, 85 % des missions du SDIS concernent le secours à personne, obligeant à trouver des compromis.
« À l’heure où je vous parle, on a éteint tous les feux de ce week-end. Il restait notamment un feu à Combani, d’autres au centre de l’île, mais aussi à Sada. On avait également des incendies au Sud, dans la commune de Bandrélé et dans les alentours ».
La crise de l’eau complique la lutte : les habitants ne disposent d’eau courante qu’un jour sur trois, et l’usine de dessalement de Petite-Terre est défaillante depuis le 27 août dernier. Mais le colonel rassure : « Nos véhicules ont toujours des réservoirs d’eau, entre 2.500 et 6.000 litres. Actuellement, tous nos véhicules sont remplis ».
Une heure et demie de marche pour atteindre le feu

L’accessibilité aux feux reste un défi quotidien : « C’est en pente très raide, dans des broussailles, dans des ronces, derrière des bambous titanesques… Parfois, il faut une heure, voire une heure et demie de marche pour atteindre le début du feu », explique le colonel.
Le manque de moyens aériens complique encore la lutte. Mayotte ne dispose d’aucun soutien aérien efficace : les Canadair sont inadaptés au relief et il n’existe pas de piste pour les accueillir. Un renfort par avion bombardier d’eau de type DASH pourrait être envisagé depuis La Réunion, mais le colonel précise que le meilleur moyen serait un hélicoptère équipé d’un bambi bucket, une solution sur laquelle le SDIS travaille activement.
Prévention et prise de conscience, seule réponse durable
Mais la réponse ne peut pas être uniquement technique. « Les gens n’arrivent plus à maîtriser leur brûlis, surtout en période de vent. Le citoyen doit être replacé au cœur du dispositif. Le SDIS fait du curatif mais il faut que les citoyens soient conscients de ces risques. »
Les chiffres de 2025 traduisent une aggravation et une alerte claire : sans moyens supplémentaires et sans prise de conscience collective, la forêt, la biodiversité et les habitants resteront les premières victimes d’une pratique ancestrale périlleuse. La lutte contre les incendies n’est pas seulement une affaire de pompiers : elle engage tout un territoire, entre climat, gestion de l’eau et protection des espaces naturels.
Mathilde Hangard