Il est quinze heures trente à Kawéni. La salle d’audience de la chambre d’appel s’anime doucement, emplie du froissement des pas et des chuchotements des invités. Puis surgissent, éclatantes sous la lumière tamisée, les silhouettes des magistrats en robes rouges et blanches. Les étoffes solennelles imposent le respect et rappellent la gravité de l’instant : l’installation de nouveaux magistrats, moment toujours chargé d’émotion dans la vie d’une juridiction.
La solennité se teinte toutefois d’un brin de légèreté. Les deux invitées d’honneur, Fabienne Le Roy, première présidente de la Cour d’appel de Saint-Denis, et Fabienne Atzori, procureure générale, sont retenues par un vol retardé depuis La Réunion. « C’est un de ces tours que nous joue la liaison aérienne entre nos deux îles », sourit Françoise Toillon, avocat général, prenant la parole en leur nom. À ses côtés, Vincent Aldeano-Galimard, président de chambre, préside la cérémonie avec sérieux et malice. « Nous allons tenter de ne pas faire pâle figure devant le ministre des outre-mer qui nous prive de certains invités », ajoute-t-il, déclenchant quelques rires dans l’assemblée. Ce jour-là, la justice se montre à la fois digne et accessible, neuf mois seulement après qu’un cyclone a failli tout emporter.
Le souvenir de Chido, une justice cabossée mais debout

Car Chido reste dans toutes les mémoires. « Nous avons perdu un bâtiment, mais nous n’avons pas perdu la partie », rappelle Françoise Toillon, évoquant les conditions de travail « extrêmement dégradées », les modulaires, les salles rafistolées. Et pourtant, la justice a continué, sans jamais renoncer. Cette audience, première de l’année et depuis le passage du cyclone, a valeur de renaissance.

Au fil des interventions, l’ambiance oscille entre sourires et émotion contenue. Sur les bancs, les représentants des institutions locales — magistrats, responsables administratifs, membres des forces de l’ordre et personnalités du monde judiciaire — écoutent avec attention.
Leur présence rappelle la place centrale que tient la chambre d’appel de Mamoudzou dans l’équilibre institutionnel de l’île.
Trois nouveaux visages, une même promesse

Puis vient le moment tant attendu : l’installation officielle des trois nouveaux magistrats. Olivier Noël, président de chambre, à la carrière riche en expériences outre-mer, prend la parole, sobre et direct : « Je suis très heureux. Habitué des outre-mer, je mesure la richesse et les défis que représente Mayotte. » À ses côtés, Nathalie Malardel, conseillère, confie retrouver « avec plaisir » les juridictions ultramarines, après vingt ans dans l’Hexagone : « J’avais quitté l’outre-mer et l’instruction pour élever mes enfants. Maintenant qu’ils ont grandi, j’ai choisi de venir à Mayotte. Après le passage de Chido, ce qui me motive avant tout, c’est de participer à cet effort collectif. » Enfin, Rachel Fresse, directrice de greffe déléguée, sourit largement : « Je suis très heureuse », dit-elle légèrement émue, et la sincérité de son ton suffit à convaincre.
Leur arrivée intervient dans un contexte encore marqué par les conséquences du cyclone. Les départs de nombreux magistrats et fonctionnaires, motivés par les conditions difficiles et la perte de logements ou d’infrastructures, avaient rendu l’attractivité de Mayotte pour les nouvelles recrues particulièrement complexe.
Puis, l’avocat général rappelle les défis qui les attendent : un contentieux des étrangers important, une criminalité violente et plus d’une centaine d’affaires criminelles à juger, certaines audiences pouvant durer jusqu’à deux semaines. Autant dire que les jours d’une année ne suffisent jamais à tout traiter. La mission des nouveaux arrivants s’annonce donc aussi lourde qu’indispensable. Pourtant, dans la salle, flotte un sentiment de calme confiant : malgré l’ampleur de la tâche, chacun sait qu’avec ces renforts, la justice pourra continuer à tenir son rang.
À seize heures, l’instant est scellé. Dans le hall, un buffet attend les invités. On échange quelques assiettes, des sourires, des conversations. Tout autour, le décor raconte encore le passage de Chido : dans la cour, le bâtiment soufflé n’est plus qu’un squelette, ses murs aspirés par les vents, tandis que des modulaires improvisés abritent désormais les bureaux de quelques magistrats.
Rien de clinquant. La justice ici n’a pas la rigidité des palais parisiens : elle se vit comme une maison rafistolée mais accueillante. « Vos nominations montrent aussi que Mayotte peut susciter des vocations et même de l’attachement, j’en suis la preuve, puisque je suis revenue », glisse Françoise Toillon. Une phrase qui sonne à la fois comme un remerciement et comme une promesse : la justice, même après la tempête, conserve son souffle et sa présence.
Mathilde Hangard