Dans l’obscurité de la salle de classe, Anchika, Isabella, Naima, Rifaanti et Salim écoutent attentivement les instructions de leur professeur. Depuis 7 heures du matin, ce vendredi 18 juillet, alors que la majorité des élèves de Mayotte sont en vacances, ils suivent des cours de français et de mathématiques, organisés par l’association de quartier Bazama-Bandrajou de Kawéni (ABK).
Un énorme retard à rattraper
Pour ces jeunes, qui ont entre 8 et 17 ans, de nationalité étrangère, déscolarisés ou bien non-scolarisés, ces leçons sont l’espoir de pouvoir un jour rejoindre une école, s’intégrer, et s’imaginer un avenir. Grâce au travail et au réseau de l’association, active depuis 2018, ils pourront, en fonction de leur niveau et de leur motivation, passer un examen auprès d’un établissement scolaire pour espérer obtenir une place dès la rentrée prochaine.

« Ce matin on a fait de la lecture et maintenant j’essaye de leur apprendre les probabilités », explique Amina, 22 ans, professeure bénévole de l’association. « Ça fait deux mois que je donne des cours ici et c’est très compliqué. Leur plus grande difficulté est l’apprentissage du français, malheureusement j’ai du mal à voir leurs progrès », confie l’enseignante, « mais c’est une bonne chose de les aider, ça me plait, moi-même quand je suis venue à Mayotte, je n’ai pas eu cette chance ».
« Je suis arrivée à Mayotte en 2023, j’avais 15 ans », raconte en shimaoré Rifaanti Riadhui, traduite par Dhoulfikar Mahamoud, président de l’association, « les premières semaines je passais mes journées à la maison et je voyais les autres jeunes aller à l’école, j’avais envie de partir avec eux ». Pour trouver une solution, elle s’est rendue avec sa mère auprès du Centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV), où elle a passé un test de niveau scolaire. Non-scolarisée aux Comores, son retard était trop important pour être inscrite au lycée, elle a donc été orientée vers l’accueil de jour de l’association ABK pour participer aux cours d’alphabétisation.

« A son âge c’est particulièrement difficile parce que le niveau scolaire a rattrapé est énorme, et il y a un risque qu’elle se perde si elle entre au lycée », remarque Dhoulfikar. Pour autant la jeune femme n’abdique pas et en deux ans elle estime qu’elle a progressé. Au-delà d’aller à l’école, son combat est désormais de gagner en autonomie.
« Je veux pouvoir comprendre et répondre aux questions qu’on me pose, ça me fait souffrir de ne pas pouvoir parler comme je le souhaite », insiste-t-elle. Questionnée sur ses projets d’avenir, Rifaanti marque un temps de silence, le regard dans le vide, « je me fais des amis et je gagne en confiance ici », finit-elle par répondre, lucide, consciente des étapes à franchir. « J’ai déposé son dossier au lycée de Kahani et au lycée des Lumières en espérant qu’elle puisse avoir une place à la rentrée, on est dans l’attente d’un retour », indique Dhoulfikar.
L’association en attente de subventions après Chido

En décembre dernier, le cyclone Chido a détruit le bâtiment de l’association en tôle et en bois, situé au milieu du quartier. Pour poursuivre ses actions auprès des jeunes, soutenir Rifaanti et ses camarades, et reconstruire ce qui a été abîmé, l’association a répondu à plusieurs appels à projets, notamment ceux de la préfecture dans le cadre de la Politique de la Ville, de la Cité éducative de Kawéni, ainsi que de dispositifs en lien avec les parents et les élèves. Elle a également sollicité des subventions auprès de la Fondation de France. « On a eu des retours positifs mais les subventions ne sont pas encore arrivées, on est dans le flou, mais les jeunes ne peuvent pas attendre », remarque Dhoulfikar, « en été l’année dernière on avait organisé des tournois de foot et des sorties pédagogiques, mais cet été ce n’est pas possible ». Un don privé lui à néanmoins permis de faire les premiers travaux sur la toiture, et l’association a également reçu du mobilier pour remettre l’école sur pied, « le principal c’était de remettre en place l’accueil de jour ».
« Après nous il n’y a pas de relai »

« Depuis que je suis arrivé en 2021, j’ai déjà inscrit 5 générations à l’école, environ 30 jeunes par an de l’élémentaire au lycée », relève Hassani Faridi, éducateur et secrétaire général de l’association, ravi de montrer que le travail de l’association fonctionne. Mais dès lors qu’un jeune obtient le baccalauréat, tous ses efforts, ainsi que ceux de l’association, à travers l’engagement des bénévoles, la mobilisation des ressources et les partenariats construits avec les établissements scolaires, peuvent être balayés par une expulsion du territoire. Sans titre de séjour, de nombreux jeunes risquent d’être reconduits aux Comores, et la fierté d’avoir décroché le bac est vite remplacée par la peur et l’angoisse. « La seule chose que je peux conseiller à ces jeunes qui viennent d’obtenir le bac c’est de venir m’aider à l’association », note Dhoulfikar, « au lieu qu’ils passent leurs journées à rien faire, cela peut leur ouvrir des possibilités ». « Le gros problème c’est qu’après mon association il n’y a personne pour prendre le relai. La seule chose que je peux faire c’est de tenter d’empêcher l’expulsion de certains jeunes que j’ai suivis en montrant leurs dossiers auprès des élus, et des autorités », continue le président, « ce sont des jeunes qui ont du potentiel et qui ont fait des efforts d’intégration ».

C’est le cas de Ansufati Ahmed, 24 ans, qui vient tout juste d’obtenir son baccalauréat au lycée des Lumières, après avoir participé pendant plusieurs années aux cours donnés par l’association ABK. « Je suis fière de mon parcours, mais maintenant j’attends de recevoir le récépissé de demande de titre de séjour pour pouvoir intégrer le BTS Gestion de la PME à Mayotte, où j’ai été acceptée », explique-t-elle. « Plusieurs établissements en métropole m’avaient aussi donné une réponse favorable, mais sans titre de séjour, je n’ai pas pu m’y inscrire ». En attendant, Ansufati limite ses déplacements à quelques courses, de peur d’être arrêtée.
Victor Diwisch