« Ça fait vraiment mal, les femmes elles souffrent », insiste Khael Radjab, élève de terminale au lycée polyvalent de Petite-Terre, après avoir retiré les électrodes du simulateur de douleur menstruelle placées sur le bas de son ventre, « là j’ai eu mal pendant 8 secondes, mais elles elles doivent vivre ça au quotidien ». « On sait maintenant d’où viennent leurs réactions lorsqu’elles ont leurs règles », ajoute en rigolant son ami Layem Abdou, qui a lui aussi tenté l’expérience sous les regards amusés de ses camarades.

Ce mardi 13 mai, les élèves du Conseil de la vie lycéenne (CVL) du lycée polyvalent de Petite-Terre ont organisé l’annuel journée des droits de la femme. Grâce à plusieurs ateliers, des quizz, des saynètes, des retransmissions de films, et à travers les nombreux échanges avec les professionnels de santé, les associations présentes ou bien encore les gendarmes de la maison de protection des familles, les lycéens ont été sensibilisés aux droits des femmes mais surtout à la santé et aux droits sexuels et reproductifs.
Repoussée de deux mois en raison du cyclone Chido, les élèves avaient à cœur de maintenir l’évènement sur un sujet qui concerne aussi bien les filles que les garçons. En plus de permettre de mieux connaître les corps féminins et masculins ou bien les moyens de contraception existants, les divers stands et affiches réalisées invitent aux débats et déconstruisent les idées reçues, dans une société où de nombreux sujets sont encore tabous comme les menstruations, les stéréotypes de genre et les violences faîtes aux femmes.
« Les règles ne doivent pas être un tabou »

« Les filles ne partagent pas ce qu’elles vivent, elles se renferment sur elles-mêmes alors qu’elles devraient plus en parler et s’engager pour que les choses changent. Il faut faire valoir nos droits pour que ce soit plus naturel pour nous et qu’on ait plus peur d’en parler », souligne Elaine Bacar, lycéenne en terminale qui anime le stand dédié aux questions-réponses. « Les règles ne doivent pas être un tabou car c’est naturel. Ce n’est pas de notre faute, c’est humain », ajoute Nephissa Hichma Aboubacar, élève en classe de seconde. « Il faut que nous les filles on arrive à nous convaincre d’en parler à des adultes, à commencer par notre père ou notre mère pour qu’on se sentent mieux. A l’école on peut voir des garçons fermés d’esprit, ils trouvent que les règles et la sexualité c’est un jeu d’enfant », déplore-t-elle.
« Ce genre de journée est indispensable car nous les garçons on ne réalise pas les épreuves que les femmes peuvent endurer, et c’est important de mieux les comprendre, pour prendre soin d’elles », confie Samir Djoumoi, élève de terminale, très intéressé par les différents stands. « La plupart des garçons deviendront les pères de demain, et c’est important qu’un père soit là pour sa fille et qu’il comprenne ce qu’elle ressent pour qu’elle puisse s’épanouir. Grandir avec toutes ces connaissances permet de ne pas créer de tabous et je pense qu’il faut commencer la sensibilisation dès l’école primaire », ajoute le jeune homme avant de conclure, « il y a une grosse différence d’ouverture d’esprit entre les générations et même si rien n’est parfait ça a vraiment évolué et voir ce progrès c’est important ».
Des jeunes générations qui s’emparent du sujet

Pour tenter de mettre fin au sexisme présent à tous les niveaux, que ce soit dans le sport, à l’école et même sur la façon de s’habiller, certaines lycéennes comme Elaine Bacar, n’hésite plus à intervenir. « Quand je me retrouve face à une situation problématique, quand je vois une fille dans une position délicate qui fait face à des discriminations je n’hésite pas à me porter volontaire pour l’aider peu importe si je me mets à dos les gens », indique la jeune femme, « les femmes ont des droits et il ne faut pas se taire, il faut en parler ». Un discours qui montre que les nouvelles générations s’emparent activement de ce sujet.
Depuis trois ans et ses premières interventions à travers les lycées de Mayotte, Raysat Abdallah, chargée en santé sexuelle à la Croix-Rouge, remarque une évolution positive des mentalités, notamment grâce à la nomination d’ambassadeurs santé. « On voit des améliorations parce que les jeunes posent beaucoup de questions et ils emmènent les débats en dehors du lycée auprès des parents et des autres jeunes. Ils utilisent leurs propres mots pour parler de ces sujets et ça fonctionne ».
Un combat intemporel face à des violences encore présentes

Une évolution qu’observent la majorité des élèves qui insistent néanmoins sur les nombreux progrès qu’il reste à faire. « Les sociétés sont majoritairement patriarcales, on ressent toujours cette hiérarchisation de genre dans la société », constate Inès Hassani, présidente du CVL. « Dans ce lycée il y a encore des mentalités patriarcales et toujours recentrées sur l’homme, et c’est pour cela qu’il faut en parler, pas que pendant une seule journée mais dans la vie de tous les jours. C’est un combat intemporel ».
Un sentiment partagé par Carole Cazes, infirmière dans l’établissement scolaire, qui observe quotidiennement des violences sexistes au lycée. « La plupart de mes consultations sont des jeunes filles qui viennent pour des angoisses et des violences qu’elles subissent au sein de l’établissement et au sein de leur famille », remarque-t-elle.

Le cyclone Chido n’a pas amélioré la situation selon elle, « il y a beaucoup de jeunes filles et de femmes qui sont retournées vivre chez leurs agresseurs, parce qu’elles n’ont pas le choix pour des raisons financières. Vu que ce sont principalement des mineurs ont fait directement un signalement. A Mayotte il y a une omerta sur les violences sexuelles qui sont très souvent intrafamiliales et on n’en parle pas. Il faut que ça change et les nouvelles générations le font, c’est chouette ».
« Les lycéens c’est l’avenir de Mayotte tout simplement », relève Manarssana Boina, directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité de Mayotte, « on a la responsabilité de les outiller, de les informer, et de leur donner les bagages nécessaires pour qu’ils fassent les bons choix pour eux et pour les prochaines générations ».
Victor Diwisch