La question de l’accès à l’eau dans les territoires d’Outre-mer
Les conclusions de l’enquête de la Cour des comptes ont été rendues dans un rapport par les deux rapporteurs spéciaux de la commission des Finances du Sénat, Georges Patient et Stéphane Fouassin, le 12 mars dernier. Pour eux, l’accès à l’eau est un défi que vont devoir relever dans un futur proche, la plupart des territoires d’Outre-mer. On le sait ô combien dans sur notre territoire, puisque la dernière crise hydrique remonte à seulement 2 ans à peine et qu’une autre se profile sans doute pour les prochains mois… Ce problème de gestion de la ressource en eau et de sa distribution résultent en partie des contrainte climatiques mais aussi de la vétusté et de l’insuffisance des infrastructures.

Mayotte a ainsi subi une grave crise de l’eau en 2023 due notamment à une forte sécheresse, alors que près de 30 % de la population mahoraise n’avait pas d’accès direct à l’eau potable. En réponse, des bouteilles d’eau ont été fournies, et des rampes à eau ont été installées. « Toutefois, cette crise a illustré l’insuffisance des investissements dans le réseau d’eau mahorais, alors que près de 30 % de la population n’a pas d’accès à l’eau potable. De nouveaux travaux de sécurisation de l’approvisionnement en eau potable ont d’ailleurs été engagés dans le cadre du « Plan eau-Mayotte 2024-2026 », qui vise par exemple à diversifier les ressources en eau en finançant une usine de dessalement », indique la Cour des comptes et d’insister sur le fait que des investissements élevés s’avèrent nécessaires pour permettre la modernisation des systèmes de gestion d’eau et d’assainissement, « afin d’en améliorer la performance et de répondre ainsi aux besoins des populations ultramarines ».
A Mayotte les besoins en investissement s’élèvent à 743 millions d’euros
Pour la période allant de 2016 à 2023, 1,52 milliard d’euros ont été budgétiser pour l’eau potable et 841 millions d’euros pour l’assainissement, soit un total de 2,36 milliards d’euros. Les besoins en investissement s’élèvent à 743 millions d’euros à Mayotte, dont 554 millions d’euros pour la gestion de l’eau potable, « en raison de la nécessité de créer des réseaux de distribution ». Tandis que la construction d’une seconde usine de dessalement en Grande-Terre est en projet…
Ainsi la Cour de comptes relève qu’en règle générale dans les territoires ultramarins le besoin en investissement est particulièrement élevé. Dans le 101e département par exemple la Cour estime qu’il est de 2.898 euros par habitant (ndlr, des habitants ayant accès à l’eau potable…).
Par ailleurs, elle constate que les normes qui s’appliquent en Europe et en France hexagonale sont « mal adaptées et difficiles à appliquer en outre-mer ». Mais la Cour salue les initiatives locales qui ont été prises pour permettre l’adaptation des normes aux réalités des territoires ultramarins. A titre d’exemple, la préfecture de Mayotte a activé la procédure d’urgence civile pour permettre la construction d’une usine de dessalement à Ironi bé, permettant ainsi de supprimer l’obligation pour les porteurs de projets de fournir une évaluation environnementale et une étude d’impact.
Comme l’indique la Cour des comptes, « le délai gagné via cette procédure permettra peut-être, en 2025, de fournir suffisamment d’eau potable aux habitants lors de la fin de la saison sèche ». Force est de constater que lorsque la Cour des comptes a mené son enquête elle faisait preuve d’optimisme car à l’heure actuelle nous sommes toujours en tension hydrique…
Ainsi les deux rapporteurs recommandent « d’appliquer les possibilités d’adaptation des procédures administratives aux contraintes des départements et régions d’outre-mer et de Saint-Martin ».
Le service lié à l’eau représente 17% du budget moyen des ménages mahorais
Une nouvelle circulaire interministérielle relative au plan eau-DOM a été adoptée le 12 juillet 2024. Elle impose notamment l’intégration des obligations relatives à l’accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. Le plan eau-Dom a permis de mobiliser un « volume important de crédits », selon la Cour des comptes, évalué à 889,15 millions d’euros en autorisations d’engagement sous forme de crédits, de subventions, ou encore de prêts…
Toutefois la Cour note que malgré des investissements élevés, ils sont encore insuffisants par rapport aux besoins. Ainsi pour Mayotte, ce sont près 254,9 millions d’euros qui ont été investis. « La répartition des financements du plan eau-DOM entre les collectivités ultramarines bénéficiaires ne permet pas de répondre totalement aux besoins identifiés, Les mahorais ont bénéficié de 65,7 % de financements en moins par rapport à leurs besoins », peut-on lire dans le rapport des deux sénateurs. De plus, la facture de l’eau représente un poids significatif pour les populations ultramarines. « Alors que dans l’Hexagone, le service lié à l’eau représente 0,87 % du budget moyen des ménages, cette proportion est de 17 % à Mayotte par exemple. Cette situation est d’autant plus dommageable que les populations ultramarines sont pour partie insatisfaite du service rendu par l’eau, en particulier quand elles sont soumises à des coupures d’eau fréquentes ».
Suite à ce constat, les rapporteurs recommandent donc « d’intégrer dans le plan eau-DOM un volet dédié à la tarification et à la gestion des impayés, afin d’améliorer le recouvrement des factures ». Mais aussi de « renforcer le rôle des comités restreints de financeurs en les chargeant de définir des conditions de financement ainsi qu’un calendrier commun aux différents financeurs pour chaque projet relevant des investissements du plan eau-DOM ».
De nombreux obstacles nuisent à un pilotage stratégique efficient
Le suivi du plan eau-DOM est réalisé localement par un chef de projet. A la préfecture de Mayotte c’est Yves Kocher, qui a été nommé expert de haut niveau, chargé de l’animation locale du « plan eau Mayotte » auprès du préfet de Mayotte. La Cour des comptes relève toutefois un « manque de leadership politique sur la gouvernance de l’eau », qui peut constituer selon elle un « obstacle à l’émergence d’un pilotage stratégique des enjeux d’eau potable et d’assainissement »
Comme le constate la Cour, « des modèles différents peuvent se montrer efficaces (établissement public intercommunal à La Réunion ou à Marie-Galante, syndicat unique à Mayotte, gestion différenciée par commune en Guyane) ». Elle déplore par ailleurs que les agences régionales de santé (ARS) sont encore insuffisamment intégrées dans le pilotage du plan eau-DOM, alors que certaines initiatives locales gagneraient à être dupliquées ailleurs.
Ainsi Georges Patient et Stéphane Fouassin recommandent « de conserver la souplesse d’organisation dans le pilotage local du plan eau-DOM, et plus largement dans la gestion de l’eau et de l’assainissement, pour garantir la nécessaire adaptation aux spécificités locales. Il convient également pour eux « de simplifier et de recentrer les objectifs des feuilles de route cosignées par les collectivités et les financeurs du plan eau DOM sur les besoins réels des populations en eau potable et en assainissement, afin de renforcer le principe de conditionnalité des financements à des résultats ».
En outre, les territoires ultramarins délèguent la gestion de l’eau et de l’assainissement à une entreprise qui se trouve le plus souvent en situation de monopole. Il est assez rare que les collectivités aient le choix entre plusieurs entreprises de gestion de l’eau et de l’assainissement, notamment en raison l’insularité de la plupart des territoires ultramarins…Comme le remarque la Cour des comptes, « le défaut de concurrence se traduit par une situation de réelle vulnérabilité des autorités organisatrices vis-à-vis de leur prestataire »
A Mayotte, le syndicat de gestion des eaux a rencontré des difficultés de recouvrement avec la Société mahoraise des Eaux, entreprise délégataire et filiale de Vinci, même si cette situation est aujourd’hui réglée, d’après la Cour…
Les sénateurs de la commission des finances recommandent de « renforcer l’assistance juridique et technique aux collectivités afin de leur permettre un meilleur suivi des entreprises prestataires ou délégataires ».
Des crédits insuffisamment consommés…moins de 50% à Mayotte
La Cour des comptes estime que « le principal enjeu dans les six territoires ne réside ainsi pas dans la disponibilité des fonds mais bien dans la capacité de les mobiliser ». Au total, seuls 56 % des crédits engagés hors prêts ont été consommés. La part des crédits consommés est inférieure à 50 % en Martinique ou à Mayotte par exemple. La sous-consommation des crédits est liée notamment à l’adaptation nécessaire des normes avec les contraintes climatiques et géographiques des territoires ultramarins, mais aussi à un manque d’ingénierie financière dans les collectivités territoriales
La Cour des comptes estime que « la pénurie de compétences techniques des gestionnaires des services et autorités organisatrices de gestion de l’eau et de l’assainissement s’explique notamment par l’insuffisance de formation et de compétence de la main d’œuvre locale ».
Pour les deux rapporteurs, il convient de « renforcer les formations des personnels, en utilisant les dispositifs proposés dans le cadre de la continuité territoriale ».