« J’ai trouvé le film Le Dictateur intéressant. Au début c’était drôle puis c’est quand même devenu un peu ennuyeux », raconte Moeva Anita, 16 ans, élève de seconde au lycée des Lumières, en sortant de l’amphithéâtre où était retransmis le film de Charlie Chaplin ce jeudi 22 mai. « Je n’ai pas l’habitude de regarder les films de guerre mais celui-ci permet d’en apprendre plus, de replonger dans l’époque et faire ressentir les émotions. Le dictateur Hitler était bien représenté et j’ai bien aimé le fait que le film met en avant les juifs », ajoute-t-elle.

Pendant deux jours, jeudi et vendredi, dans le cadre du « joli mois de l’Europe », l’Académie de Mayotte propose aux élèves une projection de six films qui retracent l’histoire de l’Europe et de la construction européenne. Au programme, « Le Dictateur » de Charlie Chaplin en 1940, un film qui dénonce le racisme, l’antisémitisme et la dictature, à travers la satire; « La Vie est belle » de Roberto Benigni (1997), qui revient sur la Shoah à travers l’histoire d’un père et son fils; « Le Vent se lève » de Ken Loach en 2006, sur l’indépendance de l’Irlande; « L’Auberge espagnole » de Cédric Klapisch en 2002, qui questionne l’identité européenne; « Le Discours d’un roi », de Tom Hooper en 2010, avec le personnage du Prince Albert; et enfin « Good Bye Lenin! », de Wolfgang Becker en 2003, dans lequel un fils cache la réalité de la chute du mur de Berlin à sa mère.
« L’idée c’est de les faire réfléchir sur l’histoire de l’Europe à travers l’histoire de son cinéma », explique Aurélien Dupouey-Delezay, délégué de région académique à l’éducation artistique et à l’action culturelle (DRAAC). « On va avoir des films sur la Seconde Guerre mondiale, sur le danger de la dictature nazie, la place du communisme en Europe durant la Guerre froide, mais aussi Erasmus. Le but est de prendre conscience de la variété, de la diversité et de la richesse de cette histoire, mais aussi de sa complexité, avec des moments tragiques, tristes mais aussi joyeux ».
Mahorais ou Mahorais-Français-Européen ?

Au-delà de la filmographie, l’enjeu des deux journées est de faire prendre conscience aux élèves de l’appartenance de Mayotte à l’Union européenne et de sa participation à cette histoire commune. « L’histoire de Mayotte est ancrée et soudée dans l’histoire de l’Europe et cela depuis plus longtemps que la Seconde Guerre mondiale. La population mahoraise a participé à cette histoire et elle a notamment participé aux guerres mondiales. C’est tout à fait quelque chose qui peut parler à nos élèves », insiste Aurélien Dupouey-Delezay.
« Dans le film l’Auberge espagnole qui clôture l’événement on a une discussion en Espagne entre des Catalans, des Français, des Belges sur les identités multiples », poursuit Florent-Jacques Hébert, inspecteur d’académie et inspecteur pédagogique régional d’anglais. « Est-ce que lorsqu’on est Catalan, on est Catalan ou Catalan-Espagnol-Européen ? Et cette question peut se poser également ici, est-ce que lorsqu’on est Mahorais, on est Mahorais ou Mahorais-Français-Européen, citoyen du monde ? Même si on n’est pas tous forcément d’accord, et les élèves peuvent avoir leurs propres réponses, cela créer des réflexions et c’est débat qui est bon ».
A la sortie de la retransmission, certains élèves estiment qu’il est difficile de se penser européen en raison de la distance géographique, mais la majorité pense que les films sont un moyen pour s’en approcher. « A Mayotte on est vraiment loin du continent européen, mais les films permettent de mettre en avant l’histoire de l’Europe comme ça on est plus cultivé et on se sent mieux dans notre peau et moins éloigné de nos origines », confie Moeva Anita.
Des films qui ouvrent les horizons des élèves

« A Mayotte ils sont tiraillés entre deux cultures, il faut réussir à combiner les deux intelligemment et je pense que ce genre d’initiative c’est porteur », estime Laura Boutevin, professeur de français langue étrangère, au collège de Kwalé de Tsoundzou, qui est venue avec ses élèves pour voir deux films dans la journée. « C’est important de rappeler qu’on est une toute petite île au milieu de l’océan Indien et qu’on fait partie de l’Union européenne. Géographiquement c’est l’Afrique mais politiquement c’est l’Europe. Pour les enfants ce continent est très loin d’eux et quand on leur dit qu’on est en France, en Europe, ils nous regardent parfois avec de grands yeux, c’est essentiel de leur expliquer comment on en est arrivé là ».
Pour l’enseignante, les films sont un bon moyen pour ouvrir les horizons des élèves alors que les programmes de mobilité sur le continent européen ne sont pas encore accessibles par tous. A Mayotte, deux classes sont parties en 2025 en Suède et en Espagne, et des élèves de BTS participent aussi à des échanges. « Tous les canaux sont bons à prendre pour que les élèves ne soient pas juste assis devant un professeur. Là on est dans la pratique, on s’est déplacé, on prend un bus, on voit deux films, les histoires vont nous toucher », remarque Laura Boutevin, dont les élèves ont pu regarder La Vie est belle et Goodbye Lénine!
Victor Diwisch