Course de pneus, corde a sauté, équilibre sur plots, billes…, les jeux d’antan sont mis à l’honneur sur la fresque d’une dizaine de mètres qui longe l’école maternelle Kawéni T6. L’œuvre, réalisée par l’artiste Denis Balthazar n’est pas encore totalement terminée, mais permet déjà à certains habitants de se plonger dans les souvenirs d’enfance, et à d’autres de découvrir des pratiques parfois disparues.

Juste à côté, une autre fresque colorée, peinte par l’artiste Baba Mbaye, est un véritable herbier à ciel ouvert. Tamarin d’Inde, barabahi blanc, fougère, patte de lézard ou bien patate à durand, de nombreuses plantes médicinales sont représentées aux côtés de textes contant leurs vertus et leurs histoires.
L’objectif de ces deux peintures murales, qui s’inscrivent dans le projet « Kaweni Ya Zamani » (Kawéni d’antan), est de mettre en avant les pratiques d’antan des habitants de Kawéni, pour transmettre cette culture et cette mémoire aux nouvelles générations. A ces deux premières fresques vont s’ajouter trois autres dessins sur le thème de l’ancienne usine sucrière, les rivières et les vêtements traditionnels. Élaborées puis réalisées avec des jeunes de la commune, ces œuvres permettent de créer des vocations et du lien social. De la construction de la mémoire collective à l’apprentissage de savoirs artistiques en passant par le développement personnel, la fresque « Kaweni Ya Zawani » répond à tous ces différents enjeux.

« Tout le quartier de Kawéni est en rénovation et l’idée de ce projet est que la mémoire et le patrimoine du quartier soient préservés, transmis », explique l’artiste plasticienne Nathalie Muchamad, directrice artistique du projet, au moment du vernissage à la MJC de Kawéni, vendredi 16 mai. « Le but est aussi de construire du lien social et grâce au travail mené avec la jeunesse on arrive à inscrire le projet dans son quartier. Depuis qu’on a commencé on a de bons retours de la part de la population ».
Soutenir la jeunesse talentueuse
« C’était vraiment important d’impliquer les élèves dans le projet pour pas qu’ils soient seulement spectateurs. Du premier degré jusqu’au lycée, les jeunes ont été impliqués grâce à leurs professeurs, c’est bien pour transmettre l’histoire du quartier mais aussi pour véhiculer des valeurs comme le respect », insiste Colette Cabort, inspectrice de l’Éducation nationale à la circonscription de Mamoudzou Nord.

« On a travaillé avec des jeunes du lycée des Lumières, des collégiens, des petits enfants », explique Baba Mbaye qui a composé la fresque sur le thème des plantes médicinales. « On voulait leur rappeler qu’au moins une fois dans leur vie ils ont été soignés par leurs grands-parents à l’aide de plantes médicinales, qu’ils ne connaissaient pas. Certains jeunes du lycée des Lumières ont beaucoup de talents, ils sont voués à être de très bons artistes, je leur donne des conseils mais aussi de la liberté notamment sur les choix des couleurs », ajoute l’artiste, également professeur d’arts plastiques au collège de Kawéni 1. « Les élèves qui ont quelque chose dans l’âme, les mains, la tête on les détecte très vite. Ils travaillent tout seul et on voit les efforts et la qualité, et à partir de là se nouent des relations presque paternelles, on les aide et on les intègre dans les projets hors de l’école », continue Baba Mbaye. « C’est difficile au départ de se lancer dans l’art, mais quand on s’implique et avec de la persévérance ça peut aboutir à quelque chose de concret ».

« Il faut continuer à les encourager à se lancer dans l’art », renchérit Denis Balthazar, artiste plasticien qui s’est penché sur la thématique des jeux d’antan. « Au début du projet on s’est réunis pour faire un test avec les élèves, on leur a proposé des thèmes et ils ont choisi le jeu qu’ils voulaient représenter. Ils reproduisent ensuite leurs croquis sur le mur. Moi j‘interviens uniquement sur les difficultés techniques », raconte l’artiste. « On a tout un groupe de jeunes qui aiment le dessin, c’est leur passion, ils font déjà des expositions, ils ont du talent », relève Denis Balthazar en faisant notamment référence à cinq jeunes, Moussa Moustoilib, Bourhane El Farouk, Mahamed Ali, Mohamed Maoujidou et Chamsidine Nael, qui ont remporté, également ce vendredi 16, le concours de Halo’ Move sur la mobilité à Mayotte, grâce à leur réalisation.
La fresque n’est pas encore totalement terminée en raison des différentes situations des jeunes artistes qui ne sont pas tous les jours disponibles. « On tient à ce que les jeunes finissent le projet, si on arrête avant la fin, cela n’a pas le même impact pour eux ».
Un podcast témoin du passé de Kawéni

En plus des fresques, le Comité des jeunes de Kawéni a réalisé un podcast en recueillant les témoignages des doyens de Kawéni, qui ont pu observer le développement rapide de la commune depuis ces dernières années.
« Il n’y avait que 4 fontaines à eau et il fallait aller à Dzoumogné, Tsoundzou, Passamaïnty pour laver les vêtements », note une dame interrogée par les jeunes, dans un extrait diffusé lors du vernissage. « Kawéni c’est mieux maintenant, avant c’était difficile, aujourd’hui il y a les magasins et l’eau, c’est comme la capitale ».
« C’était très important pour nous de savoir comment était la vie avant. On ne savait pas du tout qu’elle était aussi différente qu’actuellement », confie An-ichati Ahamadi, 17 ans, élève au lycée des Lumières. « Ils nous ont dit qu’avant Kawéni c’était tout petit qu’il y avait la forêt et moi en grandissant je pensais que c’était toujours grand comme aujourd’hui. Certaines personnes nous ont dit qu’elles préféraient leur vie d’avant, malgré le fait qu’elles n’avaient pas de travail », continue la lycéenne, heureuse de pouvoir s’identifier davantage à l’endroit où elle habite. Les différents épisodes du podcast seront diffusés sur le site internet de la Ville de Mamoudzou.
Victor Diwisch