Sans forcer, la pince de la pelleteuse fait voler en éclats le bois sec, abimé par le soleil et le sel, d’un boutre, sur le quai du port de Longoni. En quelques secondes, dans un bruit de craquement, la cabine du bateau, de plusieurs mètres de hauteur, est démantelée, laissant apparaître les quelques affaires entassées à l’intérieur dans un nuage de poussière.

Au pied de la carcasse qui se délite peu à peu, le préfet François-Xavier Bieuville et le procureur de la République, Guillaume Dupont, posent pour la photo. La destruction de ce bateau marque la dernière étape de l’opération conjointe menée par l’autorité administrative : la préfecture, et l’autorité judiciaire, qui a permis d’arrêter l’embarcation en provenance de Tanzanie.
Une première entre la préfecture et l’autorité judiciaire
« C’est la première fois dans le pays que la Marine nationale, que l’ensemble des services de police et que l’autorité judiciaire participent à une opération de lutte contre l’immigration clandestine”, insiste François-Xavier Bieuville, qui précise que l’opération a été coordonnée à l’échelle régionale et sous la supervision du préfet de zone basé à La Réunion. Habituellement, les opérations conjointes concernent la lutte contre les « grands trafics mondiaux », dont le trafic de stupéfiants, cette opération illustre donc une volonté de s’attaquer davantage à la lutte contre « l’immigration clandestine ».
« Dès son arrivée à Mayotte, le procureur de la République s’est joint à notre autorité pour poursuivre cette opération », s’est réjouit le préfet qui compte perpétuer la mise en place de tels dispositifs. « Dans ce partenariat il y a la sanction et c’est justement le rôle de l’autorité judiciaire. L’objectif est de demander la sanction des passeurs, on parle de traite des êtres humains, les mots sont forts”, a ajouté Guillaume Dupont. « Dans un contexte où la population mahoraise à soif de justice et veut que l’immigration clandestine soit une lutte permanente, nos deux autorités sont de concert sur ce sujet là ».

Un rapprochement des autorités qui s’inscrit dans le lancement du plan Uhura Wa Shabat (« mur de fer » en mahorais), annoncé par le président de la République lors de sa visite le 21 avril dernier et qui a pour objectif de passer de 25.000 retours à la frontière à 35.000. Une volonté qui nécessite des moyens renforcés pour l’autorité administrative afin d’augmenter le nombre d’interpellations, mais aussi l’implication de l’autorité judiciaire pour judiciariser les situations irrégulières, poursuivre les passeurs et ordonner la saisie des bateaux. « Je suis arrivé il y a un mois et demi, le constat est clair, l’immigration clandestine provient de filières organisées et donc c’est de notre responsabilité, de la Justice de l’Etat, d’affirmer la sévérité », continue Guillaume Dupont. « En tant que procureur de la République je demanderai au tribunal, la plus grande fermeté par rapport aux personnes qui soudoient l’humanité et les personnes en souffrance, la fermeté sera au rendez-vous ».
Les passeurs en détention provisoire, la majorité des personnes expulsées
Dans le cas du boutre arraisonné, Guillaume Dupont a précisé que moins d’une dizaine de passeurs ont été placés en détention provisoire, qu’un juge d’instruction a été saisi, et que le but est désormais de déterminer les responsabilités de chacun. Du côté des personnes transportées dans le bateau, 70 ont été interpellées. Certaines sont toujours au Centre de rétention administrative (CRA) et « une bonne partie » ont été reconduits, a expliqué François-Xavier Bieuville.

« Ces opérations ont des effets directs sur l’entrée irrégulière sur le territoire national. La bonne nouvelle c’est qu’on réussit à empêcher un certain nombre de personnes qui sont dans de très grandes difficultés, dans des situations de violences, de se retrouver à Mayotte, parce que les violences qu’elles rencontreront ici seront tout aussi importantes », souligne le préfet, laissant entendre que Mayotte ne dispose pas de moyens ni d’une volonté suffisante pour accueillir ces personnes dont la plupart voient l’île française comme un moyen d’accéder à de meilleures conditions de vie et à une certaine sécurité.
Depuis le début de l’année, des personnes arrivées à Mayotte depuis les Comores, mais surtout depuis le continent africain, subissent — dans l’attente de l’obtention d’un titre de séjour ou d’une avancée dans leur demande d’asile — des conditions de vie parfois indignes, comme dans le camp situé à la sortie de Tsoundzou II. Selon des sources sur place, des viols ont eu lieu sur plusieurs femmes au sein du camp, et les attaques de jeunes des quartiers avoisinants sont nombreuses. Et si la préfecture fait des efforts pour trouver des logements aux personnes vulnérables, comme les enfants ou les femmes, la situation n’est pas tenable.

Et pour empêcher davantage les passeurs de se rendre à Mayotte, le préfet et le procureur ont insisté sur le besoin d’une plus large coopération régionale et internationale. « On est en relation avec l’ensemble de nos voisins, qu’ils soient africains ou insulaires proches et c’est dans ce dialogue international qui relève de l’autorité présidentielle que ces relations doivent être construites et développées”, note François-Xavier Bieuville. « Au niveau judiciaire, la coopération internationale va également se développer », relève Guillaume Dupont. “Actuellement une réflexion est menée sous l’impulsion du parquet général de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, qui souhaite développer davantage ces liens. L’entraide pénale internationale aura toute sa force dans la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte ».
Victor Diwisch