Grève ETPC : un mois après, les grévistes toujours sans visibilité

Après un mois de grève, les salariés d’ETPC et de Colas, continuent leurs mouvements à travers Mayotte. Sur le site de Koungou, les grévistes espèrent encore la mise en place d'une prime Chido et d’une revalorisation salariale, mais dénoncent surtout un manque de reconnaissance de la direction depuis plusieurs années. Une discussion entre les parties est prévue ce mardi 25 mars.

Sur la route qui mène à la carrière ETPC, dans les hauteurs de Koungou, les camions chargés de graviers et de sable passent sans entraves devant les dizaines de grévistes de l’entreprise assis à l’ombre sur le bas-côté. En grève depuis le 25 février, comme de nombreux ouvriers des autres sites de l’entreprise et de la société mère Colas, pour réclamer la mise en place d’une prime Chido et d’une revalorisation des salaires, les ouvriers et les syndicats restent mobilisés, malgré un mois sans rémunération et une condamnation du tribunal de Mamoudzou au versement de 5.000 euros suite aux barricades installées sur la route depuis le début du mouvement.

Des coups durs qui ont poussé certains salariés à reprendre le travail, pour des questions financières mais aussi par désillusion. Sous les tentes à Koungou, plus grand monde ne croit aux revendications premières, c’est-à-dire à la mise en place d’une prime Chido de 3.000 euros pour tous les ouvriers, et d’une revalorisation salariale, d’autant plus que l’entreprise ETPC a déjà versé une prime de partage, entre 500 et 1.800 euros selon les cas. Ce lundi, malgré la volonté des grévistes à se faire entendre, chacun sait que le mouvement est désormais en sursis.

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Les camions peuvent circuler vers la carrière de Koungou, les barricades ont été enlevées, notamment suite à la condamnation par le tribunal de Mamoudzou, dans une décision du 20 mars

Le manque de reconnaissance, fondement de la contestation

« Certes on n’a pas eu de salaires depuis 1 mois et ça commence à faire long, mais on veut absolument que la direction nous considère, qu’elle nous appelle pour qu’on puisse discuter de la suite », interpelle néanmoins, Madi Moidjoumoi, déléguée syndicale CGT de l’entreprise, sous l’approbation de nombreux ouvriers, ce lundi 24 mars. Une déclaration proche du baroud d’honneur, mais qui souligne aussi les raisons premières de la grève : le manque de reconnaissance de la part de la direction. Une situation compliquée depuis de nombreuses années pour des ouvriers qui ne bénéficient pas de revalorisations ni de possibilités d’évolutions de carrière, et que le cyclone Chido a rendu intenable. Le report, le 7 mars dernier, des réunions de négociations à la fin du mois, a d’autant plus polarisé le conflit et conforté les grévistes.

Autre problème pointé du doigt par ces derniers, les différences de traitements entre les cadres et les ouvriers après Chido. Pour beaucoup cela a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « On a vu que certaines personnes, les expatriés comme ils s’appellent alors que nous sommes en France, ont pu rentrer en métropole, ou à La Réunion, quand leur logements ont été détruits après Chido. Et nous on nous propose le chômage partiel, ou bien la mise en place de congés payés, alors que personne n’était en congés après le cyclone ! », lance Madi Moidjoumoi.

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Le mouvement de grève concerne ETPC et son entreprise mère Colas. Les grévistes sont toujours présents sur différents sites à travers à Mayotte

« La plupart des ouvriers habitent dans les communes voisines, parfois dans les quartiers en tôle, l’entreprise nous a proposé du sable et du gravier pour reconstruire, mais pour construire où ? La plupart du temps les terrains ne sont pas les leurs », illustre encore la déléguée du syndicat.

« La difficulté ici c’est qu’en tant que Mahorais ou Mahoraises, on peut avoir autant de diplômes et d’expériences que l’on veut, on ne sera pas considéré. A chaque fois qu’on voit une personne arriver de la métropole, on sait déjà qu’elle va avoir accès à des postes plus importants que nous, alors que c’est nous même qui formons cette personne », explique une gréviste. « Il n’y aucun dialogue social, rien, et pour certains aucun changement de revenus pendant plus de 20 ans », relève un autre.

Suite aux protestations, la peur du licenciement

Si les plaies sont toujours ouvertes, c’est la peur du licenciement qui prend doucement le pas sur la colère. « On sait très bien qu’on nous attend au tournant, et qu’à la moindre occasion on sera licencié si on retourne travailler. On est d’accord qu’il faut une fin du conflit, mais on ne peut pas partir d’ici sans protocole final, ou sans un accord. On a peur de la punition et des purges », continue Madi Moidjoumoi, qui note des intimidations et du harcèlement de la part de certaines personnes dans l’entreprise. « Un jour un monsieur nous a filmé sans nous demander alors qu’on était en grève, juste pour nous narguer et nous exposer », raconte la déléguée syndicale.

« Moi à 54 ans, on me frappe toujours au travail, et je ne porte pas plainte par peur d’être licencié », remarque un conducteur d’engin pour l’entreprise. « Je n’ai pas compris ce que je devais faire, il n’a pas voulu me réexpliquer et donc il m’a frappé ».

Une discussion prévue après un mois de grève

Plus loin, depuis le bâtiment de la direction à côté de la carrière, les va-et-vient des machines qui creusent le sol et réceptionnent le sable qui coule à flot, montrent que si l’effectif n’est pas au complet en raison de la grève, l’entreprise est toujours opérationnelle, notamment pour les travaux de reconstruction de l’île.

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Le carrière de Koungou, plus important site de l’entreprise ETPC à Mayotte

« Il y a des ouvriers qui sont déjà revenus et nous allons accueillir tout le monde car ce sont nos salariés », indique-t-on du côté de la direction du site ETPC de Koungou, questionnée sur la peur des salariés grévistes. « Ce lundi c’est une journée d’observation du piquet de grève, on veut s’assurer qu’il se passe correctement sans blocages ni menaces pour pouvoir réellement échanger avec les grévistes. Aujourd’hui tout est en ordre donc on va discuter avec eux dès ce mardi », poursuit la direction.

« C’est une réunion réalisée dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire, rien à voir avec la grève… », complète de son côté Madi Moidjoumoi.

Victor Diwisch

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