À Mayotte, un professeur de mathématiques se trouve pris dans un tourbillon administratif qui menace non seulement ses droits sociaux mais également son équilibre familial. Arrivé d’Anjouan sur l’île en 2021 et affecté au Lycée du Nord à Acoua, cet enseignant se bat pour résoudre une erreur administrative, une situation qui met en lumière les dysfonctionnements d’un système bureaucratique complexe et opaque.
L’erreur qui perturbe tout
L’histoire de ce professeur débute par une simple erreur dans l’enregistrement de ses informations personnelles. Alors qu’il cherche à obtenir ses bulletins de salaire et à accéder à ses droits sociaux, il se rend compte qu’un dysfonctionnement s’est produit lors de l’enregistrement de ses données. Si son prénom et son nom sont correctement inscrits sur son titre de séjour, les bases de données locales ont inversé ces deux éléments. Son prénom est devenu son nom de famille, et vice versa. Une erreur qui, loin d’être corrigée, le plonge dans un tourbillon aux conséquences graves.

Privé de ses bulletins de salaire, l’enseignant se retrouve sans couverture sociale ni assurance. « Cela fait plus d’un an que je suis dans cette situation. À chaque fois que je me rends aux autorités compétentes, on me renvoie toujours au même point », explique-t-il, désemparé. Si l’origine exacte de l’erreur reste floue, entre un dysfonctionnement de la préfecture ou de la Caisse de Sécurité Sociale, des agents de cette dernière confirment que des erreurs similaires affectent régulièrement des ressortissants comoriens. Ce phénomène récurrent semble mettre en lumière des failles structurelles dans la gestion administrative des étrangers sur l’île.
Un système à réexaminer
Au-delà de ce dysfonctionnement administratif, l’affaire soulève une question plus profonde sur la politique migratoire de l’île. « Pourquoi est-ce que l’on m’impose de modifier mon nom et mon prénom à Mayotte? », s’interroge le professeur. « Est-ce qu’en France, on demande à d’autres étrangers d’inverser leur nom et leur prénom ? » Le mal-être de cet enseignant traduit une frustration partagée par une partie importante de la population locale, notamment les Comoriens, qui se retrouvent confrontés à des difficultés administratives similaires.
Cette inversion des noms n’est pas qu’un simple détail bureaucratique : elle soulève des interrogations sur le traitement des personnes originaires des Comores, sur la place qu’elles occupent dans un système où des erreurs de cette nature, loin d’être des exceptions, semblent être fréquentes et systématiques. À Mayotte, où une partie significative de la population est d’origine comorienne, ces questions d’identité et de reconnaissance administratives viennent souvent alimenter des tensions sous-jacentes, amplifiées par un climat social déjà fragile.
Un drame familial en plus de l’imbroglio administratif

Mais ce n’est pas là la seule épreuve à laquelle cet enseignant doit faire face. Le 10 février 2025, alors que sa fille de 10 ans est malade, sa femme et son enfant se rendent au Centre hospitalier de Mayotte (CHM). C’est là que la tragédie prend forme : interpellée par les forces de l’ordre devant l’hôpital, la femme de l’enseignant, d’origine malgache, est expulsée vers Madagascar, avec leur fille, pourtant scolarisée à Mayotte. À son retour du travail, l’enseignant découvre avec horreur que sa femme et sa fille ne sont pas rentrées. Inquiet, il craint qu’elles aient pu être agressées à la tombée de la nuit. Ce n’est que le lendemain qu’il apprend leur expulsion. « Je revenais de mes cours du matin, quand je suis rentrée chez moi, le voisin m’a dit que ma femme et ma fille étaient parties à l’hôpital. Quand je suis de nouveau rentré le soir chez moi vers 19h, elles n’étaient toujours pas là. J’étais angoissé, pensant d’abord qu’elles avaient été agressées. Je craignais après que ma femme ait été arrêtée. Dès le lendemain, j’ai essayé de prendre un avocat, malgré les frais élevés (600 euros). Le mercredi, l’avocat m’a dit qu’il fallait d’abord vérifier que ma femme et ma fille étaient toujours sur le territoire. C’est alors qu’on m’a dit qu’elles avaient été envoyées à Madagascar. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Depuis, je suis seul ici à Mayotte. »
Une problématique d’autant plus cruciale après Chido

Après le passage dévastateur du cyclone Chido le 14 décembre 2024, Mayotte, encore sous le choc, lutte pour se relever. Les établissements scolaires, marqués par les ravages du cyclone, sont plongés dans une crise profonde : les postes vacants d’enseignants ne cessent d’augmenter, tandis que des infrastructures déjà fragiles aggravent la vulnérabilité du système éducatif.
Pour que l’île puisse se reconstruire, une réforme urgente du système administratif s’impose, accompagnée d’un soutien réel aux forces vives locales qui œuvrent sans relâche au service des autres et tentent, malgré tout, de redresser le territoire. Mais dans l’état actuel des choses, l’histoire de cet enseignant, pris au piège d’une erreur administrative, n’est pas un cas isolé. Elle met en lumière l’absurdité d’un système qui, loin de contribuer à la reconstruction, semble se tirer une balle dans le pied en négligeant ses propres défaillances.
Mathilde Hangard