Le 16 octobre 2024, le jour de l’inauguration des modulaires de Massimoni, construits pour accueillir temporairement des familles délogées par la démolition du bidonville de Mavadzani, le préfet de Mayotte avait déclaré, « c’est une solution temporaire mais au moins les logements sont viabilisés, propres, pour accueillir dignement des personnes vulnérables ». Ce lundi 10 mars, ces mots sonnent creux pour une partie des familles qui y vivent. La majorité des modulaires ont résisté à la violence du cyclone Chido, mais le site qui comprend 21 logements a quand même été endommagé, en résulte une augmentation de l’insécurité mais aussi de l’insalubrité.

« Depuis Chido il y a le portail cassé, il y a des voyous qui rentrent avec des chiens, et il n’y a plus de portes sur les toilettes ni les douches, il n’y a plus du tout de sécurité », déplore Natasha qui habite un T1 au rez-de-chaussée, qu’elle partage avec ses trois enfants, et son mari. « Chez moi avant j’avais ma propre sécurité, mes enfants avaient leurs propres chambres, j’étais bien je pouvais contrôler les choses », dit-elle en regrettant sa vie dans son ancienne maison, même si celle-ci était en tôle.
« Je préfère mille fois rester ici que dans les bidonvilles« , nuance Nasser, un autre habitant des modulaires. « Quand on a vu les vents de Chido on s’est dit heureusement on est plus dans les cases, mais ici tout a tremblé aussi ! Les habitants qui vivent encore dans les cases me disent « vous avez de la chance« . Content d’avoir traversé le cyclone plus ou moins à l’abri, il reconnaît quand même que l’insécurité a augmenté depuis que le portail a été arraché. « Il faudrait plus de suivis« , dit-il en mentionnant les services de la Ville de Koungou, propriétaire du site.
Des tâches blanches sur les lèvres
Dans la cour, au milieu du site sur lequel jouent les enfants, de l’eau stagnante forme une petite mare, remplie de déchets. « Ce sont les eaux usées, les enfants jouent autour et ça leur donne des maladies », estime Natasha en montrant la photo de son fils, les lèvres marquées par plusieurs tâches blanches. Ce matin, son mari l’a ramené à l’hôpital, et la famille attend d’en savoir plus. Un modulaire plus loin, un enfant est lui aussi abîmé au niveau de la lèvre. Interpellés à travers la grille, des membres de la Croix-Rouge sont venus faire une halte pour l’examiner sous le regard des habitants. L’autre fils de Natasha s’est également blessé à la tête à cause d’un fer à béton en jouant à l’extérieur.

« Vous avez vu des associations, des personnes venir nous voir après Chido ?« , demande Natasha aux autres résidents, ces derniers désapprouvent les uns après les autres.
Le site et les modulaires appartiennent à la Ville de Koungou mais l’intérieur est à la charge de l’association Coallia qui loue les structures. Les habitants ne savent pas vraiment à qui s’adresser pour faire remonter leurs problèmes et leurs situations n’évoluent pas depuis plusieurs semaines.
Pas de visibilité sur la réparation du logement
La situation est plus ou moins identique à Majicavo Koropa, aux abords de la route nationale 1, dans les algécos gérés par l’association Mlezi Maore, eux aussi endommagés par le cyclone Chido. Seule différence, les résidents, principalement évacués du bidonville Talus 2, y habitent depuis 2023 et ont déjà un certain recul sur la situation. « C’est la petite chanson habituelle, pour régler les problèmes Mlezi Maore me dit qu’il faut voir avec la mairie, la mairie me dit qu’il faut voir avec Mlezi Maore« , chantonne une résidente, assise au milieu d’un logement ravagé par le cyclone, appartenant à sa voisine.

Cette dernière vit désormais dans les petits bureaux exiguës du site avec ses enfants. « On a tout perdu et on ne sait pas si ça va être réparé. On a nulle part où aller donc on reste ici », dit-elle. Sa fille, Anchoura, est lycéenne au lycée des Lumières de Kawéni, elle a installé son ordinateur sur un bureau à côté du matelas où dorment ses petits frères. « J’ai perdu mes cours, mais bon j’arrive à réviser”, explique-t-elle, gênée de montrer dans quelles conditions elle vit.
A ses côtés, Yassine est lui aussi scolarisé au lycée des Lumières, son logement n’a pas été touché par Chido, mais il a vu le vent détruire toute la maison de son amie. « J’ai eu peur parce que tout a tremblé et d’un coup tout s’est envolé”, se rappelle le jeune homme.
« Rien n’a résisté »
Les deux lycéens se remémorent leur enfance passée dans le bidonville du Talus 2. « C’était mieux là-bas, la maison était grande, on avait prévu de faire encore une extension. C’était une villa », souligne Yassine en montrant une photo de son père debout dans la maison. « On avait tout, une machine à laver, un congélateur, c’était bien », complète Anchoura. Dans le quartier, tout le monde n’avait pas sa chance de loger dans une maison en dur, et rappelons que les habitations étaient construites sans autorisation et sur des zones parfois dangereuses et tout au moins, insalubres.
« Mais heureusement qu’on était pas là-bas pendant Chido, rien n’a résisté » tempère d’ailleurs le jeune homme. « C’est sûr ça aurait été pire, il y aurait eu des morts comme à Kawéni », ajoute Anchoura.

Pourtant, près de trois mois après le cyclone, c’est bien ici dans leur maison en dur, un lieu construit pour les sortir de l’indignité des bidonvilles, que les deux amis se retrouvent sans portes, sans cloisons ni fenêtres. Au loin, à travers le trou dans le mur laissé par Chido, on peut apercevoir les maisons en tôles déjà reconstruites depuis plusieurs semaines.
Certes, personne n’était préparé face à la violence du cyclone Chido et la majorité des logements, modulaires ou algécos, ont mieux résisté que les bidonvilles, mais aussi longtemps après la catastrophe, alors même que leurs situations sont suivies par les associations et les communes, les habitants se retrouvent à nouveau dans une position de vulnérabilité.
Victor Diwisch