Chronique d’un État défaillant

Le cyclone Chido a surgi en décembre 2024. L’historien ne s’avance jamais dans l’urgence. Il observe, il attend, il laisse le bruit au journaliste. Ce qu’il peut dire, avec le recul que donnent les jours passés et les silences accumulés, c’est que rien n’a surpris, dans ce drame annoncé. Tout était là, en germe, visible, su — sauf de ceux qui auraient dû savoir. Les météorologues l’avaient annoncé. Les habitants le pressentaient. Mais l’État, lui, semblait déconnecté. Mayotte a reçu la tempête de face, sans alerte efficace, sans plan d’évacuation, sans abri réglementaire. Les toits se sont envolés, des écoles se sont effondrées, des familles se sont repliées sous des bâches, pendant que les forces de l’ordre ont organisé la sécurité plus que le soin. L’État est intervenu, mais à rebours, comme un pompier qui arrive avec un uniforme trop neuf, une feuille de route inadaptée et des gestes appris dans un autre contexte.

Katrina, 2005. On croyait que cela avait changé quelque chose. Mais ce fut la même histoire, transposée à la Nouvelle-Orléans. Digues rompues, FEMA dépassée, populations abandonnées sur les toits. Même incapacité à penser l’avant. Même obsession du contrôle post-catastrophe. Même étonnement tragique d’une puissance publique qui découvre, trop tard, les fragilités qu’elle a elle-même nourries. L’histoire bégaye, non par fatalité, mais par refus d’écoute.

Une histoire ancienne : les digues invisibles de l’oubli

Les catastrophes ne sont pas seulement naturelles. Elles sont historiques. En 1864, en Angleterre, la rupture du barrage de Dale Dyke engloutit Sheffield. En 1889, à Johnstown, Pennsylvanie, une digue privée cède : 2200 morts. Les autorités n’avaient ni contrôlé les infrastructures, ni prévu l’éventualité. Là encore, les alertes avaient existé. Mais elles n’étaient pas venues des bons cercles. Et comme souvent, on les avait balayées.

Après, on reconstruit. On légifère. On indemnise. Mais l’on oublie l’essentiel : la préparation des populations, la reconnaissance des inégalités territoriales. En 1927, la grande crue du Mississippi provoque l’exil de centaines de milliers d’Afro-Américains. L’État bâtit des digues, oui. Mais sur le dos de ceux qu’il déplace. L’histoire est toujours la même : le pouvoir construit pour se protéger, pas pour protéger. Il bâtit des murs techniques, mais pas de lien social.

Le climat comme juge du politique

Aujourd’hui, le climat ne permet plus les rattrapages. L’accélération des événements extrêmes transforme les fragilités en bombes à retardement. Mayotte subit à la fois la pauvreté, l’insularité, la pression migratoire, la sécheresse et l’absence d’infrastructure résiliente. Et pourtant, l’État y déploie plus de forces de l’ordre que d’ingénieurs. Plus de contrôles que de concertations. Plus de présence sécuritaire que d’écoute concrète des besoins du terrain.

Pourtant, ici comme ailleurs, il ne s’agit pas de protéger un territoire contre un ennemi, mais de l’armer face à l’avenir. Digues, alertes multilingues, plans d’évacuation, formation locale : voilà ce que la sécurité exige. Elle ne relève plus de la force mais de l’intelligence anticipatrice. Elle suppose une autre posture : non celle du commandement, mais celle de la coopération.

L’histoire fourmille de ces moments où l’État est arrivé trop tard. Trop loin. Trop équipé pour la guerre, mal armé pour la paix. Trop prêt à imposer l’ordre, pas assez à préparer la vie. Les archives sont pleines de rapports écrits après coup. Les promesses d’après-catastrophe sont devenues un genre en soi.

Mayotte est un miroir

Mayotte reflète ce que notre modernité rejette : l’idée que l’avenir ne se gouverne pas sans lien, sans soin, sans réciprocité. L’État, s’il veut encore mériter le nom de république, devra réapprendre cela. Non plus panser les plaies après la tempête, mais penser l’avant avec ceux qui la vivront. Ce n’est plus une option. C’est un devoir historique. Et ce devoir ne se décrète pas : il s’incarne, dans les gestes quotidiens de présence, de préparation, de reconnaissance.

La terre gronde, les vents se lèvent, les eaux montent. Ce sont les bulletins météo de demain, mais aussi les bulletins de vote. La politique climatique ne sera pas une affaire de sommets. Elle sera une affaire de villages, de quartiers, de ports, de petites écoles et de murs solides. Une affaire d’humanité à hauteur d’enfant, de toit, de sol.

Dans ce nouveau monde, la vraie souveraineté ne sera pas dans la répression, mais dans la préparation. La vraie puissance ne sera plus dans la force, mais dans la confiance partagée avant la tempête. Il est temps de déclarer la paix à la nature. Et la solidarité comme seule politique d’avenir. Une solidarité active, enracinée, pragmatique. Une solidarité qui ne viendra plus après la catastrophe, mais avant elle, comme un engagement d’égalité face au risque, et de dignité partagée.

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